Cadieux à coeur ouvert

L’homme à tout faire du hockey suisse a repris une nouvelle fois son habit d’entraîneur pour sauver un LHC en bien mauvaise posture depuis le début du championnat. Bilan : 7 victoires en 11 matches contre 2 en 7 parties à son prédécesseur, Heikki Leime. Durant sa longue carrière, Paul-André Cadieux a conquis trois titres avec le CP Berne et fut l’artisan de nombreuses promotions dans presque tous les coins de la Suisse. Le Canadien a connu un parcours incroyable dans notre pays. Arrivé alors que les patinoires n’avaient pas encore de toit, il fut celui grâce à qui de nombreux clubs parvinrent à retrouver une place dans l’élite : Berne, Davos, Servette, Fribourg et Langnau. En face de moi, un homme passionné et passionnant qui revient sur l’une des plus belles carrières d’entraîneur en Suisse.

Carton Rouge : Comment êtes-vous arrivé en Suisse ?Paul-André Cadieux : Je suis arrivé en Suisse en 1970, lorsque la Ligue suisse a à nouveau autorisé les étrangers à jouer dans le championnat. À ce moment-là, je venais de terminer mes études de professeur de sport et j’avais envie de jouer au hockey de manière professionnelle durant une ou deux années pour ensuite continuer mes études. Une place s’est présentée en Suisse et elle m’a séduite car il y avait également une certaine garantie de travail par rapport à une place chez les professionnels au Canada.

C. R. : Depuis 1970, quels sont les plus gros changements que vous avez constatés dans le hockey suisse ?
P.-A. C. : Selon moi, le plus gros changement est la qualité des entraînements et des entraîneurs. Que ce soit sur la glace, où l’on joue d’une manière nettement plus tactique désormais, ou en dehors, tout est également beaucoup plus structuré maintenant. Évidemment, la rapidité dans le jeu ainsi que l’engagement des joueurs sont supérieurs par rapport à ce qu’il était à l’époque de mon arrivée.
C. R. : Vous qui êtes si énergique lorsque vous coachez, est-ce que le travail de directeur sportif n’est pas un peu monotone ?
P.-A. C. : Dans le sens du travail en lui-même oui. Le métier de directeur sportif ressemble parfois à du baby-sitting.
C. R. : Est-ce vos blessures qui vous ont conduit à vous tourner vers le poste d’entraîneur ou est-ce que cela a été un choix personnel ?
P.-A. C. : C’était indirectement dans ma nature. Être entraîneur pour moi c’est comme être éducateur, on transmet un certain savoir à ses joueurs. Et depuis ma jeunesse, dans les différentes écoles de hockey que j’ai fréquentées, j’ai toujours aimé montrer un certain savoir et les études que j’ai suivies, c’est-à-dire maître de sport, allaient dans ce sens.


