TDF 2022 : résumé

Promis de longue date au Slovène Tadej Pogacar pour la troisième année consécutive, le Tour de France 2022 sacre l’étonnant Danois Jonas Vingegaard qui prend la relève de Primoz Roglic chez Jumbo-Visma. Cette Grande Boucle aussi spectaculaire que passionnante à suivre ne saurait cacher les vitesses d’ascension délirantes atteintes cette année par les équipes Jumbo de Vingegaard et UAE de Pogacar qui ne sont pas sans rappeler les heures sombres du cyclisme des années 1990.

Le Tour en deux mots

Re-Tour vers le futur.

L’homme du Tour

Jonas Vingegaard Rasmussen. Le vainqueur du Tour de France 2022 porte curieusement comme deuxième nom le même que celui d’un certain Michael Rasmussen, compatriote peu recommandable qui s’était fait arrêter par sa propre équipe Rabobank (ancêtre de l’actuelle formation Jumbo-Visma) au sommet du col de l’Aubisque sur le Tour de France 2007, avec le maillot jaune sur le dos, à quatre jours de l’arrivée à Paris, pour de graves soupçons de dopage. Onze ans plus tôt, sur l’édition 1996 du Tour de France, qui est aussi l’année de naissance de Vingegaard, Bjarne Riis remportait l’étape d’Hautacam, comme Vingegaard cette année, avant de filer vers son seul triomphe sur les Champs-Élysées. Triomphe qu’il admettra vingt ans plus tard avoir décroché en ayant consommé de l’EPO. À travers son succès stratosphérique de 2022, Jonas Vingegaard perpétue une sorte de tradition danoise sur le Tour de France. Ses vitesses hallucinantes atteintes en montagne des Vosges aux Pyrénées font froid dans le dos pour rester poli. Reste à savoir si ce développement frénétique de watts digne d’une centrale nucléaire résistera à l’épreuve du temps, des contrôles antidopage et des différentes enquêtes de police dans le milieu du cyclisme.

Le grimpeur du Tour

Jonas Vingegaard bis. Parce que remporter le Tour de France ne lui suffisait pas, le Danois s’adjuge également le maillot à pois de meilleur grimpeur, grâce notamment à ses deux succès en altitude obtenus au col du Granon, dans les Alpes, puis à Hautacam, dans les Pyrénées. Circulez, y’a rien à voir !

Le sprinteur du Tour

Wout Van Aert. En Sierra Nevada au mois de mai 2022, je gravis à vélo la station de ski de Pradollano lorsque j’entends derrière moi un bruit ressemblant étrangement à celui d’un scooter. Je me retourne et constate que ce n’est pas un scooter… mais Wout Van Aert grimpant à 35 km/h cette ascension longue de 30 kilomètres sur son vélo profilé de contre-la-montre. Mi-homme, mi-machine comme disait son équipier Roglic après avoir conquis Paris-Nice au mois de mars, Van Aert se prépare seul en Andalousie à écraser la Grande Boucle cet été. Deux mois plus tard, il remporte trois étapes (échappé à Calais, au sprint à Lausanne, contre-la-montre à Rocamadour), finit quatre fois deuxième, une fois troisième et décroche son premier maillot vert à Paris… avec un record de 480 points récoltés en trois semaines. Qui dit mieux ? Même pas Peter Sagan du temps de sa grandeur.

Le puncheur du Tour

Wout Van Aert bis. Parce qu’il est le coureur ultime et qu’il incarne le cyclisme total, le Belge est autant puncheur que sprinteur. Il s’impose seul échappé sur la quatrième étape à Calais, maillot jaune sur le dos, après s’être isolé dans la côte du Cap Blanc-Nez, à 11 kilomètres de l’arrivée. Il récidive sur un sprint en bosse quatre jours plus tard chez nous en Suisse, sur les hauteurs de Lausanne. Un exploit rare pour un champion unique. A l’attaque quasiment tous les jours, Van Aert réinvente le Tour en permanence. En troisième semaine, il manque même de s’imposer à Hautacam dans la grande étape pyrénéenne. C’est encore lui qui propulse son leader Jonas Vingegaard dans le final pour définitivement écœurer Tadej Pogacar. Deux jours après, il parachève son triomphe sur le contre-la-montre de Rocamadour. Son récital est aussi grandiose que flippant.

L’abandon du Tour

Primoz Roglic. Comme l’an passé, le champion slovène est contraint d’abandonner le Tour de France en raison d’une lourde chute en première semaine, sur les pavés du Nord cette fois-ci, après être rentré dans une maudite botte de paille de l’organisation. L’ancien sauteur à ski semblait pourtant avoir conjuré le sort sur le sol français en ce début d’année 2002 en remportant coup sur coup Paris-Nice et le Dauphiné. Mais la Grande Boucle semble être une marche encore trop haute pour lui, d’autant plus que Vingegaard comme van Aert commencent à lui apparaître supérieur dans sa propre équipe Jumbo-Visma. A noter que Roglic après sa cabriole aurait couru pendant dix jours avec une luxation de l’épaule et deux vertèbres fracturées avant de se résoudre à l’abandon. Cela en dit long sur le courage du bonhomme. Mais cette double blessure pourrait entacher sa conquête d’un quatrième Tour d’Espagne consécutif dans un mois.

