Remco Evenepoel, le nouveau cannibale

Handicapé près d’un an par une lourde chute au Tour de Lombardie 2020, Remco Evenepoel aura dû patienter jusqu’à cette saison pour prendre son véritable envol chez les professionnels. Vainqueur d’un Grand Tour (la Vuelta), d’un Monument (Liège-Bastogne-Liège) et champion du monde à Wollongong en Australie, le jeune Belge aura réussi à 22 ans un triplé retentissement que seuls Hinault en 1980, Merckx en 1971 et Binda en 1927 avaient réalisé avant lui. Un premier accomplissement avant de tout gagner ces prochaines années ?

Remco Evenepoel est un ovni, un objet volant non identifié, qui ne s’embarrasse pas de respecter ou non l’histoire du cyclisme. En effet, le garçon est tellement au-dessus du lot qu’il peut courir à sa guise en permanence, d’une façon souvent maladroite, sans que cela ne le pénalise outre-mesure dans ses résultats de super champion en devenir. Là où ses adversaires vont mûrir tactiquement leur seule attaque de la journée, Remco va démarrer lui où il veut, quand il veut, sans se soucier de qui prendra sa roue ou non. Car même dans son sillage, le jeune Belge, allongé de tout son corps sur sa machine, sait que très peu d’adversaires pourront tenir son rythme tellement il développe de puissance et tellement l’abri qu’il procure à ses concurrents est minime.

Evenepoel a toujours opéré ainsi depuis ses débuts dans le cyclisme à 17 ans chez les juniors. Il a également toujours gagné de cette façon tellement il est largement supérieur aux autres coureurs de sa génération. Remco, c’est avant tout le prénom d’un footballeur qui a fini par s’emmerder sur le rectangle vert. Le jeune Belge était pourtant promis à une brillante carrière quand on voit toutes les sélections avec les équipes nationales belges qu’il a décrochées dans sa jeunesse. Mais au foot, il n’était pas la star de son équipe et il ne supportait clairement plus de voir ses performances altérées par celles de ses coéquipiers défaillants. Alors un jour, il a lâché le ballon rond pour le vélo, pour tout contrôler de A à Z, ne plus dépendre de untel ou untel, et au final ne s’en vouloir plus qu’à lui-même si échec il devait y avoir.

Mais échec, il n’y en aura peu ou pas malgré la pression incroyable que place sur lui la presse belge depuis 2018 en le comparant avant même son arrivée chez les professionnels au plus grand champion cycliste du plat pays, qui est au passage également le plus grand cycliste de tous les temps, à savoir le Cannibale Eddy Merckx.

Comparer Evenepoel à Merckx dès ses débuts dans le cyclisme n’a jamais eu de véritable sens à mes yeux, si ce n’est de mettre en avant la trop longue attente des Belges à revoir un des leurs remporter un Grand Tour, eux qui sont sevrés de succès dans les courses majeures depuis maintenant 1978 et la victoire de Johan De Muynck sur le Giro.

En réalité, le jeune Remco n’a pas grand-chose à voir avec le vieil Eddy. C’est un footballeur de formation, un type froid, méthodique et sûr de lui qui répond davantage aux attaques de la presse en mode bulldozer à l’instar d’un Zlatan Ibrahimovic que de façon lisse et inconsistante comme son coéquipier Julian Alaphilippe.

Sa première saison chez les professionnels en 2019 est un récital à seulement 19 ans puisqu’il remporte cinq victoires dont le Tour de Belgique, la Clasica San Sebastián et le championnat d’Europe du contre-la-montre.

Il confirme en 2020 en décrochant d’entrée les Tours de San Juan et d’Algarve. Puis le coronavirus se répand en Europe et déclenche l’arrêt de toutes les compétitions pendant cinq mois. À son retour au mois de juillet, Evenepoel est toujours aussi dominant puisqu’il remporte coup sur coup les Tours de Burgos et de Pologne. Un quatre à la suite hallucinant qui doit l’emmener tranquillement jusqu’au départ de son premier Grand Tour en octobre, le Tour d’Italie.

