Croyez-vous aux miracles ?

31 mars dernier, Nassau Veterans Memorial Coliseum, 21h30 heure locale. Elvis a quitté le bâtiment. La grosse dame a chanté. Pour la quasi-totalité des observateurs, c’en est dorénavant bien fini des derniers espoirs de qualification pour les playoffs des Islanders de New York.

Les Bleu-et-Orange avaient pourtant été idéalement placés pendant une bonne partie de la saison, à la huitième place ou à quelques encablures d’icelle, et avec de surcroît quelques matches de retard. Mais une série de défaites au plus mauvais moment les plaçait dans une situation très délicate. Il fallait au moins une victoire lors de ce dernier et difficile week-end de mars pour y croire encore. Résultats : une déroute à Buffalo avec 5 buts encaissés dans le premier tiers, puis une équipe totalement inexistante à domicile contre Ottawa. Montréal ayant battu Buffalo et Toronto ayant fait de même contre Pittsburgh, les Isles pointent alors en dixième place à quatre points de la terre promise. Pour ne rien arranger, le déficit insurmontable au nombre de victoires les oblige à récolter plus de points que leurs deux adversaires directs.
L’arithmétique est donc simple. D’abord, il faut gagner les quatre matches restants. De plus, le Canadien ne doit pas faire sien plus d’un match. Enfin, Toronto ne doit pas emporter plus de la moitié des points encore en jeu.
Il faut en outre tenir compte des absents. Il y en a dans toutes les équipes, mais là, en cette période décisive, ils sont nombreux et surtout étrangement concentrés dans le secteur défensif, qui se trouve être le cœur du jeu de l’équipe. Le meilleur défenseur, le très sous-estimé Radek Martinek, s’est cassé la jambe au début de l’année, et les jeunes mais talentueux Freddy Meyer et Bruno Gervais sont également hors service. C’est à tel point qu’il faut rapatrier l’ex-Aviateur Deron Quint de son séjour en Europe.
Devant, ce n’est pas beaucoup plus brillant. Chris Simon, qui s’était montré le meilleur attaquant défensif, avec notamment un différentiel de +15 en jouant contre les meilleures lignes adverses, s’est vu contraint à des vacances anticipées suite à un stupide coup de crosse au visage de Ryan Hollweg.


Radek Martinek

Quant à l’habituel moteur de la troisième ligne, le peu génial mais fiable Shawn Bates, cela fait déjà un bon moment qu’il hante les couloirs de l’infirmerie. Mais surtout, le gardien Rick DiPietro, qui par son jeu étincelant depuis le début de la saison faisait taire ceux qui riaient grassement de son contrat de 15 ans, a récolté une commotion de sa rencontre fortuite avec le patin de Steve Bégin. Et comme son remplaçant Mike Dunham, après quelques bons matches en début de saison, a retrouvé les performances caprines auquel il a habitué la NHL, il faut se résoudre à aller au feu avec le rempart de poche Wade Dubielwicz, dont l’expérience dans la Ligue se résume à neuf apparitions.
Vous l’aurez compris, les Insulaires sont condamnés à crever à la porte des playoffs. Après une saison où ils auront brillamment déjoué les pronostics de tous les spécialistes, qui s’accordaient à les voir livrer une lutte acharnée aux Capitals pour une haute place à la draft., c’est très frustrant. Preuve du peu de crédit accordé à la franchise de Long Island, elle n’est pas mentionnée une seule fois dans les deux numéros de présentation des séries finales publiés par les Hockey News, la bible.  L’entraîneur Ted Nolan, qui a convoqué une réunion d’équipe pour le lendemain, semble bien être le seul à y croire encore.

