Russo ou les rêveries d’une promeneuse solitaire

La rédaction aussi genrée que mauvais genre de Carton-Rouge est composée de 15 individus mâles binaires (foot-hockey donc), n’a pas accueilli de rédactrice depuis six ans (une sombre histoire d’hymne national espagnol avait laissé le boss de l’époque sans voix) et a récemment eu l’outrecuidance de gifler verbalement les ladies de la Green and White Army avec toute la violence machiste qui la caractérise. Il n’en fallait pas plus pour que l’envoyé spécial de votre site préféré en rase campagne de Perfide Albion en arrive une nouvelle fois à une conclusion manifestement limpide: qui d’autre que CR pour vous narrer les exploits des escouades féminines anglaise et suédoise (ce pays nous suit décidément partout) en demi-finale de l’Euro 2022 depuis les tribunes du flambant neuf Bramall Lane, antre de Sheffield United depuis… 1889 ? Oui, cher-chère-s-x lecteur-lectrice-s-x, tu l’as deviné, voilà qui fleure le progressisme à plein nez (au moins autant que dans l’article de mercredi dernier dont on a sauvagement paraphrasé le chapeau par pure flemme).

Le contexte

Le gazon anglais que l’on a l’habitude de visiter chaque été ou presque se trouve près de 300 km plus au sud et on y pratique une quinzaine durant un sport autrement plus racé que celui qui nous occupe ici (qui est d’ailleurs surnommé the beautiful game pour des raisons qui dépassent l’entendement).

Toute bonne chose a cependant une fin. Se coltiner ad nauseam un naturopathe serbe et un presque quadragénaire espagnol dont la vitalité actuelle s’apparente à celles combinées de Gaston Lagaffe et sa Fiat 509 passe encore. Les voir encore, encore, encore ET ENCORE année après année se jouer de victimes expiatoires juvéniles les unes après les autres selon un scénario aussi éculé que pathétique (même si le pied endormi et la déchirure abdominale ajoutent un peu de sel bienvenu dans notre plaie béante) a fini par nous convaincre de nous exiler cette année.

L’Anglais lambda maniant la métaphore avec autant d’aisance que la pinte houblonnée, une expression nous a forcément inspiré: « to be sent to Coventry », qui signifie être ostracisé dans la langue (pâteuse) de Paul Gascoigne. Comme le Warwickshire n’accueillait pas de match de l’Euro, il ne nous restait plus qu’à pousser jusqu’à Sheffield…

Le trajet

… écouteurs sur les oreilles et musique à plein tube dans une vaine tentative d’ignorer un couple assis derrière nous dans l’intercity de 14h02 dont les reniflements incessants trahissaient des muqueuses aussi encombrées que Westminster un week-end de jubilé royal.

Rien à voir avec le covid, hein. Tout comme notre voisine dans l’Eurostar Paris-Londres de la semaine dernière qui était bien trop proche de rendre son dernier glaire pour que ce ne soit pas au moins une broncho-pneumopathie chronique obstructive ou des origines néerlandaises. Pas de stress donc. 

Se planter de 120 km, ça peut arriver à tout le monde…

Pas de stress non plus pour un voyageur blond monté à Derby et grognant dans une langue suffisamment incompréhensible au téléphone pour passer pour quelqu’un devant se rendre à Sheffield soutenir une équipe jaune et bleue. Et soudain, à 6 minutes de l’arrivée, c’est le drame. « Excuse me, is this train passing through Peterborough ? » s’enquiert soudain notre placide nomade auprès du couple nasillard susmentionné. « No, Sheffield. You’re on the wrong train », lui répond-on. Dans sa panique subite, notre homme en oublie un objet sur son siège, que l’on s’empresse de lui rapporter. Si on vous dit que ledit objet était un… GPS de voiture TomTom, vous allez probablement rétorquer qu’on a perdu la carte, à l’image de notre infortuné compagnon de route, qui était lui complètement à l’ouest (littéralement). Et pourtant il y a des choses qui ne s’inventent pas.

Le cadre

Si Coventry est modestement considérée comme la ville la plus hideuse du Royaume (être la cible principale du Blitz de 1940 n’a pas aidé), Sheffield n’a pas grand chose à lui envier (être l’autre victime principale du… enfin bref). On ne parle évidemment que de l’aspect visuel puisqu’au niveau du son, la cité du South Yorkshire a enfanté le groupe des Arctic Monkeys il y a de cela 20 ans. Oui, 2002 c’était il y a vingt ans et vous êtes tous VIEUX. De rien.

« – Il se passe un truc en ville ce soir ? – Après 18h ? Ça m’étonnerait ! »

Cela dit, le dépaysement est total: 11 degrés le matin, 21 au plus fort de la canicule et tout ferme aux environs de 17h48. Ça fait quand même pas mal d’heures de slalom entre les grèves nationales des chemins de fer britanniques pour finir par se retrouver dans la Vallée de la Brévine.

Même le recyclage a fait beaucoup de progrès dans la région depuis les années Thatcher.