Mais avant le Giro, il y a comme point de passage le Tour de Lombardie à cocher, le premier Monument auquel il prend part chez les professionnels. Evenepoel y chute lourdement dans la descente du mur de Sormano, à 40 kilomètres de l’arrivée. Commettant une erreur de trajectoire à l’entrée d’un pont en pierre, son vélo heurte le parapet et le projette une dizaine de mètres en contrebas. Le bilan est lourd : fracture du bassin, contusion au poumon et fin de saison prématurée. Les premières images du jeune Belge à l’hôpital font peur : il ne peut même pas marcher.

Deux mois plus tard, il est pourtant de retour à l’entraînement sur les routes humides de son enfance à Schepdaal, dans le Brabant flamand. Quelques semaines plus tard, il s’exile temporairement près d’Alicante, dans le sud-est de l’Espagne, pour retrouver le plus rapidement possible sa condition physique d’avant sa chute, loin des caprices de la météo et de la pression médiatique belge.

Evenepoel renoue avec la compétition en mai 2021 directement sur le Tour d’Italie, ce qui est une double erreur puisqu’il n’a pas encore récupéré complètement de ses blessures et parce que le Giro est la plus exigeante des courses de trois semaines. Il abandonnera au départ de la 18ème étape après s’être fait larguer au classement général dans la deuxième partie de course.

Remco ne va pas cogiter bien longtemps pour autant. Un mois plus tard, il remporte son second Tour de Belgique puis le Tour du Danemark. Toujours pas totalement rétabli de ses blessures, il préfère délaisser les Grands Tours jusqu’à nouvel ordre pour mieux se reconstruire physiquement.

En fin de saison, le jeune prodige brille quasiment sur toutes les courses auxquelles il participe. Il décroche la médaille de bronze sur les contre-la-montre des championnats d’Europe puis du monde une semaine plus tard. Sur la course en ligne des championnats d’Europe à Trente en Italie, Evenepoel est le plus fort mais il n’arrive pas à se défaire de l’ombre encombrante du régional de l’étape, un certain Sonny Colbrelli. Remco s’emporte à plusieurs reprises contre son adversaire qui refuse de collaborer avec lui dans le final pour mieux le régler au sprint. Deuxième, le jeune Belge est écœuré sur le podium.

Une semaine plus tard au Mondial de Louvain, chez lui en Flandre, il ne respecte pas les consignes d’équipe en attaquant à 180 kilomètres de l’arrivée. Sa stratégie est un échec comme celle de toute la sélection belge qui voit Jasper Stuyven, son meilleur représentant, ne finir que quatrième sur ses terres.

Qu’importe, l’année 2022 sera celle de la consécration à seulement 22 ans. Pourtant, Evenepoel n’est pas rayonnant en début de saison puisqu’il est dominé à la fois sur les Tours de la Communauté valencienne, de Tirreno-Adriatico, du Pays basque et de Suisse. Mais fin avril, il sauve son printemps comme celui de son équipe Quick Step en décrochant la mythique classique Liège-Bastogne-Liège, son premier Monument, après une attaque fulgurante à 30 kilomètres du but dans la côte de la Redoute.

Pendant que les cadors s’époumonent sur le Tour de France, Remco prépare lui sa fin de saison dans la quiétude de Livigno, au cœur des Alpes italiennes. À son retour à la compétition, il écrase la Clasica San Sebastián de toute sa puissance. Ce triomphe annonce un été torride en Espagne. Alors que les journalises débattent sur la meilleure stratégie pour lui à adopter sur cette Vuelta, Evenepoel ne s’embarrasse d’aucune considération tactique. Dès que la pente s’élève, il se place invariablement en tête du groupe des favoris et développe plus de 420 watts de puissance tel un métronome grâce à son capteur de puissance. La conséquence est immédiate : tous ses adversaires pètent un à un de sa roue. La Vuelta est pliée au bout de neuf étapes et son passage dans les monts Cantabriques. Malgré une alerte en fin de deuxième semaine dans la Sierra de la Pandera, deux jours après une chute évitable, Evenepoel décroche à Madrid son premier Grand Tour.

