Un Pigeon d’Or spécial VIP

Quasi-inconnu de nos lecteurs il y a quelques semaines encore, Gilbert Ysern, directeur de la Fédération française de tennis et de Roland-Garros, réussit l’exploit d’être élu Pigeon d’Or du mois de mai. Et ce grâce à une seule décision, celle d’avoir retardé les demi-finales de Roland-Garros pour permettre aux VIP de terminer leur dessert, contraignant le duel d’anthologie entre Federer et Djokovic à se terminer dans la pénombre.

Cette élection du Pigeon d’Or du mois de mai 2011 a débouché sur un duel un peu particulier puisqu’il a opposé deux candidats quasi-inconnus il y a quelques semaines et qui n’auraient sans doute pas récoltés plus de dix voix si on les avait présentés au mois d’avril. Mais voilà, tant Didier Henriod que Gilbert Ysern ont réussi à s’attirer les foudres de nos lecteurs sur une décision absurde, le non-renouvellement incompréhensible du contrat d’un entraîneur à succès pour le premier, une programmation aberrante d’un tournoi de tennis pour le second. Finalement, au terme d’un suspense insoutenable, le directeur de la Fédération française de tennis et du tournoi de Roland-Garros l’a emporté pour deux voix sur le président du Stade Nyonnais, devançant largement des candidats qui semblaient avoir davantage le profil du vainqueur pour l’ensemble de leur œuvre comme Paolo Urfer, Yannick Paratte ou Roberto Morinini.    

La kermesse franco-franchouillarde

Ancien juge arbitre de tennis mais aussi dirigeant controversé de rugby, Gilbert Ysern est directeur de la Fédération française de tennis et du tournoi de Roland-Garros. Où il perpétue joyeusement la tradition de ces grandes compétitions dévolues à la France pour des raisons historiques mais qui n’arrivent pas vraiment à différencier l’organisation d’un événement réunissant les meilleurs du monde d’une kermesse franco-franchouillarde. Un peu à l’image du Tour de France et de ses innombrables wild cards accordées à des équipes tricolores de deuxième division, juste pour permettre à France Télévision de s’enflammer sur la santé éclatante du cyclisme hexagonal lorsque quelques petits Français se seront glissés dans une échappée dont l’immense majorité du peloton se contrefiche éperdument. C’est comme si la Ligue des Champions étaient organisée chaque année par la France qui décidait d’écarter Arsenal, le Bayern Munich, Villareal et Udinese pour les remplacer par Arles-Avignon, Brest, Montpellier et Dijon…

Un premier couac

A Roland-Garros, ce n’est pas tellement le nombre de wild cards accordées aux joueurs tricolores qui pose problème, c’est de bonne guerre, les autres tournois du Grand Chelem font pareil. Et puis multiplier les derbies franco-français, ça reste le meilleur moyen d’avoir un ou deux locaux au-delà du 2e tour. Ce qui est plus gênant, c’est lorsque la programmation, pour répondre aux impératifs télévisuels, fait systématiquement passer les intérêts des Français avant ceux des meilleurs joueurs du monde. On en veut pour preuve le sort honteux réservé au choc Djokovic – Del Potro, casé en toute fin de journée après les matchs de Marion Bartoli et Jo-Wilfried Tsonga, déplacé d’un court à l’autre pour permettre au public qui avait payé pour y assister d’en apercevoir quelques bribes, tout en sachant pertinemment, dès la première balle, que l’obscurité interromprait la rencontre avant son terme. Au final, on a un spectacle tronqué par la coupure nocturne et l’un des favoris du tournoi pénalisé par l’obligation de jouer son match sur deux jours.       

Priorité aux VIP

On aurait pu souhaiter que Gilbert Ysern retienne la leçon du cafouillage Djokovic – Del Potro, surtout après la disparition prématurée de tous les joueurs français. Mais non, il y avait d’autres intérêts en jeu, tellement plus importants que ceux des meilleurs joueurs du monde ou que la régularité de jeu : le confort des VIP. C’est pour permettre à ces derniers de finir tranquillement leur dessert et éviter le spectacle de loges vides que Gilbert Ysern a décidé de différer le coup d’envoi des demi-finales de 13h à 14h. Sachant qu’il n’est plus guère possible de jouer à Roland-Garros après 21h30, qu’il faut compter une demi-heure de pause entre les deux demi-finales, quinze minutes d’échauffement avant chaque match et un quart d’heure pour soigner une blessure plus ou moins imaginaire de Nadal, ça laissait à peine six grosses heures de jeu. Ce qui ne fait pas beaucoup quand les quatre meilleurs joueurs du monde sont aux prises et qu’il y a peu de chance que les sets se concluent à 6-1 ou 6-0 en 23 minutes, ça laissait grosso modo la place pour jouer sept sets avant la nuit, pas plus.

