Giro 2020 : résumé

Délaissé par les grands leaders en cette fin de saison particulière, le Giro 2020 aura été aussi indécis que spectaculaire pendant trois semaines. Les éliminations précoces de Geraint Thomas sur chute et de Simon Yates et Steven Kruijswijk pour test positif au COVID-19 auront eu le mérite de rendre la Course Rose plus ouverte que jamais. Celle-ci aura finalement souri à deux jeunes coureurs, habituellement équipiers dans leurs structures respectives, Jai Hindley chez Sunweb et Tao Geoghegan Hart chez Ineos. Ces deux derniers, séparés de seulement 86 centièmes au départ du dernier contre-la-montre dans la banlieue de Milan, se seront rendus coup pour coup jusqu’au fameux Dôme de la capitale lombarde. Associées à cela la révélation João Almeida, 15 jours en rose de la Sicile aux Alpes, la magie enchanteresse du col du Stelvio arpenté dans la neige, l’incertitude du tracé liée à la météo et à l’évolution du coronavirus, ce Tour d’Italie automnal aura été des plus excitants à suivre. Malgré les restrictions sanitaires et l’ambiance mortifère, Carton-Rouge était là, comme d’habitude au rapport, pour vous résumer ces trois semaines de cyclisme total de l’autre côté des Alpes.

Braquage à l’italienne : 7 étapes et la victoire finale du Giro pour Ineos Grenadiers.

1. La démonstration de force d’Ineos sans ses leaders

Après l’immense fiasco du Tour de France marqué par l’abandon de son leader Egan Bernal, l’équipe Ineos Grenadiers partait en quête de rachat à l’assaut du Giro. Si elle présentait une solide équipe au départ de Palerme, on était tout de même bien loin de la grosse armada habituellement présente lors de ses différents Tours de France.

Si l’ancienne équipe Sky a souvent écrasé la Grande Boucle, elle a rarement existé sur le Tour d’Italie, même lorsque Chris Froome était venu ici s’imposer en 2018, après une remontada impressionnante dans les Alpes en troisième semaine. Hormis le Kényan blanc, les différents leaders que Sky a aligné au départ de la Course Rose depuis 10 ans comme Bradley Wiggins, Richie Porte, Mikel Landa ou Geraint Thomas sont tous passés au travers.

Thomas, qui s’était empalé dans une moto de l’organisation en 2017 sur le Giro au pied de l’ascension du Blockhaus, revenait cet automne en tant que leader unique. Mais dès le départ fictif de la 3ème étape, il chuta lourdement en ne réussissant ce coup-ci pas à esquiver un bidon. Salement touché, le Gallois finira sa journée avec treize minutes de retard au sommet de l’Etna et ne repartira pas de Catane le lendemain.

Alors que la course n’avait toujours pas rallié le continent, l’équipe britannique n’eut d’autre choix que de se réinventer en visant dorénavant les victoires d’étapes. Filippo Ganna, le jeune champion du monde du contre-la-montre, en décrochera quatre à lui seul : les trois chronos, ainsi que la 5ème étape vallonnée en Calabre.

Dans son ombre, Tao Geoghegan Hart, lieutenant attendu de Thomas dans la montagne, commençait seulement à remonter au classement général. S’il montra le bout de son nez dans l’ascension humide de Roccaraso en fin de première semaine, il sortit réellement du bois lors de la 15ème étape se terminant à Piancavallo. Profitant de l’énorme travail de Jai Hindley dans la dernière montée (qui roulait alors encore pour son leader Wilco Kelderman), le leader de rechange d’Ineos s’imposa tranquillement dans la petite station du Frioul, tout en commençant à reprendre du temps au surprenant leader João Almeida.

Avec trois minutes de retard à l’attaque de la dernière semaine, le Britannique n’avait logiquement aucune chance de s’imposer à Milan, d’autant plus qu’il n’avait jusqu’à présent jamais rien gagné d’autre que deux pauvres petites étapes du Tour des Alpes 2019. Mais dans ce Giro automnal incertain, déserté par les grands leaders et suspendu aux conditions météorologiques difficiles comme à l’évolution du COVID-19 dans le nord de l’Italie, Geoghegan Hart attendait le col mythique du Stelvio pour renverser la table.