Le match Le tournoi en deux mots

Sarina Petronella Wiegman. Ça fait trois mots et elle n’utilise d’ordinaire pas son deuxième prénom, mais nous on le trouve rigolo.

La sélectionneuse néerlandaise de l’Angleterre a posé sa patte sur cet Euro 2022 (pas étonnant pour une dresseuse de Lionnes, nous direz-vous). Après avoir amené les Pays-Bas sur le toit de l’Europe en 2017 et en finale de Coupe du monde en 2019, elle en a fait tranquillement de même avec sa nouvelle formation. Le tout en ne changeant pas son onze initial une seule fois, et ce malgré les performances souvent salvatrices de ses jokers de luxe qui auraient pu se frustrer de ne pas finir par obtenir une place de titulaire. Comme il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, on imagine qu’on a affaire à une imbécile heureuse sur ce coup.

La femme du match

Lauren Hemp. On aurait pu, comme l’UEFA, accorder cette distinction à Beth Mead ou encore à plus ou moins deux tiers du contingent des Lionnes, à commencer par Alessia Russo, Fran Kirby ou Ella Toone (qui n’a rien fait de spécial mardi soir, mais qui a vraiment un nom cool). On a choisi la joueuse qui nous enchante le plus depuis le début de la compétition, autant pour l’ensemble de son oeuvre que pour ses arabesques du soir sur son côté gauche, impliquée sur absolument toutes les réussites de son équipe. Une vraie (r)hemp de lancement.

La buse du match

Mme Staubli, l’arbitre suisse de la rencontre, qui a osé sortir de sa neutralité pour faire appliquer des règles édictées par la communauté internationale à deux belligérants. Blague à part, malgré un carton évident oublié sur une faute d’anti-jeu manifeste de Nathalie Björn (10ème), notre dernière compatriote en lice a rendu une copie propre. Ce n’est pas pour en faire tout un fromage, mais on est soulagé qu’un cliché national ait tout de même fini par être respecté.

Un match qui a d’abord été passablement haché.

La chouette du match

Hedvig (Lindahl), évidemment. La portière scandinave est (peut-être) coupable sur le 3-0 dont on reparlera et (certainement) à la ramasse sur le 4-0 de Kirby (77ème). Il faut dire que malgré son statut de volatile nocturne, elle n’avait pas la chance d’être guidée par la locale de l’étape, l’étincelante Millie Bright, véritable phare dans la nuit de Sheffield pour la défense anglaise, tant la présence tout en sobriété (un comble dans ce pays) de l’ancienne junior du cru semblait édifiante pour ses camarades. Au rayon des autochtones, on n’oubliera pas la joueuse formée à Leeds qui évoluait à ses côtés. Une Rachel Daly des grands jours.

Le tournant du match

Clairement l’ouverture du score locale (Beth Mead, qui a décidé à la 34ème qu’elle avait assez fermenté en inscrivant son 6ème but en 5 matches). Les Suédoises s’étaient montrées plus dangereuses jusque-là, avec notamment une tête de Stina Blackstenius sur la barre à la 9ème minute, même si la possession était majoritairement anglaise. Et puis… plus rien. A défaut d’être gravé dans la roche, le résultat était coulé dans le Bronze (Lucy de son prénom, 2-0 à la 48ème minute).

Comme vous pouvez le voir ci-dessus, le « placement » suédois sur le 2-0 est plus qu’intéressant entre le télescopage qui libère Bronze et la phalange droite de la défense qui se prête à l’art britannique de la file indienne, le tout en coupant le hors-jeu de Hemp (11) pour faire bon poids. Il faudra renvoyer la notice de montage à la maison mère de Delft pour révision.

L’esthète du match

Alessia « Supersub » Russo. Celle qui n’a pas débuté un match de tout l’Euro a comme à son habitude fait son entrée en cours de rencontre et immédiatement offert un caviar à Hemp qui a littéralement traversé une Glas transparente pour ajuster la barre (57ème). 11 minutes plus tard, la star de Manchester United marquait son quatrième but du tournoi (68ème, 3-0), et quel but ! On vous laisse savourer:

Dans ce règlement de comptes à Bramall Lane, on aurait aussi pu citer Mary « Wyatt » Earps, qui a envoyé Blackstenius se faire pendre ailleurs en détournant de manière acrobatique un tir qui avait tout du last chance saloon pour la Suède alors que le score était de 2-0 (65ème).

Le geste pourri du match

Il est l’œuvre des sombres individus qui vendent encore ces engins du diable appelés vuvuzelas 12 ans après la Coupe du monde en Afrique du Sud. Foutez-vous le feu. 

Les chiffres à la con

1) 1970. Comme l’année au cours de laquelle la FA a décidé de lever l’interdiction de jouer au football qui pesait sur le genre féminin du Royaume depuis 1921. Mais pas trop quand même. « The British Independents », une équipe d’Angleterre officieuse, se rendent au Mexique en 1971 pour une Coupe du monde non moins officieuse. Pas de bol, la fédération anglaise n’avait pas autorisé ce voyage et les joueuses incriminées recevront entre trois et six mois de suspension pour toute récompense, alors que leur coach sera banni du milieu à vie et finira kiosquier à Luton.

