Ceux qui vont faire 2020

Après une année 2019 riche en couleurs, Carton-Rouge a décidé de vous révéler en avant-première les grands moments de la saison 2020 à travers quatre personnages majeurs du cyclisme. Entre Thibaut Pinot et sa victoire héroïque sur le Tour de France, Julian Alaphilippe et son sacre mondial à Martigny, Alejandro Valverde et sa médaille d’or olympique à Tokyo, et Chris Froome et sa fin de carrière malheureuse, voici une petite mise en bouche de ce qui vous attend dans les prochains mois…

A force de choper du gros poisson l’hiver, Pinot va finir par serrer le Tour cet été.

1. Thibaut Pinot remporte le Tour 35 ans après Hinault

On l’avait quitté le 26 juillet 2019 en terrasse, à l’heure du déjeuner, abandonnant en Haute Maurienne, à 48 heures de l’arrivée d’un Tour de France qu’il semblait enfin avoir dans les jambes. Après un début de pneumopathie qui lui avait coûté le podium du Tour d’Italie en 2018, c’est une vilaine contracture à la cuisse gauche qui mettait fin à ses rêves de Grande Boucle. Anéanti psychologiquement, Thibaut Pinot concluait sa saison 2019 sur cette curieuse image de perdant émérite.

La longue coupure qu’il s’est imposée cet automne à pêcher du requin dans son étang privatisé de Haute-Saône lui a fait du bien puisqu’il marche d’entrée très fort en 2020. En effet, il remporte en février coup sur coup le Tour de la Provence (assorti d’une victoire d’étape au Mont Ventoux) et celui des Alpes-Maritimes et du Var (avec un nouveau succès en haut du Faron). Son grand rival sur ces deux courses n’est autre que le petit Colombien Nairo Quintana, transfuge de Movistar chez Arkéa-Samsic, s’apprêtant à être naturalisé breton et prendre le nom de « Nero Kintanec » au printemps en reconnaissance à ses nombreuses victoires rapportées en montagne à cette jeune équipe celte spécialisée dans le recrutement de sprinters has been comme André Greipel et Nacer Bouhanni.

Pinot ne confirme pas par la suite sur Paris-Nice et le Tour du Pays basque en raison d’un virus contracté en effectuant des câlins à ses gentils ânes dans sa ferme de Mélisey (rien à voir cependant avec le coronavirus faisant des ravages dans le monde à la même période). Après sa coupure traditionnelle de trois semaines au printemps, il revient à la compétition fin mai au Dauphiné où il semble encore en retrait. La France commence à s’inquiéter de son état de forme sans savoir qu’il cache son jeu en vue du mois de juillet.

Sur le Tour de France, le Franc-Comtois se contente de sucer les roues pendant les deux premières semaines, faisant croire au monde entier qu’il n’est pas en grande condition. Il sort finalement de sa boîte sur la 17ème étape en Tarentaise. Sur la seule montée inédite du col de la Loze, Thibaut le loser laisse sa place à Pinot le gladiateur. Ce dernier repousse tous ses adversaires à plus de deux minutes, excepté Egan Bernal qui déloge à cette occasion Primoz Roglic de son maillot jaune. Tout se joue dans le contre-la-montre final de la Planche des Belles Filles que Bernal aborde avec 20 secondes d’avance sur Pinot et 55 sur Roglic au classement général.

Sur ses terres surchauffées par le soleil et la bière, le natif de Mélisey sort le chrono de sa vie. En haut de sa montagne fétiche, il s’empare du maillot jaune pour la première fois de sa carrière avec seulement 8 secondes d’avance sur Bernal et 12 sur Roglic. La dernière étape traditionnellement calme des Champs-Elysées se déroule sous haute tension puisque les équipes Ineos et Jumbo-Visma font la guerre jusqu’au bout à la Groupama-FDJ avec ces écarts minimalistes. Pinot crève de la roue avant sur la plus belle avenue du monde et compte même jusqu’à une vingtaine de secondes de retard sur le peloton à deux tours de l’arrivée. Le Tour de France semble inexplicablement perdu lorsque Stefan Küng, au bord de l’abandon deux jours plus tôt dans les Alpes, entre en action à 70 km/h sur les pavés et ramène son leader dans les roues de Bernal et Roglic à seulement deux kilomètres du but.