Au soir de l’étape reine, malgré la perte du sprint face à Jai Hindley et la prise du maillot rose de Wilco Kelderman pour 15 secondes, Geoghegan Hart avait balayé le reste de l’opposition. Lors de l’avant-dernière étape se concluant à Sestrières, il se chargea de sortir définitivement du jeu Kelderman tout en prenant sa revanche au sprint contre Hindley. Il ne lui restait plus alors qu’à achever l’Australien dans les rues de Milan, qui le devançait encore de 86 centièmes au classement général… après trois semaines et 3 482 kilomètres de course ! Réputé meilleur rouleur que le jeune grimpeur de Sunweb, qui lui aussi se retrouvait dans la position inespérée de remporter un Grand Tour en tant qu’équipier, Geoghegan Hart ne laissa pas passer sa chance dans la capitale lombarde.

Devant la célèbre Cathédrale de Milan, témoin de tant d’arrivées finales du Giro, il devenait ainsi le premier coureur en 103 éditions à remporter la course sans avoir jamais porté le maillot rose sur la route. Comme le symbole d’un braquage parfait de l’équipe Ineos Grenadiers qui aura décroché la victoire finale ainsi que 7 étapes sur 21 sans le moindre de ses leaders présents cet automne en Italie.

Qui de Hindley en blanc ou de Kelderman en rose remportera le Giro ? Réponse Geoghegan Hart !

2. Sunweb, tiraillé entre Hindley et Kelderman, puni à Milan

Partir à l’assaut d’un Grand Tour avec deux coureurs de niveau similaire a toujours été un casse-tête dans le milieu du cyclisme. Peu d’équipes s’y risquent et affirmer que Sunweb ait tenté ce pari au départ de Palerme serait un mensonge. En effet, qui pouvait savoir il y a un mois que Jai Hindley, parfait inconnu de 24 ans, s’inviterait à la table des champions en troisième semaine de course ?

Si l’équipe allemande avait volontairement délaissé le classement général du Tour de France au profit des victoires d’étapes en septembre avec Marc Hirschi et Søren Kragh Andersen, elle venait en Italie avec la farouche intention de décrocher le podium. Dans cet objectif, elle ne présentait au départ qu’un seul leader, le souvent malchanceux Wilco Kelderman, ancien lieutenant de Tom Dumoulin, et en instance de départ pour Bora-Hansgrohe.

Si le Néerlandais fut à la hauteur de l’évènement pendant deux semaines, il montra d’inquiétants signes de faiblesse dans la montée de Piancavallo où son coéquipier Jai Hindley commença à lui paraître supérieur. Ce qui semblait être un prémisse se confirma en troisième semaine, et notamment dans le redoutable col du Stelvio où Kelderman n’eut d’autre choix que de laisser filer Hindley, qui marquait au cuissard Geoghegan Hart. Dans la descente suivante, Kelderman s’en prit ouvertement à son directeur sportif Luke Roberts dans la voiture pour ne pas avoir ordonné à Hindley de l’attendre.

Même si Sunweb s’empara ce jour-là de l’étape avec Hindley et du maillot rose avec Kelderman, les écarts étaient si infimes au classement général avec Geoghegan Hart que la soupe à la grimace prédominait le soir à l’hôtel. Il fallait également choisir en interne entre l’ancien Kelderman, coureur complet déclinant de jour en jour et en partance cet hiver, et la révélation Hindley, jeune grimpeur fougueux limité contre-la-montre et futur leader le l’équipe.

Face à cette situation délicate, Luke Roberts fit le choix… de ne pas choisir. Dans l’avant-dernière étape, le manager australien (de la même nationalité que Hindley et dont Kerderman reprochait quelque part le favoritisme) adopta exactement la même stratégie que sur le Stelvio. Kelderman rapidement lâché vers Sestrières, il ne fit pas relever Hindley qui courait pourtant à sa propre perte en étant incapable de sortir de sa roue Geoghegan Hart, réputé meilleur rouleur que lui en vue du dernier contre-la-montre à Milan.

Il est sincèrement difficile de dire quelle aurait été la meilleure stratégie à adopter pour Sunweb sachant que ses adversaires de l’équipe Ineos Grenadiers dictaient implacablement la course dans les Alpes en troisième semaine, avec Geoghegan Hart mais aussi son équipier Rohan Dennis qui se découvrait là à un niveau stratosphérique en haute montagne.

Si le jeune Britannique allait finir par gagner in extremis ce Giro particulier, il le devrait en grande partie au rouleur australien qui avait quitté le Tour 2019 dans une voiture secrète à l’amorce des Pyrénées pour « sauver son couple » avant de braver le confinement en Catalogne au printemps dernier en l’exhibant fièrement sur les réseaux sociaux.

Visiblement peu à son aise en France sur son vélo comme en Espagne dans son studio, Rohan Dennis aura finalement choisi l’Italie et son Giro pour redevenir coureur cycliste. Alors peu importe l’ordre face à cette démonstration de force, l’équipe Sunweb ne pouvait terminer au mieux que 2ème (avec Hindley) et 3ème (avec Kelderman) de la Course Rose.