Délocalisons Roland-Garros

La suite, tu la connais, avec l’un des plus grands matchs de tennis de la décennie, Novak Djokovic – Roger Federer, qui s’est terminé dans une quasi obscurité, avec, dès le début du deuxième set, le stress de ne pas pouvoir conclure avant la nuit. Et le risque de devoir revenir terminer le samedi, ce qui ne constitue pas franchement la meilleure préparation avant de défier Rafael Nadal en finale. Un tel irrespect du jeu et des joueurs conduit à se demander si, nonobstant l’histoire et la tradition, le Roland-Garros de Gilbert Ysern mérite toujours d’organiser un tournoi du Grand Chelem. Finalement, avec l’internationalisation du tennis, il ne se justifie plus guère de jouer deux majeurs en Europe à quelques semaines et centaines de kilomètres d’intervalle. De plus, le site de la Porte d’Auteuil est unanimement considéré comme vieillot et trop exigu, alors que les trois autres tournois du Grand Chelem ont modernisé et agrandi leurs infrastructures, même le conservateur Wimbledon s’étant doté d’un toit.

A Paris, rien ne bouge ou presque. Certes, après d’interminables querelles de clocher, un projet d’agrandissement et de modernisation au rabais a été décidé mais il est encore bloqué par des recours et ne pourra être réalisé avant 2016, date à laquelle il apparaîtra sans doute déjà comme obsolète. Alors, puisque Roland-Garros ne veut pas vraiment faire l’effort d’offrir les meilleurs conditions de jeu aux meilleurs joueurs du monde, délocalisons le seul majeur sur terre battue au Qatar, au Japon ou au Brésil, qui seraient sans doute tous ravis de payer une fortune pour accueillir un tel événement.   

Votez de 3h à 5h du matin !

Roland-Garros pourrait lui se contenter d’accueillir les championnats de France. Ainsi, Gilbert Ysern n’aurait plus besoin de se creuser la tête pour caser Nadal, Federer ou Djokovic entre deux Français et il pourrait sans scrupule programmer des demi-finales en deux sets gagnants Tsonga – Benneteau et Monfils – Chardy au milieu de deux lunchs pour VIP. De toute façon, des mecs qui ne sont pas capables de quitter leurs petits fours pour assister à un duel entre les numéros 1 et 4 mondiaux ne verront pas franchement de différence entre un Alizé Cornet – Mathilde Johansson et un Novak Djokovic – Roger Federer. Au contraire, ils seront mêmes ravis de pouvoir s’enthousiasmer avec France Télévision sur la présence de Français en deuxième semaine, sans avoir à s’encombrer des meilleurs joueurs du monde et de leurs caprices de stars, du style ne pas vouloir jouer de nuit ou terminer un match le jour où il a été commencé. Pour avoir tronqué le tournoi de Roland-Garros par ses choix de programmation aberrants, Gilbert Ysern reçoit donc le

Pigeon d’Or de mai 2011

Après Fabio Celestini, Massimo Busacca, Sacha Weibel et Sergio Ramos, le Français est le cinquième qualifié pour la grande finale du mois de décembre, pour laquelle les votes ne seront ouverts que de trois heures à cinq heures du matin pour permettre à nos lecteurs de vaquer à leurs nombreuses occupations mondaines de l’Avent sans avoir à s’interrompre pour voter sur CartonRouge.ch.
Election du Pigeon d’Or de mai 2011 – résultat final :
1. Gilbert Ysern : 147 votes – 23,7%
2. Didier Henriod : 145 votes – 23,4%
3. Yannick Paratte : 109 votes – 17,6%
4. Paolo Urfer : 108 votes – 17,4%
5. Roberto Morinini : 43 votes – 6,9%
6. Mohammed Bin Hammam : 39 votes – 6,3%
7. Usain Bolt : 28 votes – 4,5%

Écrit par Julien Mouquin (texte) et Robert Johanson (dessin)

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3 Commentaires

  1. Entièrement raison. Ce qu’il manque aujourd’hui c’est d’autres événements sportifs hors sol, sans tradition et ancrage populaire, et qui reposent sur la seule logique financière.

    Donc, Roland Garros et le Tour de France au Qatar, en salle et sous air conditionné. Comme ça, on est certain que tout commencera à l’heure et finiras à l’heure, et que tu ne risqueras pas de faire une crise d’apoplexie parce qu’un joueur suisse a dû se coucher après 21 h. 30

    Et pis, c’est certain, Europcar ne méritait pas d’être invitée sur le Tour de France.

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