Kelly-stoire !

Revivez avec nous le plus grand seul exploit du foot anglais depuis 1966 avec quelques extraits de notre journal pas intime pour un sou en direct d’un pub d’Oxford dont l’ambiance était aussi échevelée que celle d’une bibliothèque universitaire une veille d’examen. L’endroit parfait pour renvoyer la Mannschaft (qui vient d’ailleurs de renoncer à ce surnom « trop arrogant », ça tombe bien) à ses chères études. Que faisait-on dans le berceau britannique des privilèges en tous genres (mais surtout masculins et toxiques) alors que Wembley nous tendait les bras ? Vous demanderez à nos potes qui unissent leurs destinées dans la miteuse masure qu’est la Bodleian Library un 1er août pourquoi on n’arrête pas d’oublier leur numéro de compte bancaire pour le cadeau de mariage…

13h12: On vient de se procurer le Sunday Telegraph. Ce qui est bien c’est qu’ils ne mettent aucune pression à leur équipe. Gasquet en couv’ à 9 ans, ils n’y penseraient même pas. Ben oui, 9 ans c’est déjà presque tard pour bien se familiariser avec la date du dernier triomphe de Fred Perry à Wimbledon, le nombre exact de demi-finales perdues par Tim Henman et surtout soigneusement ignorer la victoire de Virginia Wade en 1977. Gasquet n’avait que 1983 à apprendre par coeur après tout.

Bon, tant qu’on respecte l’adversaire, ça va.

On tire à balles réelles, si on ose dire.

Tiens, d’ailleurs on a bien fait de ne pas attendre H-1 avant de décider de faire un peu de lecture d’avant-match:

« Support ». Il n’y avait pas la place de mettre « watch the game through their shaking fingers while sweating profusely and cursing loudly in the general direction of the TV ».

16h15: H-45 minutes. On fait notre entrée au Royal Blenheim au milieu d’une foule déjà compacte. Quel engouement précoce pour cette finale histo… ah non pas du tout, il y a du cricket à la télé.

On demande fébrilement au responsable de la confection du breuvage tiédasse et sans gaz servi en ces lieux s’il pense que ce machin sera fini d’ici 17h, échaudé que l’on est par le peu qu’on croit savoir de la durée potentielle d’un match de cricket. Sa réponse est un tel concentré de culture sportive anglaise qu’elle mérite d’être rapportée ici dans son intégralité et en version originale: « Oh yeah. We’re showing cricket against our will. It’s like watching paint dry. Anyway, we’re shit at every sport we create. » On lui rappelle quand même qu’ils sont en finale dans un autre sport inventé sur place et que finir deuxième n’est pas si mal que ça après tout, parole d’Helvète. Le titre de « premier perdant », selon ses propres termes, ne plaît toujours pas à notre interlocuteur.

Bref, c’est imprégné de l’optimisme béat qui accompagne généralement les matches couperets locaux qu’on s’assied en face d’un des écrans du bar en rongeant notre frein devant les derniers soubresauts de cette sorte de balle brûlée britannique qui n’aurait jamais dû sortir des salles de gym d’écoles primaires. Par bonheur, la seule version non scolaire de ce sport qui a (vaguement) dépassé les frontières du Commonwealth se nomme baseball et est un chouïa moins incompréhensible.

On est d’accord, soutenir un équipage britannique dans un établissement fourni essentiellement par cette brasserie relevait du suicide collectif.

16h29: Les trois premières personnes qui semblent aussi trouver un peu bizarre le spectacle offert à nos yeux ébahis via les deux écrans du pub s’attablent à notre gauche. Notre niveau A-moins-douze du cadre européen de référence dans la langue d’Oliver Kahn nous permet d’affirmer que ce père et ses deux filles ont une culture de la gagne plus affirmée que le reste des clients combinés.

16h37: On commence à réaliser que regarder un match de l’équipe d’Angleterre en plein centre touristique d’Oxford, c’est sûrement comme suivre une rencontre de la Nati sur les quais du Lac des Quatre Cantons, à la Maison Cailler ou au Café Byron. Pas un maillot local en vue.

Le service de sécurité s’efforce de calmer les ardeurs d’une salle déjà en ébullition.

Alors qu’un chandail du Nationalelf (c’est malin ce changement de surnom, on ne sait plus comment les appeler maintenant) vient d’être aperçu dans un coin de la pièce, c’est toute une colonie d’étudiants en échange (à vue de nez) qui hésite beaucoup avant de s’installer directement sous la télévision, histoire de bloquer la sortie du bar au personnel et de boucher la vue d’un maximum de monde en se levant constamment pour saluer de nouveaux arrivants et/ou laisser le gars du bout du banc aller soulager sa vessie, le tout toujours dans un timing qui prouve au moins une certaine constance dans le désintérêt du spectacle qui se déroule sous leurs yeux. Bref, un combo gagnant qui a déjà fait ses preuves à maintes reprises.