La buse du Tour

Tadej Pogacar. Avec son air de boute-en-train et de politiquement correct en toutes circonstances, le Manu Macron du cyclisme manque le triplé sur ce Tour de France 2022. En cause, son équipe UAE faible et décimée (bien que Majka puis McNulty l’emmèneront par moment à des vitesses stratosphériques en montagne) comme un probable COVID-19 contracté pendant la Grande Boucle (quasiment toute son équipe a été testée positive sur ces trois semaines alors comment aurait-il pu échapper à une infection ?). Après le désastre de l’étape du Granon où il perd près de trois minutes sur Vingegaard, il ne cesse d’attaquer ce dernier pour rattraper le temps perdu… jusqu’à chuter stupidement dans la descente du col de Spandelles. Main ensanglantée (Pogacar ne porte pas de gants car il doit se sentir à l’abri des chutes) et cuissard déchiré, il finit par céder une demi-heure plus tard sur les pentes d’Hautacam face à ce même Vingegaard. Le Tour est définitivement perdu pour lui à ce moment-là comme les Pyrénées actent son premier échec à 23 ans dans une carrière jusqu’à là traversée sans la moindre anicroche.

Le tournant du Tour

La onzième étape entre Albertville et le col du Granon. L’équipe Jumbo-Visma fait péter la course de tous les côtés. Elle envoie Roglic au charbon dès le col du Télégraphe, ce qui contraint un Pogacar isolé à sortir de sa réserve à 70 kilomètres de l’arrivée. Les attaques de Roglic puis de Vingegaard se succèdent encore dans le Galibier, Pogacar résiste. Mais une grosse heure plus tard, le jeune Slovène cale violemment dans les pourcentages à deux chiffres du Granon, sommet inédit du Tour de France (la Grande Boucle n’y était venue qu’une seule fois auparavant en 1986). Son plus proche adversaire Jonas Vingegaard lui reprend près de trois minutes en seulement cinq kilomètres. Le Tour de France vient de basculer. Pogacar ne reverra jamais le maillot jaune.

L’esthète du Tour

Wout Van Aert ter (bis deux fois). Le Belge est l’homme fort de ce Tour de France 2022. Il est aussi le plus élégant en portant coup sur coup le maillot jaune de leader et le maillot vert de meilleur sprinteur. A l’arrivée des étapes, il répond avec la même décontraction en français, en anglais qu’en flamand à la presse. Seules les questions sur le dopage l’embarassent quelque peu. Sûr de lui, Wout répète à foison que lui et son équipe néerlandaise de la Jumbo-Visma se sont entraînés comme jamais pour remporter leur premier Tour de France en pratiquant un cyclisme total digne du football total pratiqué par les Oranje de Johan Cruyff dans les années 1970. Seul le temps dira si cette belle histoire racontée aux médias deviendra une légende ou un scandale de plus dans la grande saga du Tour.

Le Tour des Suisses

Stefan Küng, Marc Hirschi, Stefan Bissegger et Silvan Dillier étaient présents au départ de cette Grande Boucle 2022 faisant un crochet de deux étapes par la Suisse à Lausanne et Aigle. Aucun Helvète ne se sera réellement mis en évidence. Après avoir contracté le coronavirus à la fin du mois de juin, Küng aura couru le Tour à 90% de son potentiel de ses propres aveux, ce qui le laissera loin du compte sur les deux contre-la-montre de la course. Hirschi, appelé de dernière minute et tombé rapidement, aura été méconnaissable et inutile pour Pogacar comme l’an dernier. Bissegger fut quant à lui le premier à chuter sur le contre-la-montre inaugural à Copenhague quand Dillier resta cantonné à un rôle d’équipier dans son équipe Alpecin. Bref, un Tour de France à oublier pour nos compatriotes.

Le coureur le plus scandaleux du Tour

Il y a eu cette année match entre Jonas Vingegaard et Wout Van Aert, deux spécimens incompréhensibles mécaniquement du cyclisme moderne. Tadej Pogacar complète ce podium peu glorieux.

L’équipe la plus scandaleuse du Tour

La dream team Jumbo-Visma. Une formation encore plus forte que Telekom dans les années 1990, US Postal dans les années 2000 ou Sky dans les années 2010 dont on sait aujourd’hui qu’elles ne marchaient pas vraiment à l’eau. Avec six victoires d’étapes et trois maillots distinctifs décrochés (jaune et à pois pour Vingegaard, vert pour Van Aert), la domination de l’équipe néerlandaise est clairement devenue gênante cette saison. Tout le monde marche au diapason chez Jumbo, même Christophe Laporte qui n’avançait pas ces dernières années chez Cofidis. La question maintenant : jusqu’où le cirque Jumbo ira t-il ?

Et si le Tour s’était couru à l’eau claire ?

Quatrième à Paris au terme d’une course héroïque, David Gaudu est clairement le meilleur des autres… à quatorze minutes du vainqueur Jonas Vingegaard. Le petit prince du Bretagne obtient enfin un grand résultat sur le Tour de France, ce qui lui permet de prendre définitivement la relève chez FDJ d’un Thibaut Pinot de moins en moins concerné par le cyclisme. Mais face à Jumbo et UAE sous kérosène depuis trois ans, il devra clairement espérer un miracle pour viser plus haut dans le futur.

A propos Thierry Bientz 47 Articles
Après avoir parcouru 250 000 kilomètres à vélo en 20 ans, j'ai décidé de prendre un peu la plume pour raconter le cyclisme...

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