Paris – Nice 2022

Comme chaque année, Paris – Nice marque le lancement des choses sérieuses en Europe. En 2022, Primoz Roglic vainc le signe indien en s’adjugeant enfin la Course au soleil, sa première course par étapes sur le sol français après avoir perdu au dernier jour le Dauphiné et le Tour 2020 ainsi que Paris – Nice 2021. De bon augure avant le Tour de France cet été ?

Avec Primoz Roglic, il faut toujours attendre le dernier moment, l’ultime kilomètre, le dernier souffle, pour savoir si le Slovène conclura ou non sa course par étapes rondement menée jusque-là. Ce Paris – Nice 2022 ne déroge évidemment pas à la règle, lui qui a déjà laissé échapper la Course au soleil l’an passé sur la dernière étape en chutant deux fois dans la même descente au nord de Nice. Cette année, l’équipe Jumbo-Visma a fait reprendre Roglic une semaine plus tôt aux Boucles Drôme Ardèche afin que son leader retrouve plus rapidement ses automatismes dans le peloton, et qu’il évite ainsi de chuter au moment critique. La stratégie fonctionne puisque le Slovène tient bon jusqu’à la promenade des Anglais, bien aidé en cela par son coéquipier, bête à rouler et champion tout-terrain Wout Van Aert, qui lui sauve la mise sur l’ultime étape accidentée et pluvieuse dans l’arrière-pays niçois.

Mais dans une course par élimination (seulement 59 coureurs ont terminé la course sur 154 partants à cause d’une épidémie de grippe et du mauvais temps le dernier jour autour de Nice) sans grande opposition, le succès de « Rogla » est à relativiser. Son principal adversaire Tadej Pogacar n’était pas là, occupé dans le même temps à vampiriser les routes italiennes de Tirreno-Adriatico et des Strade Bianche. Et c’est justement son jeune compatriote qui se dressera sur sa route l’été prochain, dans sa quête obsessionnelle qu’il fait du Tour de France depuis qu’il a décroché son premier Tour d’Espagne il y a trois ans. D’ici là, les deux Slovènes ne croiseront pas le fer en course à l’exception des classiques d’un jour (ils viennent de courir conjointement Milan – San Remo, et se retrouveront logiquement fin avril sur la Flèche Wallonne puis Liège – Bastogne – Liège). Il faut croire que cette stratégie mutuelle d’esquive les arrange au plus haut point, eux qui adorent garder secrètes leurs forces et leurs faiblesses en toute circonstance.

Au milieu de ce début de saison écrasé par les armadas Jumbo de Roglic et UAE de Pogacar, les autres formations du World Tour mangent plus ou moins leur pain blanc. On pourra toujours débattre sur les niveaux actuels des leaders du peloton international mais il y a clairement eu un avant et un après COVID-19. Par exemple, dans le monde d’avant, des types comme Thibaut Pinot ou Romain Bardet pouvaient encore peser sur les classements généraux des grandes courses par étapes. Aujourd’hui, les deux grimpeurs français sont relégués en deuxième rideau alors qu’à les écouter, ils développent souvent davantage de watts aujourd’hui que du temps où ils montaient sur le podium du Tour de France. Tout cela pour signifier que l’époque actuelle est clairement moche et peu emballante à suivre.

A l’inverse, Christophe Laporte, modeste coursier du temps où il évoluait sous les couleurs de Cofidis, virevolte depuis son arrivée chez Jumbo-Visma cet hiver. Sur la première étape de ce Paris – Nice 2022, le Varois emmène dans sa roue ses deux leaders Primoz Roglic et Wout Van Aert dans la côte de Mantes-la-Ville pour offrir à sa nouvelle équipe un triplé gênant d’entrée de jeu. Trois semaines plus tard, Laporte et Van Aert remettront ça, ce coup-ci en duo sur l’E3 Classic. En apercevant ces images d’équipiers en échappée, on se croirait revenu au milieu des années 1990 quand la formation Gewiss assommait le Mur de Huy pour placer trois de ses coureurs sur le podium de la Flèche Wallonne. Un triplé à glacer le sang, dirigé à l’époque par le sulfureux docteur Michele Ferrari, qui annonçait là le règne peu reluisant de l’EPO pour les dix années à venir.

Avec quel produit miraculeux courent Jumbo-Visma et UAE Emirates pour écraser à plate couture ce début de saison 2022 ? De façon générale, comment expliquer que ces deux équipes associées à celles d’Ineos, Quick Step et Bahrain remportent 95% des grandes courses depuis deux ans et la fin de la majorité des contrôles antidopage suite aux restrictions de déplacement dans le monde liées à la pandémie ?  L’utilisation controversée des cétones justifierait-elle à elle seule de tels écarts de performance, ou nous prendrait-on juste pour des cons en nous cachant quelque chose de bien plus grave ?

Dans cette décennie 2020 sinistre en tout point de vue qui s’ouvre, il est pour le moment difficile d’interpréter la nouvelle donne du cyclisme sur route. A court terme, nous savons juste que les armadas Jumbo-Visma et UAE Emirates se livreront un combat total sur les routes du prochain Tour de France. Tous les observateurs du cyclisme s’accordent à dire aujourd’hui que Tadej Pogacar battra sans l’ombre d’un doute le record des cinq victoires détenu conjointement par Anquetil, Merckx, Hinault et Indurain. Mais ces mêmes observateurs dans le même temps oublient de préciser que la carrière du jeune blondinet slovène dénué de tout charisme pourrait s’arrêter d’un moment à l’autre sur un scandale de dopage généralisé. Comme Lance Armstrong à son époque, il faudra probablement dix ans de recul pour comprendre et analyser les performances stratosphériques que nous voyons depuis que le monde s’est confiné il y a deux ans à cause d’un soi-disant pangolin.

A propos Thierry Bientz 47 Articles
Après avoir parcouru 250 000 kilomètres à vélo en 20 ans, j'ai décidé de prendre un peu la plume pour raconter le cyclisme...

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