Il est à noter que les membres potentielles de la Nati féminine s’en footaient un peu à l’époque, puisqu’elles étaient probablement occupées à enfin obtenir le droit de vote garanti depuis 1928 pour leurs homologues insulaires.

Comme à l’Euro 92, des touristes danoises s’étaient imposées.

On vous racontera encore qu’à l’origine, la FA avait décidé d’interdire le football féminin à la suite de l’énorme succès d’une équipe nommée Dick, Kerr Ladies. Bon d’accord, c’était les employées de l’entreprise de construction de locomotives Dick, Kerr & Co., mais c’est quand même un peu comme si la section féminine de YB s’appelait les Young Boys Frauen. 

Ce serait complètement con.

2) 1700. Comme le nombre de vinyls que possède Peter Gerhardsson, le mélomane coach suédois. ABBA les stats, parlons plutôt musique.

L’anecdote

Rien à voir avec cette demi-finale, mais s’il ne fallait garder qu’un lieu emblématique de ce tournoi, ce serait le QG de l’équipe de France: Ashby de la Zouch (/ˈæʃbidələˈzʃ/), petite bourgade d’un peu plus de 12’000 âmes perdue au milieu de nulle part entre Nottingham et Leicester. Son histoire est aussi fabuleuse que son nom et Wikipédia la raconte bien mieux que nous:

Contrairement à la Nati qui ne vérifie même pas si le terrain est praticable avant de choisir son camp de base, les Bleues n’ont pas sélectionné le leur au hasard a priori.

Et sinon dans les tribunes ?

Oh, le calme plat.

Non, ceci n’est pas de l’auto-promo de bas étage, mais bien le seul moyen qu’on a trouvé pour faire apparaître notre vidéo correctement sur ce suppôt de Satan qu’est le logiciel WordPress.

La minute Pascale « c’est bien fait ! » Blattner

On ne sait pas si elle a regardé le match, mais franchement, à sa place on aurait été ravi d’enfin assister à une défaite suédoise depuis la Suisse et on l’aurait fait savoir haut et fort à l’antenne !

La rétrospective du prochain match

It’s not coming home.

L’Angleterre est sur le point de manquer à une tradition britannique ancestrale: celle qui consiste à presque-gagner-mais-quand-même-juste-pas. Par respect pour Tim Henman, Stirling Moss et Sunderland, les Lionesses vont donc se vautrer en finale à Wembley le 31 juillet prochain. Si c’est face à l’Allemagne, la capitaine Leah Williamson s’adressera probablement aux médias en ces termes: « Le football se joue à 11 contre 11 et à la fin c’est… » Vous voyez où on veut en venir. 

Rob Smyth, le docte préposé au live du Guardian, est lui aussi brutalement revenu à la raison à 22h14.

Mais avant la désillusion annoncée, on s’accordera un instant pour se replonger dans cette nuit torride (ouais euh enfin façon de parler hein, il faisait 13) du 26 juillet 2022 à Sheffield, au coeur de laquelle on a pu entendre une petite fille radieuse expliquer à un interlocuteur téléphonique sur le chemin du retour que l’Angleterre l’avait emporté 4-0 (« Did you see Russo’s goal ? ») puis se tourner vers sa mère dans une crainte soudaine (« Have we got it on video ? »).

C’est vrai que ce serait quand même con de ne pas garder un souvenir de ce moment charnière pour le foot féminin local, celui qui a peut-être créé des vocations chez quelques dizaines de futures Alessia Russo (Alessie Russi au pluriel ?) dans le South Yorkshire, à une centaine de kilomètres à l’est du Lancashire, où sévissait le Dick, Kerr Ladies FC entre 1917 et 1965. Au risque de se faire limoger séance tenante pour excès de romantisme, on vous dira même qu’on rentre avec l’impression d’avoir vécu quelque chose de pas banal. L’ataraxie chère à Jean-Jacques R. serait-elle proche ?

Un truc qu’on a appris par hasard deux jours après publication et qui nous a bien fait marrer

Figurez-vous que les locataires de Bramall Lane, Sheffield United, avaient les supporters les plus monomaniaques du pays lors de la saison 2006/2007. Comment le sait-on ? La page Wikipédia du club nous informe que les fans en question pensaient en moyenne 110 fois par jour à leur équipe préférée en ce temps-là. On ne vous dira pas comment il est possible d’affirmer une telle chose puisque la source de l’étude est le China Post, étrangement défunt journal anglophone établi à Taïwan dont le site n’existe étonnamment plus non plus…

On ajoutera simplement qu’au sein d’une cohorte de célébrités suivant le club, Sean Bean, lui-même natif de la ville de l’acier, figure en bonne place.

A propos Raphaël Iberg 175 Articles
"Chaque matin on prend la plume parce que l'on ne peut plus faire autrement sous peine de malaise, d'inquiétude et de remords." Maurice Leblanc

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