Sheva : le ballon dort

Prolifique avec Milan, Andreï Shevchenko est devenu anémique avec Chelsea. Eclairage sur le nouveau fantôme de Stamford Bridge.

A Chelsea, le nom de Drogba noircit régulièrement la colonne des buteurs. Tout naturellement, en entomologiste averti, l’amateur se met en quête de dénicher le nom de Shevchenko. Juste une ligne plus loin se dit-il. Une ligne oui, mais une ligne Maginot, tant l’ancien Milanais se retrouve en fond de grille du côté de Stamford Bridge. A voir le numéro 7 rossonero perforer les solides défenses transalpines, peu d’observateurs auraient pu lui prédire un début de saison aussi lamentable. 6 buts marqués en 23 parties (3 en championnat, un en Champion’s League, un en Coupe de la Ligue et un lors du Community Shield)… c’est maigre. Et sans paraître discourtois vis-à-vis des deux dernières compétitions, il faut reconnaître qu’elles ne marquent pas les esprits. Mais plus que le nombre de goals inscrits, c’est l’errance du natif de Dvirkivshchyna qui fait peine à voir. Lui si flamboyant avec Milan, si vif, si alerte, si gracieux, se retrouve à bégayer son football dans une équipe qui ne joue pas pour lui. Comment expliquer qu’un tel joueur, si bon sous les maillots du Dynamo Kiev et de Milan, soit soudainement devenu un monstre d’inefficacité baladant son spleen sur les billards britons ? Friandes du moindre malaise, les presses anglaise et italienne se sont gargarisées de la situation d’un homme payé 180’000 euros (288’000 francs) la semaine. Pendant plusieurs jours entre novembre et décembre, les déclarations d’amour ont chassé les démentis et vice versa. «Sheva retourne à Milan», «Shevchenko reste à Chelsea», «Andreï veut rentrer en Italie», «Le buteur ukrainien veut gagner avec Chelsea». Finalement, l’affaire s’est tassée. Mais rien ne dit qu’elle ne ressurgira pas en fin de mercato, au terme de janvier.

Le Don de Milan

Dans la capitale lombarde, celui que les Milanais appellent affectueusement Sheva avait tout. Une chanson, des calicots – notamment un célèbre étendard le couronnant Roi de l’Est –, mais surtout un amour indéfectible du public de San Siro. Puis au printemps, des rumeurs concernant un éventuel départ ont commencé à bourgeonner. Le boss de Chelsea, Roman Abramovitch, faisait de l’Ukrainien sa cible privilégiée. Fantaisies de journalistes pensait-on du côté de Via Turati. On pouvait alors lire que la femme du joueur – l’ex-mannequin Kristen Pazik – ne voulait soi-disant plus de cette vie dorée à Milan, préférant Oxford Street à la Via Napoleone. On a même pu lire qu’elle avait été verbalement agressée par des fans milanais qui la jugeaient responsable des tiraillements de son mari. Soucieuse de la santé de ses enfants, Madame a donc sommé son mari de quitter l’Italie.
Les tifosi furent sous le choc. Une pétition demandant à l’Ukrainien de rester a circulé sur la toile. Griffée par des milliers de personnes, elle ne servira pourtant à rien. Sheva est décidé. Chelsea aussi, puisqu’il paie rubis sur l’ongle les 45 millions d’euros fixés comme somme de transfert par les boss de Milan, Braida et Galliani. Redevable de l’amour des supporters, le deuxième meilleur buteur de l’histoire du club italien va même passer quelques minutes dans les gradins au milieu des tifosi, une fois son départ pour la cité londonienne rendu officiel.

Sheva-noui

A Chelsea, José Mourinho impose son style depuis 2004. Longtemps appelé «boring Chelsea», le club londonien se rit des lazzis fustigeant son jeu ennuyeux et physique, il gagne. Les autres ? Ils se taisent.

Lorsque Mourinho a choisi Drogba, il savait pourquoi. Lorsque Mourinho a tout fait pour recruter Essien, il savait pourquoi. Mais l’ancien entraîneur de Porto désirait-il vraiment Shevchenko ? A y regarder de plus près, ce transfert ressemble davantage à un caprice d’homme riche qu’à une décision mûrement réfléchie. On se croirait au Real version Florentino Perez, lorsque le boss engageait un joueur en scrutant son CV et son côté bankable. Un Ballon d’Or en 2004 ? «OK, ça marche.» L’adaptabilité au nouveau milieu ? «Il s’y fera», pensait ce nouveau Darwin. La question élémentaire n’est-elle pas de savoir si le joueur va coller au système prôné par l’entraîneur ? Un coach m’a dit un jour des mots pouvant paraître dérisoire, car d’une logique implacable : «L’entraîneur va établir son système de jeu en fonction des joueurs dont il dispose, selon leurs caractéristiques. Pas question de passer par les côtés si je n’ai pas d’ailiers. Impossible de proposer un jeu rapide avec des malabars de plus d’1m90.» Limpide.
A Milan, les décrochages de l’Ukrainien amenaient un danger quasi permanent. Avec Pirlo et Kakà, l’ancien thaumaturge de Kiev était le dépositaire des schémas de jeu lombards. A Londres, Lampard et Ballack se chargent de le faire. Avec les Blues, il erre sur le front de l’attaque. Alors, Sheva rebondira-t-il ? Parviendra-t-il à retrouver ce talent et cet allant qu’on lui connaît ? Ce qui est sûr, c’est que la patience de Mourinho a ses limites et qu’il ne lui laissera plus beaucoup de temps pour trouver ses marques. S’il n’avait pas coûté aussi cher, Sheva aurait sans doute été prêté à un autre club. Mais les sommes folles engagées par Roman Abramovitch retardent l’échéance. Pour combien de temps ? Souvent relégué sur le banc des remplaçants, le buteur doit cogiter. Je pense donc je ne marque pas. Et Descartes était bien loin d’être un renard des surfaces.

Écrit par Mathias Abrecht

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