Un week-end sportif à Moscou

Si Federer a fait défaut à Moscou, les couleurs suisses étaient pourtant bien présentes. Au lendemain d’un jeudi soir bien arrosé, n’arrivant pas à me concentrer sur mon travail et entre deux aspirines, je prends la bonne résolution que ce week-end sera sein, le plus sein depuis les 5 mois que je suis à Moscou. Je vais troquer alcool et sorties contre du sport, une bonne dose de sport.

Ceux avec qui je passe d’habitude mes fins de semaines ne trouvent pas ce programme à leur goût et se contentent de me souhaiter bonne chance ! Plutôt que d’aller courir seul dans les parcs moscovites, j’opte de prendre la place de spectateurs pour des événements de hauts niveaux. Bien m’en a pris puisque Moscou hébergeait alors le championnat d’Europe de Judo des moins de 23 ans, la renommée Coupe de Russie en patinage artistique et le match de clôture du MFK Lokomotiv (Lokomotiv Moscwa), cette fameuse équipe de foot.Je me réveille frais et disposé samedi matin et me mets en route pour le championnat d’Europe de Judo (U23). A ma bonne surprise la Suisse est présente en force : quatre hommes et deux femmes ont été sélectionnés. Sur les six combattants, j’apprends que cinq sont romands. Ma fibre patriotique se réveille et j’ai tôt fait de rejoindre le banc des supporters affichant le rouge et blanc. La salle, si elle n’est pas pleine, a pourtant attiré bon nombre de connaisseurs, certains ayant fait le déplacement depuis les grandes capitales européennes ou les petits villages suisses. La durée des combats limitée à 5 minutes offre une dynamique qui tient le spectateur en haleine. La Suisse se défend bien mais est opposée principalement à des combattants des pays de l’Est. Ces derniers sont réputés dans ce milieu pour leur puissance et leur mental herculéen. Les lacunes qu’ils ont souvent au niveau technique permettent toutefois à la Suisse de bien se positionner, à l’image de l’Angleterre et de l’Espagne.

Dans une ville de 15 millions d’habitants, on a pris comme routine de faire une heure de transport pour aller boire un verre. Lorsque j’ai appris que la patinoire se trouvait dans le hall avoisinant où se déroulait les combats et qu’il ne me faudrait pas plus de 5 minutes pour y aller, j’avais de la peine à en croire mes oreilles : j’aurais donc le temps de savourer des shaschliks, ces succulentes grillades dont les Russes raffolent ! Une fois le ventre rassasié, il ne me restait plus qu’à trouver mon siège dans la patinoire. Les solos dames ont commencé à donner le ton. Elles flottaient avec légèreté et souplesse sur la glace, en parfaite synchronisation avec la musique. Finie en première position, Sarah Meier représente la Suisse ! Je commence à regretter de ne pas avoir pris de drapeau.

Mon amie russe qui m’accompagnait durant tout ce week-end sportif commençait à être exaspérée de mon enthousiasme patriotique. «Le judo c’est peut-être votre sport, mais le patinage c’est le nôtre !» Je n’ai alors pas pu m’empêcher de louer Lambiel pour ses prestations… Ce dernier ne concourait malheureusement pas à Moscou cette année et la première place des solos hommes alla au Français Brian Joubert. Je m’endormis le soir en me demandant comment un aussi petit pays que la Suisse pouvait être tant présent à la fois dans le domaine sportif, international, humanitaire, bancaire, industriel de pointe…
Après un petit déjeuner constitué d’œufs brouillés au caviar (par pur souci d’économie, le bon fromage étant plus cher), je m’embarque pour une heure de métro. Plus l’on s’approchait du stade et plus les écharpes aux couleurs de l’équipe moscovite se faisaient voir. Monte soudain en chantant une trentaine de supporters dans le tram que j’empruntais. Comme, pour des raisons évidentes, il est interdit de boire de l’alcool dans les stades russes, certains supporters essayent d’absorber le maximum de liquide avant la rencontre. Ceux-ci avaient certainement dû commencer tôt. Ils sautaient en rythme de manière si passionnée que le wagon accusait des secousses de plus en plus forte. Certains passagers qui probablement craignaient un déraillement tout en n’osant pas intervenir ont rapidement fait de la place en descendant à l’arrêt suivant. De nouveaux supporters s’ajoutèrent alors aux autres et très rapidement se sont mis dans le rythme. Je devais être le seul à ne pas porter les couleurs d’une équipe et fut soulagé lorsqu’enfin nous arrivâmes à destination. Les bouteilles vides roulaient sur le sol brusquement déserté alors qu’une marée humaine envahissait le quai. La couleur était annoncée, à moi de la porter rapidement avant d’être pris à parti.

Comme d’habitude, des cordons de policiers entourent le stade et chaque spectateur passe par la fouille. Après avoir à nouveau fait la queue, une constante dans ce pays, pour acheter du thé afin de se réchauffer, nous prenons nos quartiers dans l’immense stade. Les supporters de Rostov, l’équipe adverse du Locomotiv Moscou, sont étonnements bruyants pour une représentation aussi limitée. L’échange de chants et de sifflements me propulse l’espace d’un instant dans la chaude ambiance de Malley (et non de la Pontaise !) et me maintient un sourire croché. La tension est palpable durant toute la durée du match et la foule s’échauffe. Les fumigènes donnent à cet énorme stade une ambiance particulière alors que la nuit commence à tomber. La bande sud affiche sur toute sa longueur la publicité d’une marque suisse, illustrée d’un drapeau suisse. Ma compagne russe qui l’avait remarquée avant moi m’interdit tout commentaire.  
Lorsque l’attaquant malien, Dramane Traoré, marque un splendide goal, la foule exulte. Elle clame ensuite sa passion pour son équipe et trépide de bonheur. Les olas s’enchaînent et tous chantent d’une seule voix. Mon voisin qui s’était à moitié étouffé avec son pop-corn reprend enfin ses esprits avant de me prendre le bras et me serrer le coude. Rostov, qui dominait pourtant le jeu, redoubla d’effort, en vain. L’arbitre siffle la fin de la rencontre et les feux d’artifices illuminent le ciel moscovite. Tous partent avec le sourire et envahissent les bars environnants où les chants vont parfois continuer jusqu’au petit matin.
Quelle chance de pouvoir vivre dans une mégalopole où les plus grands événements sportifs sont à portée de main, et quelle chance de venir d’un pays dont on peut porter les couleurs fièrement !

Écrit par Votre ambassadeur à Moscou, Julien Matter

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