Pinot remporte in extremis le Tour avec 8 secondes d’avance sur Bernal et 12 sur Roglic. Laurent Fignon s’en retrouve tout retourné dans sa tombe quand Bernard Hinault boude de ne plus être le dernier vainqueur français de la Grande Boucle. Une meute de journalistes attend le nouveau héros tricolore à sa descente du vélo. Mais au bout du rouleau, le Franc-Comtois s’effondre dans les bras de son fidèle lieutenant Sébastien Reichenbach. En larmes, il ne répondra quasiment pas à la presse de la soirée, préférant s’enfuir discrètement au Ritz avec toute son équipe pour fêter son incroyable victoire en petit comité. Sur le compte twitter de David Gaudu, une vidéo montrant Marc Madiot et Emmanuel Macron ivres-morts en train d’effectuer la danse des canards torse nu fait un buzz incroyable.

Une semaine plus tard, après une anonyme 70ème place aux Jeux olympiques de Tokyo, Pinot annonce la fin de sa carrière à seulement 30 ans, épuisé mentalement depuis des années par son métier éreintant de coureur cycliste.

Alaphilippe déjà surveillé par un gros rocher et un garde du corps en janvier à Calpe.

2. Julian Alaphilippe sacré champion du monde à Martigny

Comme lors de sa brillante saison 2019, Julian Alaphilippe débute sa campagne en Amérique du Sud. Comme l’an dernier, il reste dans la foulée une quinzaine de jours chez Álvaro José Hodeg pour s’entraîner au soleil et en altitude. Il zappe ensuite volontairement la campagne italienne (Strade Bianche, Tirreno-Adriatico et Milan-Sanremo où il avait été injouable la saison dernière) pour mieux privilégier Paris-Nice où il remporte une étape, et surtout le Tour des Flandres où il se classe troisième pour sa première participation.

Il coupe ensuite légèrement avant de réapparaître au Tour du Pays basque (deux victoires d’étapes) en vue des classiques ardennaises. Il est encore battu au sprint par Mathieu Van der Poel sur l’Amstel Gold Race mais se venge trois jours plus tard sur la Flèche Wallonne en remportant sans opposition un troisième succès consécutif en haut du mur de Huy. De nouveau grand favori à Liège, il est comme en 2018 dépassé par l’un de ses coéquipiers, ce coup-ci par le jeune prodige Remco Evenepoel dont le triomphe annonce un grand Tour d’Italie.

Comme Thibaut Pinot, il est ensuite en retrait fin mai sur le Dauphiné. Comme le Franc-Comtois, il rêve de grandeur sur le Tour de France. Julian s’empare du maillot jaune dès le deuxième jour à Nice après sa victoire sur l’étape de montagne dans le Mercantour. Il s’impose de nouveau au Mont Aigoual pour conforter son maillot de leader. Sur ce Tour de France 2020, il passera 12 nouvelles journées en jaune avant de rentrer dans le rang au Puy Mary, vaincu par la puissance de Primoz Roglic sur les pourcentages à deux chiffres du célèbre volcan du Cantal.

Aux Jeux olympiques de Tokyo, comme en 2016 à Rio, il doit se contenter d’une nouvelle quatrième place frustrante en raison de la faiblesse de l’équipe de France sur un parcours pourtant favorable aux grimpeurs. En effet, Thibaut Pinot, épuisé par sa victoire sur le Tour de France une semaine plus tôt, y finit sa carrière en roue libre tandis que Romain Bardet, en manque criant de résultats depuis deux ans, semble davantage préoccupé par l’écriture de sa thèse sur le marketing sportif intégré à l’écologie durable que par le fait de lui tirer des bouts droits dans le final.

Déçu par sa saison qu’il juge en privé moyenne (bien qu’il ait remporté huit victoires prestigieuses lors des six premiers mois de compétition), Alaphilippe remobilise le groupe France en vue du Mondial ultra-sélectif de Martigny. Réclamant que Pinot sorte momentanément de sa retraite pour l’épauler dans la côte de la Petite Forclaz jugée décisive, il obtient néanmoins l’investissement total de Romain Bardet qui décide de suspendre momentanément l’écriture de son essai loufoque afin d’être le plus efficace possible à vélo auprès de son leader et voisin auvergnat.