« Pendant la pandémie », vous dites ?

16h59: On se connecte au réseau wifi pour tromper notre anxiété croissante avant le coup d’envoi. Celui-ci nous demande de confirmer que l’on a bien au moins 18 ans. Voilà qui nous permet de tirer deux conclusions: les deux ados allemandes précitées se devront de rester concentrées exclusivement sur le jeu pendant 90 minutes (et que papa boit sa bière tout en surfant sur le web) et Internet est visiblement plus dangereux que la consommation d’alcool (pour laquelle on ne nous a évidemment rien demandé au vu de notre apparence plus que vétuste). 

17h03: Premier arrêt de la gardienne des visiteuses, la très aérienne Merle Frohms, qui commence à faire son nid dans cette finale. Une majorité (c’est-à-dire approximativement 6 personnes) des buveurs qui nous entourent applaudit. On est vraiment plus chez nous, ma bonne dame.

17h04: On réalise que le Prince William est non seulement le Duc de Cambridge, mais aussi le président de la FA et donc qu’il a du taf ce soir. Notre série Netflix favorite avait omis cette information cruciale.

17h05: La commentatrice de la BBC annonce que si Beth Mead marque, le pub The Brown Cow à Hinderwell, village natal de la numéro 7 anglaise, offrira une tournée générale de (p’tits) shots. Si Marco Reymond nous lit, on a entendu dire que les voisins y sont moins pénibles (et nettement moins nombreux) qu’à Lausanne.

17h12: Alors que le score est toujours nul et vierge, on se rend soudain compte au détour d’un gros plan que la pétillante Alexandra Popp, distilleuse de football-champagne devant l’Eternel, est sur le banc ! La meilleure avant-centre du tournoi s’est apparemment blessée à l’échauffement. Après l’absence prolongée de Bühl (sanitaire), positive au covid, ça sent la finale qui fait pschitt pour la Frauschaft.

17h22: Notre camarade Florent Gonnet, qui suit tout cela à distance fort respectable depuis Villars-sur-Glâne, nous fait remarquer que Martina Voss-Tecklenburg ressemble quand même furieusement à Jürgen Klinsmann. 

On a l’air d’avoir également remarqué ce détail à l’interne.

17h26: Authentique miracle dans la surface de réparation des Lionnes ! Une scène aussi confuse qu’une élocution de Guy Parmelin qui nous fait vaguement penser à quelque chose…

17h34: On commence à se dire que le 11 immuable de Sarina Wiegman touche à la superstition tellement la présence d’Ellen White sur son seul statut de légende (33 ans, 113 sélections, 52 buts) n’a plus aucun sens au vu des performances des jokers de luxe Alessia Russo et Ella Toone. Ou alors elle a aussi lu que le coach national de rugby préférait le terme « finisseur » à celui de « remplaçant »…

18h19: 1-0 ! Ella Toone, rentrée 9 minutes plus tôt, envoie un délicieux lob dans les filets adverses, le Prince William tourne à l’écarlate et l’Angleterre – moins notre pub – explose ! La sélectionneuse mentionnée à 17h34 nous envoie un doigt d’honneur métaphorique bien senti par la même occasion.

18h31: On apprend que 87’192 spectateurs sont présents à Wembley, record d’affluence dans le foot féminin et à l’Euro tous genres confondus battu ! La foule considérablement moins compacte qui nous entoure n’a pas l’air de trop s’en émouvoir.

18h36: A peine le temps de savourer que l’Allemagne égalise déjà par Lina Magull ! Ça doit être les hallucinations provoquées par notre deuxième ale sur un estomac vide, mais on aurait juré entendre le public du nord londonien entonner un « Magull, Magull, don’t lie to me… Tell me, why did you score last night ? » On se jure d’en faire le titre de notre article si les Allemandes atteignent le Nirvana d’ici quelques minutes.

Kirby your enthusiasm, nous intime notre collègue rédacteur franco-fribourgeois sur notre conversation Signal. Il reste 11 minutes dans le temps réglementaire et l’attaquante de Chelsea s’est montrée très discrète jusque-là.