Photo © Pascal Müller

C. R. : Vous avez de nouveau troqué l’habit de coach alors que vous étiez directeur technique (comme à Bâle ou à Genève), une histoire qui se répète ?
P.-A. C. : Ce sont diverses circonstances, financières entre autres, qui m’ont amené plusieurs fois à me trouver sur le banc alors que j’occupais la place de directeur technique. De plus, lorsqu’on a construit l’équipe, qu’on a été cherché les joueurs, on a une autre vision, on se rend compte de nos erreurs ou de nos bonnes idées. Pour moi, lorsque j’ai repris ces équipes, j’avais l’impression de pouvoir tirer le maximum de mes joueurs parce que je les connaissais déjà.
C. R. : Vous avez déjà redressé la barre même si ce n’est pas encore la panacée. Quels sont, selon vous, les nouveaux objectifs sportifs du LHC pour cette saison ?
P.-A. C. : Pour le moment, l’objectif est de participer aux play-offs et d’y arriver en force. Il nous faudra d’abord être capable de jouer d’une façon constante, pour cela il faudra également étoffer le groupe pour avoir plus de profondeur. Mais honnêtement, je ne nous vois pas monter cette année, cela serait de la pure folie. Il faut aussi penser à l’après ascension, avoir un cadre adapté mais pour l’instant, ce n’est pas le cas. Évidemment si le moment venu, une équipe de Ligue A est en difficulté et que nous avons la possibilité de monter, nous prendrons notre chance car la place de Lausanne est en LNA.
De toute façon, et selon ma propre expérience, il ne faut pas prévoir une ascension, elle s’impose d’elle-même lorsque le temps est venu. Par exemple, avec Davos et Langnau, on m’avait confié la mission de remonter l’équipe en Ligue A en un certain temps mais cela s’est fait plus rapidement pour finir. D’ailleurs mon contrat avec Davos était le suivant : j’avais signé pour deux ans et si à ce terme, l’équipe montait, je recevais une prime. Nous sommes passés en Ligue A la première année et j’ai dû encore attendre une année pour recevoir ma prime (rires).
C. R. : Comment voyez-vous le LHC ainsi que ce qui gravite autour de lui ?
P.-A. C. : D’une manière ou d’une autre, le club fait toujours parler de lui de par ses performances sportives. De plus, il est porté par la population ainsi que ses sponsors qui sont d’ailleurs très présents. Par contre, le rapport avec les autorités est différent, avec eux, le club a eu auparavant des relations tendues. Mais dorénavant nous essayons de travailler en coopération avec eux. Malheureusement, à cause de ce qu’il s’est passé, on a l’impression qu’ils ne veulent pas nous accorder leur confiance ou plutôt qu’ils ne veulent pas s’impliquer pour faire de Lausanne un haut lieu du hockey romand. Selon moi, le LHC devrait être le pôle du hockey en Suisse romande par rapport à Servette et Fribourg. Mais pour cela il faudrait que les autorités, les fans et les sponsors travaillent avec nous dans cette voie. Le club veut devenir une force du hockey au niveau national mais tout le monde ne tire pas à la même corde.
Cela ne touche pas que le LHC, mais également le Lausanne Sport et même le LUC en volleyball. Il faudrait peut-être que ces équipes travaillent ensemble pour que les autorités comprennent et changent de politique. En 2011 se tiendra à Lausanne la Gymnaestrada (ndlr : le plus grand rassemblement de gymnastes lors de nombreuses exhibitions), et nous sommes prets à nous investir pour que notre situation change. Nous voulons que les autorités prennent conscience de l’importance du sport pour une ville comme Lausanne.


Photo © Pascal Müller

C. R. : Vous qui l’avez si souvent fait, que faut-il à un club de Ligue B pour monter ?
P.-A. C. : Il faut de bonnes ressources financières principalement. Par exemple, lorsque j’étais à Bâle et qu’ils ont décidé de remonter en Ligue A, il y avait un investisseur, un mécène, ce qui facilitait les choses. Il a dû mettre à disposition près de dix millions en trois ans pour remonter. Donc il faut garder des investisseurs qui puissent nous aider financièrement s’il y a promotion. Un des problèmes de Lausanne c’est que ce club à des coûts administratifs plus élevés qu’ailleurs…
L’un de nos gros problèmes pour avoir un club de hockey en Ligue A est celui de la fiscalité vaudoise, elle nous pénalise beaucoup et avec ce système, il ne sera pas possible d’avoir une équipe de pointe dans n’importe quel sport dans le canton de Vaud. Quand on a des Alonso ou des Schumacher qui arrivent dans le canton, ils sont là parce qu’on leur donne des statuts financiers spéciaux, en échange ils rapportent beaucoup d’argent aux autorités mais sans ces cadeaux, ils ne seraient pas là. C’est de ce genre d’aide dont nous aimerions aussi bénéficier. Prenons Rapperswil, on ne connaît la ville principalement que par son équipe de hockey et les autorités de la ville ont approuvé la rénovation de la patinoire et le club n’a pas de loyer à payer ! Cela représente une économie estimée à 200’000.- par année ; on peut voir cela comme de la pub pour le club, mais apparemment, le message n’est pas encore passé par ici.
C. R. : Vous avez souvent affirmé que coacher une équipe en Ligue nationale n’est plus primordial et que travailler avec des jeunes serait une bonne reconversion, un poste au MOJU vous plairait-il ?
P.-A. C. : J’ai beaucoup de plaisir à travailler sur la glace, travailler avec les joueurs, visionner des vidéos, analyser les matchs. Mais il y a cette seconde partie du travail qui ne m’intéresse plus, c’est-à-dire gérer les hommes, les performances ainsi que la presse, cela fait plus de 35 ans que je le fais et j’aimerais passer à autre chose. Donc ce n’est pas forcément coacher des juniors qui me tente, ce serait de me délester un peu de cette seconde partie du travail, par exemple en tant que coach assistant.
C. R. : Êtes-vous pour ou contre cette nouvelle formule de LNB avec les U20 ?
P.-A. C. : J’avais déjà émis cette idée-là lorsque j’étais à Langnau. Cette année-là, nous nous étions retrouvés à onze équipe en Ligue B. Les moins de vingt ans auraient pu jouer le rôle de douzième équipe, ce qui aurait été une excellente préparation pour eux.  Je suis donc favorable au principe. Par contre, Jakob Kölliker (ndlr : le coach des U20) a tourné avec cinquante et un joueurs depuis le début du championnat, à cause du refus de la part de certains clubs de mettre à disposition leurs jeunes. Ce jeudi par exemple, nous avons joué contre une équipe de seconds couteaux, les jeunes ayant beaucoup joué cette semaine dans leurs clubs respectifs. Cela a motivé l’équipe car elle voulait montrer au coach qu’eux aussi pouvaient jouer. Même si cela reste notre faute si nous avons perdu ce match, il était différent de celui auquel nous nous attendions et ce sera le cas tout au long de la saison, ce qui biaise quelque peu le résultat.
C. R. : Vous avez parcouru la Suisse au sein de nombreux clubs, participé à de nombreuses ascensions en Ligue A, pensez-vous avoir laissé une empreinte sur le hockey suisse ?
P.-A. C. : Je suis maintenant dans ma quatrième décennie de hockey helvétique et je pense que j’ai réussi à marquer les gens durant les quatre. Par exemple, j’ai fait une bonne partie des années septante à Berne où il y a eu une promotion et trois titres, ensuite il y a eu Davos qui est monté, j’étais également là lorsque Bykov et Khomutov jouaient à Fribourg. Il est également vrai que j’étais présent lors de nombreuses ascensions. Je suis retourné plusieurs fois dans certains clubs, ce qui a marqué les gens comme à Langnau ou Genève. Mais ce n’est pas seulement que sur la glace que j’ai travaillé pour les clubs. A Coire par exemple, je me suis beaucoup engagé dans la construction de la patinoire. Je n’ai pas remporté 19 titres mais j’ai été un homme de terrain, grâce à mon engagement pour le club et ce que je faisais à côté.
C. R. : Est-ce qu’une carrière de l’autre côté de l’Atlantique ne vous aurait pas tentée ?
P.-A. C. : Lorsqu’on est jeune, on a évidemment envie de passer professionnel. Avant de venir en Suisse, j’avais été contacté par Los Angeles où travaillait l’un de mes anciens managers mais au final, j’ai préféré faire le contraire et venir en Suisse.