Les Français répètent le scénario d’Innsbruck de 2018 avec David Gaudu dans le rôle de Thibaut Pinot et Bardet en équipier de luxe d’Alaphilippe. Ces deux derniers s’isolent dans la dernière montée en compagnie de Roglic, Bernal et Valverde. Au sprint, parfaitement lancé par Romain, Julian ne fait qu’une bouchée de ses trois adversaires. A 28 ans, il est sacré champion du monde en Valais. Le soir, à Sion, dans un hôtel géré par le très douteux Christian Constantin qui s’invite même pour l’occasion car des champions y brillent, Bardet poste sur Instagram une vidéo d’allégresse en compagnie d’Alaphilippe où il hurle passablement éméché : « Loulou-Roro, l’Auvergne sur le toit du monde ». En train de taquiner la carpe à la belle étoile dans ses Vosges natales, Thibaut Pinot relaye la publication de son meilleur ennemi sans arrière-pensée.

Valverde soutenu par deux de ses deux gamins dans sa conquête de l’or olympique à Tokyo.

3. Alejandro Valverde, médaillé d’or olympique à 40 ans

L’année de ses 40 ans, Alejandro Valverde a prévenu : il axe toute sa saison sur les Jeux olympiques au Japon. On le retrouve comme chaque année d’entrée très performant sur ses terres espagnoles puisqu’il enlève consécutivement au mois de février les Tours de Valence et de Murcie. Il plafonne ensuite en mars et se manque une nouvelle fois sur les classiques ardennaises face à l’armada Deceuninck-Quick Step emmenée par Julian Alaphilippe. Il coupe en mai comme d’habitude en Sierra Nevada avant de réapparaître mi-juin sur la Route d’Occitanie qu’il remporte comme ces deux dernières saisons. Il effectue le Tour de France en guise de préparation aux Jeux olympiques.

A Tokyo, il voltige sur les 234 kilomètres du parcours et près de 5 000 mètres de dénivelé positif. S’isolant dans le Mont Mikuni situé à 30 kilomètres de l’arrivée, en compagnie de Vincenzo Nibali et George Bennett qui ont privilégié le Giro au Tour de France afin d’être plus performant au Japon, El Bala s’impose nettement au sprint sur le circuit automobile du Fuji Speedway. Présent aux JO sans interruption depuis Athènes en 2004 sans jamais y avoir décroché curieusement le moindre Top 10, le Murcian remporte ainsi la dernière course mythique qui manquait à son incroyable palmarès… à 40 années passées.

Après le Mondial d’Innsbruck en 2018, l’Espagne entière s’agenouille de nouveau devant la performance exceptionnelle de Don Alejandro, l’homme qui aura traversé toutes les époques (et les affaires de dopage) du cyclisme au 21ème siècle avec un brio déconcertant. La retraite n’étant toujours pas au goût du jour, il brille encore en fin de saison sur la Vuelta où il remporte deux nouvelles victoires d’étapes avant d’être sacré vice-champion du monde à Martigny derrière le grand favori Julian Alaphilippe.

A l’issue de cette nouvelle année extraordinaire, Valverde prolonge de deux saisons supplémentaires son contrat dans sa maison Movistar. Eusebio Unzué, le manager général de la téléphonie ibérique, aveuglé par le rayonnement interstellaire de son leader depuis 18 ans, lui signe un nouveau chèque en blanc. Nairo Quintana, Mikel Landa et Richard Carapaz, chassés comme des malpropres de Movistar fin 2019 sous les recommandations de Valverde, créent conjointement avec Greta Thunberg une pétition pour interdire les chaudières de plus de 40 ans de compétition. L’Union Cycliste Internationale, toujours dirigée par de vieux réactionnaires climatosceptiques, rejette avec fracas cette proposition innovante. Alejandro peut souffler : il pourra bien viser en 2021 un premier triomphe au Giro d’Italia à 41 ans.

Deux coureurs cyclistes sans fémur droit photographiés cet hiver sur la Côte d’Azur. Même déguisé en Primoz Roglic, Chris Froome n’a pas hésité à me faire part de ses objectifs élevés pour 2020…

4. Chris Froome positif met fin à sa carrière rocambolesque

On ne saura finalement pas quoi retenir de la carrière mouvementée de Chris Froome tellement celle-ci aura été folle et inexplicable de bout en bout. Froome, c’est d’abord un envol tardif qui débute à 26 ans sur le Tour d’Espagne 2011. Inconnu jusqu’alors au bataillon, le Kényan blanc survole la Vuelta alors qu’il n’est initialement qu’un simple équipier de Bradley Wiggins. Il finit deuxième à Madrid derrière un autre coureur douteux : un certain Juan José Cobo qui n’a rien gagné comme lui dans sa carrière avant de sprinter au sommet de l’Angliru et de Peña Cabarga sur des braquets démentiels. Huit ans plus tard, Cobo sera finalement déclassé en raison de résultats anormaux sur son passeport biologique, ce qui permettra à Froome de remporter rétrospectivement son premier Grand Tour en Espagne.