João Almeida, 22 ans, 1ère saison en World Tour, 1er Grand Tour, 15 jours en rose et 4ème à Milan !

3. Almeida, le nouveau crack de Deceuninck-Quick Step

Il est difficile d’apprécier Patrick Lefevere pour sa voix grincheuse, ses poches vides (d’argent mais pas forcément de sang…) et son air constamment antipathique, mais force est de lui reconnaître un don pour dénicher les nouveaux talents. Alors qu’on croyait son équipe Deceuninck-Quick Step partie pour un Giro anonyme suite au forfait de sa pépite Remco Evenepoel sur blessure (après sa terrible chute du mois d’août sur le Tour de Lombardie), Lefevere nous a sorti de son chapeau João Almeida dans le rôle d’artificier numéro 1 de la Course Rose.

A l’instar de son coéquipier Julian Alaphilippe sur le Tour de France 2019, le jeune Portugais a couru avec ses tripes de bout en bout en roulant fort en contre-la-montre, chassant les bonifications et se surpassant en montagne. A 22 ans, pour sa première saison dans l’élite mondiale et son premier Grand Tour, il a tout simplement ébloui l’Italie de toute sa classe en portant le maillot rose de leader pendant 15 jours consécutifs, de la Sicile aux Alpes, de l’Etna arrosé jusqu’au Stelvio enneigé.

On peut même affirmer que si la 18ème étape du Stelvio avait été annulée pour cause de mauvaises conditions météorologiques (ce qui n’aurait pas été un scandale tant franchir un col à 2758 mètres d’altitude fin octobre se révélait aussi aléatoire que de voir la course se terminer à Milan face à la propagation inévitable du coronavirus dans le peloton), Almeida aurait remporté ce Giro dès son coup d’essai tellement il paraissait au-dessus de la mêlée loin de la haute montagne.

Parfaitement entouré au sein du Wolfpack où tout le monde marche décidément au diapason, le Lusitanien finira 4ème de son premier Tour d’Italie en doublant lors du contre-la-montre dans les rues de Milan un Pello Bilbao épuisé par son enchaînement Tour – Giro entrecoupé de seulement deux semaines.

Formation orientée depuis toujours sur les classiques, Deceuninck continue donc de faire sa mue pour devenir progressivement une équipe de référence sur trois semaines. Son premier succès en Grand Tour se profile en 2021 que cela soit avec Remco Evenepoel revenant de blessure, Julian Alaphilippe tout juste auréolé de son maillot de champion du monde, ou maintenant João Almeida, révélation de ce Giro automnal.

Descente du Stelvio à 100 km/h en repérage de la Coupe du monde de ski alpin à Bormio.

4. Le Stelvio, Cima Coppi et tournant du Giro 2020

Les faibles écarts enregistrés lors des 15 premiers jours de compétition laissaient logiquement présager une bataille terrible en troisième semaine dans les Alpes. L’avant-dernière étape mythique avec son enchaînement redoutable des cols Agnel, d’Izoard et de Montgenèvre étant réduite à « seulement » trois ascensions de Sestrières pour cause de déferlement de coronavirus en France, la 18ème étape du Stelvio devint par conséquent l’étape reine de ce 103ème Giro.

À trois jours du dénouement, ce serait donc là, sur ces pentes fraîchement enneigées du plus haut col routier d’Italie, niché entre Lombardie et Trentin, à 2758 mètres d’altitude, que le Giro se jouerait. João Almeida comptant encore près de trois minutes d’avance, la bagarre fut lancée très tôt conjointement par les équipes Sunweb et Ineos Grenadiers voulant reprendre un maximum de temps au surprenant maillot rose.

Dès la sortie de Trafoi, à encore 13 kilomètres du sommet, on comprit donc qu’Almeida allait souffrir comme jamais. Il faut dire que Rohan Dennis devant ne ménageait pas sa peine. A tel point que seuls son leader Tao Geoghegan Hart et son compatriote australien Jai Hindley arrivaient encore à suivre une fois passé le cap des 2000 mètres d’altitude.

Les derniers favoris au départ de Sicile encore présents en course comme Vincenzo Nibali ou Jakob Fuglsang avaient eux déjà bu la tasse, confirmant que ce Tour d’Italie n’était pas ou plus le leur à 35 ans passés (Nibali restait tout de même sur 6 podiums dont 2 victoires en 6 participations au Giro cette dernière décennie).

Quant à Wilco Kelderman, il perdait lui aussi inexorablement les roues du trio infernal Dennis – Geoghegan Hart – Hindley à 8 kilomètres du sommet, laissant filer là ses espoirs de première victoire dans un Grand Tour.