18h39: Laisser échapper ce match serait tellement anglais… et le retourner serait tellement allemand. On sent ce souffle défaitiste bien connu s’abattre sur tout un pays. Vous l’avez déjà ressenti, on en est sûr, c’est le même qu’on a tous pris en plein visage l’espace de quelques minutes entre le penalty raté de Rodriguez et le 3-1 pour la France le 28 juin 2021. Vous savez, le fameux « pffff, de toute façon ça finit toujours comme ça… »

18h53: L’heure est grave. On n’a plus que 8% de batterie et le double noeud effectué sur notre vessie à la mi-temps est en train de lâcher.

19h11: Une statistique qui nous redonne du courage (presque autant que le fait qu’on a eu le temps de passer aux toilettes) nous revient en pleine prolongation: l’Angleterre a battu l’Allemagne 2 fois en 27 confrontations. 

19h13: Jill Scott exprime sa façon de penser sans trop de détours à une adversaire après une altercation. On revoit tout ça beaucoup trop clairement au ralenti. « My apologies to all the lip readers », s’excuse la commentatrice de la BBC (non, on ne sait toujours pas comment elle s’appelle).

19h18: On joue la 108ème minute et le groupe d’étudiants internationaux (on a noté au moins une Américaine et un Brésilien à ce stade) dont les rangs ont sacrément grossi au cours du match, décide de commencer un débat sur le bien fondé de rester jusqu’au bout vs aller manger ailleurs. Le tout DEBOUT pendant une bonne minute trente, devant les pauvres Allemands de service qui n’avaient rien demandé (à part un petit but pour leur équipe à la rigueur).

19h21: ET GOAL !!! Cette fois le pub laisse libre cours à sa joie (oui, oui, pour de vrai, l’opportunisme est un fléau bien réel). Chloe Kelly, entrée à la 64ème minute (oh ça va Sarina, on sait, une remplaçante, blah blah blah…), glisse un vieux pointu dans les 5 mètres, comme on les aime, prend un carton pour la scène topless qui s’ensuit et c’est (presque) la délivrance.

19h36: C’EST FINI ! On ne comprend plus grand chose, la BBC tente d’interviewer Kelly, s’y reprend à deux fois, se fait hurler d’émotion dans les oreilles (et nous avec), Wiegman se rend compte en pleine réaction au micro qu’elle doit aller chercher la coupe sur le podium (« and it’s pretty heavy, I know », balance celle qui l’a gagnée avec les Pays-Bas en 2017), oublie d’enlever son casque et manque de partir avec tous les câbles dans son sillage, Scott dédie la victoire à sa grand-mère (qui, on l’espère, regardait ailleurs à 19h13), … Pendant ce temps-là, le stade s’est plus ou moins transformé en boîte de nuit à ciel ouvert et notre bar a presque failli entonner le refrain de Sweet Caroline en chœur avant que son flegme ne reprenne le dessus de justesse. Football is (finally) coming home !

20h00: On sort du Royal Blenheim et on débouche à l’air libre de Penny Farthing Place dans un silence de mort. On se demande si un seul touriste est au courant de ce à quoi on vient d’assister. On essaie d’imaginer l’état d’une ville après une finale d’Euro masculin et on se dit qu’il y a encore un peu de boulot avant de sortir le foot féminin de son relatif anonymat, même dans son pays d’origine (dans lequel il a quand même été interdit pendant 49 ans, faut-il le rappeler).

1h09: On finit de taper ce machin interminable dont le contrôle nous a échappé depuis belle lurette en remerciant le brave Florent, qu’on a sauvagement plagié pour tous les titres (les officiels et même les avortés) de nos articles sur l’Euro 2022 (courez les relire ici et  !). Et qui, soyons réaliste, est probablement le seul à être parvenu jusqu’à cette dernière phrase vivant.

A propos Raphaël Iberg 175 Articles
"Chaque matin on prend la plume parce que l'on ne peut plus faire autrement sous peine de malaise, d'inquiétude et de remords." Maurice Leblanc

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3 Commentaires

  1. Concernant l’intérêt suscité par la compétition en Angleterre, on voit que le vécu du chroniqueur est bien différent de ce que veut nous faire croire la propagande médiatique…

    • A prendre avec une pincée de sel tout de même. Je ne parle que de l’intérêt suscité dans le centre d’Oxford, où les touristes étrangers sont en majorité écrasante, c’est assez peu représentatif de l’Angleterre. Et évidemment que j’exagère un peu le désintérêt à l’intérieur dans la mauvaise foi qui caractérise notre site satirique 😉 Il y avait quand même presque 90’000 personnes à Wembley, 7000 à Trafalgar Square, la fan zone de Manchester avait dû doubler sa capacité initiale, etc.

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