Froome, c’est aussi le coureur qui lâche (encore) son leader Wiggins dans la montée de la Toussuire sur le Tour de France 2012 et négocie en direct sur la pente, via l’oreillette, le leadership pour la Grande Boucle suivante auprès de sa direction sportive chez Sky. Froome, c’est encore le grimpeur aux démarrages foudroyants sur le Mont Ventoux en 2013 ou la Pierre Saint-Martin en 2015 à des fréquences de pédalage rappelant étrangement ceux de Lance Armstrong au début des années 2000. Moteur ou pas incorporé dans sa machine, ses différentes victoires sur le Tour de France sont toutes plus ou moins entachées de polémiques pendant 5 ans.

Lorsqu’il s’écrase contre un muret en juin 2019 au Dauphiné, on craint d’abord pour sa vie avant qu’il ne se relève intact comme toujours. Mais la cicatrisation de son fémur droit prend plus de temps que prévu (comme celui de l’humble serviteur qui vous écrit actuellement). Chris abandonne toutes les courses de début de saison auquel il prend part en 2020. Fin avril, il doit se rendre à l’évidence qu’il n’est pas prêt dans sa conquête d’un cinquième Tour de France cet été.

Au Dauphiné, il retrouve néanmoins de sa superbe en finissant parmi les cinq premiers du classement général. Son équipe Ineos l’inscrit finalement au Tour en compagnie des deux derniers vainqueurs Egan Bernal et Geraint Thomas avec qui il devra partager le rôle de leader en juillet. Mais le plan à trois initialement prévu chez les Britanniques tourne court. Trois jours avant le départ de la Grande Boucle à Nice, l’UCI révèle dans un communiqué qu’elle a de nouveau contrôlé Froome positif au Salbutamol, ce coup-ci hors compétition lors d’un stage au mois de mai à Tenerife, sur le fameux volcan Teide, où il a l’habitude de se préparer chaque année depuis qu’il brille sur les Grands Tours.

Les taux enregistrés semblent encore plus élevés que ceux sur la Vuelta 2017 ayant déclenché un premier scandale d’opinion il y a deux ans et demi. Par conséquent, les organisateurs du Tour de France n’ont d’autre choix que d’interdire Froome de prendre le départ de la course. A peine surpris, le Kényan blanc ne cherche même pas à se défendre en conférence de presse face à ces nouvelles accusations violentes. Toujours gêné dans ses performances par son fémur brinquebalant, souffrant toujours autant d’asthme d’effort que de maladies bizarres, Froome tire finalement sa révérence comme il était entré dans le monde du cyclisme il y a une décennie : par effraction et par la petite porte.

Il vend quelques semaines plus tard son luxueux appartement monégasque pour rentrer vivre dans une ferme au Kenya en compagnie de sa femme et de ses deux enfants. A la fin de l’année, il ouvre même un nouveau parc animalier dans son pays d’origine. Romain Bardet, soucieux du réchauffement climatique et de la préservation des animaux sauvages en voie d’extinction, vient lui rendre plusieurs fois visite dans sa réserve naturelle en saluant là le plus grand champion cycliste de l’histoire : celui qui lui aura empêché de remporter deux fois le Tour de France à une époque où l’intellectuel de Brioude s’entraînait davantage dans le Massif Central qu’il ne philosophait sur France Culture avec Alain Finkielkraut.

A propos Thierry Bientz 47 Articles
Après avoir parcouru 250 000 kilomètres à vélo en 20 ans, j'ai décidé de prendre un peu la plume pour raconter le cyclisme...

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1 Commentaire

  1. Ehhhh excellent, je m’y suis cru en avance de 5 mois sur les routes du Tour…
    mais tes prévisions futuristes ne sont pas complètement utopiques… j’ose pas imaginer un gaulois tout en haut de la boîte sur la ´plus belle avenue du monde ´🤣. La marseillaise sur les Champs…. ça nous rappellera un triste jour de juillet 98. …⚽️…
    forza Thibaut

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