Premier Monument décroché à Liège en avril et premier Grand Tour conquis sur la Vuelta en septembre, Remco pourrait terminer sa saison sur cette douce note ibérique mais non, il préfère prendre un avion dès le lendemain pour Wollongong, en Australie, afin d’y disputer les championnats du monde. À l’entraînement à l’autre bout du monde, il est attaqué par une pie, seul être vivant capable de réellement le menacer en 2022. Sur le contre-la-montre, il finit troisième avant d’écraser la concurrence une semaine plus tard sur la course en ligne en s’imposant avec plus de deux minutes d’avance sur le reste du peloton, comme du temps où il courait chez les juniors. La presse est maintenant unanime sur la domination de Evenepoel. Même Wout Van Aert, son coéquipier d’une semaine sous la tunique belge et adversaire le restant de l’année, lui tresse des louanges, un an après le fiasco de Louvain.

Mais le succès appelle l’excitation et juste après avoir décroché le fameux maillot arc-en-ciel tant convoité, le monde du cyclisme réclame déjà la présence de Remco sur le prochain Tour de France, Tadej Pogacar en tête, alors que le nouveau cannibale est prévu de courir de longue date le Giro 2023 qui comporte 70 kilomètres de contre-la-montre. Pour le moment, Evenepoel botte en touche sur sa présence ou non en juillet prochain sur la Grande Boucle.

Juste après avoir conclu sa brillante saison riche de 15 succès, il se marie avec sa compagne Oumii et déménage dans la foulée près d’Alicante, là où il passait déjà depuis trois ans la majorité de ses hivers à s’entraîner sous le soleil méditerranéen de l’Espagne.

Remco Evenepoel n’a aujourd’hui pas encore 23 ans. Enfin rétabli de sa lourde chute du Tour de Lombardie 2020, il peut envisager maintenant gagner toutes les plus grandes courses auquel il participe dans les prochaines années, à savoir les trois Grands Tours comme les cinq Monuments du cyclisme. Aucun coureur n’est parvenu à accomplir un tel exploit excepté… Eddy Merckx dans les années 1970.

Pour cela, le jeune champion devra gérer au mieux son calendrier et ne pas griller les étapes comme les médias lui suggèrent. Viser d’abord le Giro et le remporter selon toute vraisemblance dès le mois de mai prochain pourrait lui permettre de se concentrer intégralement sur le Tour de France à partir de 2024, une conquête qui pourrait lui prendre plusieurs années face à la féroce concurrence actuelle. De plus, se focaliser sur la Grande Boucle aux dépens du Giro et de la Vuelta présente également l’avantage de pouvoir courir toutes les classiques d’un jour sans la moindre retenue, à commencer par les quatre Monuments du printemps (San Remo, Flandres, Roubaix et Liège).

Évidemment, tout ceci n’est que spéculation et par expérience, le jeune Belge sait que tout peut s’arrêter en une fraction de seconde comme en août 2020 dans le ravin d’un viaduc lombard. Gagner énormément dès le plus jeune âge, comme Tadej Pogacar ou Egan Bernal, lui permettra t-il également de durer dans le temps à un très haut niveau de performance ? Beaucoup de questions à cette heure et finalement encore peu de réponses tellement la trajectoire de Remco Evenepoel, le nouveau cannibale passé du football au cyclisme au milieu de l’année 2017, reste aussi inexplicable qu’hallucinante.

A propos Thierry Bientz 47 Articles
Après avoir parcouru 250 000 kilomètres à vélo en 20 ans, j'ai décidé de prendre un peu la plume pour raconter le cyclisme...

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1 Commentaire

  1. C’est un drogué.
    Je suis d’accord qu’il a du talent. Mais au vu de l’équipe et de la façon dont il court et des watts qu’il développe, c’est juste pas humain.
    A chaque fois qu’un mec dépasse tous les autres c’est suspect. J’aimerais voir ce que ça donne contre les deux autres HC du peloton, a savoir Pogi et Vingegaard

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