C. R. : Vous avez certes passé plus de temps en Suisse qu’au Canada mais pouvez-vous nous dire quelles sont les principales différences entre le hockey pratiqué dans ces deux pays ?
P.-A. C. : Je crois que la grande différence est que les gens là-bas se prennent nettement plus en main qu’ici car la concurrence y est nettement plus grande. Les joueurs savent que s’ils ne se battent pas, quelqu’un prendra leur place et certains joueurs talentueux manquent leur carrière parce qu’ils ne gèrent pas cet aspect des choses. De plus, ici, dès qu’un jeune est talentueux, c’est le club qui paie, tandis qu’au Canada et aux Etats-Unis, ce sont les parents qui le font, ce qui fait que les jeunes vivent encore plus leur sport. Le retour sur investissement se fait plus tard mais en Europe, on le veut tout de suite. Dès qu’on a une place dans un club, même de Ligue B, on s’arrête, on ne cherche pas à aller plus haut, on fonde une famille et l’on vit tranquillement. Si Martin Gerber en est où il est, c’est parce que lorsque je l’ai poussé à Langnau, il a commencé à s’investir et ce sont lui et ses parents qui ont payé pour qu’il réussisse. Mais on a peu de personnes comme cela en Suisse.
C. R. : Cadieux rimera-t-il avec LHC encore l’année prochaine ?
P.-A. C. : Pour le moment, je fais réellement du court terme, c’est vraiment demain qui m’importe et pas la fin de l’année. Je me suis toujours dit que je voulais être dans le monde du hockey tant que j’avais du plaisir et comme je le disais tout à l’heure, le côté administratif, qui m’intéresse moins, prend de plus en plus de place face au jeu. Il faut que ça bouge autour de moi. Lorsque j’étais à Bâle lors de la construction de la patinoire, j’avais mon bureau sur le chantier, on respirait la poussière mais ça me plaisait. Par contre lorsque je suis ici, j’ai l’impression que les personnes influentes n’ont pas envie de hockey contrairement aux autres clubs, et travailler comme ça ne m’intéresse pas. Je veux gagner demain, gagner après-demain, voilà ce qui m’intéresse vraiment. Lorsqu’on me demande quelle est ma plus belle victoire, je répondrai toujours que c’est celle de demain et que c’est grâce à elle que je pourrai continuer à me battre pour que cela fonctionne. 

Écrit par Nicolas Jayet

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