Là-haut, tout là-haut, sur la Cima Coppi (le traditionnel point le plus élevé du Giro), si près de la Suisse et de l’Autriche quelques kilomètres plus au nord, il faisait froid, très froid, 3 degrés tout au plus en cette fin de mois d’octobre 2020. Rappelant la légende des forçats de la route du siècle dernier, les coureurs évoluaient au milieu des blocs de neige, dans un cadre enchanteur frôlant le surréalisme, avec ces fameux 46 virages en épingle à cheveux observables en contrebas.

Jai Hindley, lui, ne profitait guère du moment ni du paysage tellement il peinait à enfiler sa veste thermique avant de plonger tambour battant dans la descente, tel un skieur alpin. Il manquera même de trébucher à plusieurs reprises dans du 10% en montée, ce qui lui aurait probablement coûté une fracture du col du fémur suivi d’un licenciement abusif de son employeur pour cause de sabordage inexplicable…

Il n’en fut heureusement rien puisqu’une heure plus tard, le jeune Australien remportait l’étape aux lacs de Cancano devant Geoghegan Hart au sprint. Derrière, les écarts seraient phénoménaux et redistribueraient complètement les cartes à trois jours de l’arrivée à Milan. João Almeida, l’ancien leader de la course, finirait même à 5 minutes de Jai Hindley, perdant ainsi tout espoir de remporter le Giro après 15 jours héroïques en rose.

Sur ce Giro automnal, Démare aura avalé tous les sodas et sprinteurs présents sur sa route.

5. Le festival d’Arnaud Démare

Cette année particulière restera une moisson exceptionnelle pour Arnaud Démare, voire une anomalie. Lui qui ne gagnait peu ou plus depuis plusieurs saisons aura réussi une razzia post-confinement impressionnante avec pas moins de 14 victoires en 3 mois, ce qui en fait le sprinteur (et également le coureur) le plus prolifique de cette saison 2020.

Avant de se présenter au départ du Giro, le Picard avait déjà levé les bras à 10 reprises en s’adjugeant notamment la classique Milan-Turin devant tout le gratin du sprint mondial et un troisième championnat de France dans la foulée. Écarté du Tour de France pour favoriser les desseins d’un Thibaut Pinot rapidement en souffrance, Démare aura survolé les quatre sprints massifs disputés cette année en Italie. Un Quatre à la suite d’anthologie que Julien Lepers n’aurait pas renié en son temps.

Cette razzia lui aura également permis de s’octroyer pour la première fois de sa carrière le fameux maillot violet cyclamen, synonyme de meilleur sprinteur du Giro, devant un Peter Sagan bougon et de mauvaise foi comme souvent dans la défaite. A 30 ans, le fantasque Slovaque faisait ses débuts sur le Giro contre un million d’euros de l’organisateur RCS, habitué à faire venir comme de tout temps des rockstars en Italie contre un gros paquet de fric. Largement dominé au sprint par Démare, Sagan aura dû attendre la 10ème étape menant à Tortoreto pour s’imposer en solitaire après une échappée fantastique.

Comme ce dernier, les mauvaises langues diront que Démare évoluait cette année en Italie sans réelle opposition. S’il est vrai que les meilleurs sprinteurs du monde étaient absents, ou tout simplement en méforme comme Viviani ou Gaviria, le coureur de Groupama-FDJ aura quand même fait le job de l’autre côté des Alpes en s’imposant à quatre reprises, soit un total plus atteint par un Français en Grand Tour depuis un certain Laurent Jalabert sur la Vuelta 1995 (le leader de la ONCE avait alors survolé le Tour d’Espagne en décrochant 5 succès d’étapes, la victoire finale ainsi que les classements par points et de la montagne) au paroxysme des années EPO.

Après avoir conquis le maillot cyclamen manqué d’un rien l’an passé face à Pascal Ackermann au terme d’une stratégie suicidaire dans la banlieue de Venise, Démare désire maintenant avoir les coudées franches sur le Tour de France pour remporter le fameux maillot vert cher à Peter Sagan. Cela devrait intervenir logiquement dès l’été prochain puisque Thibaut Pinot semble davantage préoccupé ces derniers mois par l’état de son dos suite aux multiples galipettes effectuées avec ses ânes, ses chèvres et sa Charlotte dans sa ferme de Mélisey que par l’idée de remporter un jour la plus grande course du monde.

A propos Thierry Bientz 47 Articles
Après avoir parcouru 250 000 kilomètres à vélo en 20 ans, j'ai décidé de prendre un peu la plume pour raconter le cyclisme...

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