Acte I – Mardi 3 avril – Un coup pour rien, ou presque

Premier adversaire proposé : les Rangers, au Coliseum. Après avoir perdu les quatre premiers derbies, les gens de Manhattan, en pleine bourre en cette fin de championnat, ont remporté les trois suivants, à chaque fois sur le score de 2-1. Cela s’annonce donc serré.
Ce sont les locaux qui partent le mieux, menant 2-0 au début de la deuxième période quand Jason Strudwick, revenu tout exprès de Lugano, dévie une passe d’Alexei Yashin dans ses propres filets. Mais les Blueshirts attendront à peine plus que la mi-match pour égaliser. Les deux gardiens font ensuite le nécessaire pour préserver le score jusqu’au penalties. Dubielewicz, spécialiste de l’exercice en AHL, repousse les envois de Jaromir Jagr, Brendan Shanahan et Michael Nylander, excusez du peu. En face, Miro Šatan, d’une feinte brillante, est le seul à réussir son tir, mais ça suffit amplement. Les Isles sont toujours vivants.


Jaromir Jagr

Seul souci : tant Montréal que Toronto l’ont emporté. La situation, paradoxalement, paraît encore plus désespérée. Les Insulaires doivent gagner leurs trois matches, les Habs doivent perdre les deux leurs, et ceux de Toronto doivent se terminer dans le temps réglementaire. La moindre entorse signifierait le coup d’envoi de la saison de golf à Long Island. On ne peut donc pas dire que l’espoir renaisse véritablement.

Acte II – Jeudi 5 avril – Où l’on n’est jamais si bien servi que par l’ennemi héréditaire

Ce dernier match à domicile de la saison régulière offre une excellente occasion de revenir au classement. C’est en effet un adversaire direct, Toronto, qui se présente. Et le match, on le comprend, est extrêmement tendu. Ce sont tout de même les maîtres de céans qui dominent. Par deux fois, ils mènent au score, mais les Leafs parviennent toujours à revenir, contre le cours du jeu. Cela ne fait qu’augmenter la crispation des supporters new-yorkais qui craignent un mauvais coup. En début de troisième période, Jason Blake récupère un puck dans l’arrondi, tourne Hal Gill en bourrique, fait un petit numéro à la Oleg Petrov qui lui permet d’éliminer un autre adversaire et déclenche un tir du poignet qui laisse pantois un Andrew Raycroft, il est vrai assez peu inspiré. Le quarantième but de la saison de l’ailier ne pouvait mieux tomber.
Alors qu’on attend presque une nouvelle égalisation, Arron Asham récupère une longue passe de Tom Poti et, d’un slap dont il a le secret, mystifie une nouvelle fois le gardien canadien. Cette fois, le break est fait, et Toronto se montre bien incapable de mettre son adversaire en danger. Malgré la prestation convaincante, c’est le soupir de soulagement qui prédomine.
Mais cette victoire ne suffit pas. Parallèlement, Montréal doit impérativement perdre contre les Rangers. Et l’on assiste à des scènes proprement surréalistes au Coliseum : pour la première fois de l’histoire des Islanders, on célèbre de façon exubérante chaque annonce d’un but des tant détestés rivaux. Qui ne connaissent pas grande difficulté à assurer une victoire 3-1. Du coup, Toronto est à un point et les Habs à deux. Il reste toutefois trois matches dont le résultat doit impérativement être favorable.

Acte III – Samedi 7 avril – Frayeurs inutiles

L’étape suivante se déroule chez le surprenant cancre de la ligue, les Flyers de Philadelphie. Un formalité, a priori. Et ce fut le cas pendant presque tout le match. C’est d’abord le jeu de puissance, ressuscité d’entre les morts depuis l’arrivée de Marc-André Bergeron et de Ryan Smyth, qui va s’illustrer, avec deux tirs de loin parfaitement placés par Šatan puis Yashin. Et Richard Park donne ensuite un bel aperçu de l’esprit de combat affiché par son équipe dans cette course quasiment désespérée aux séries finales en plongeant pour envoyer au bon endroit un rebond.

Les Isles dominent tellement qu’on ne se fait pas trop de mouron lorsque Simon Gagné réduit le score en supériorité numérique. Mais un relâchement permet à Mike Richards de ramener son équipe à une longueur en infériorité numérique. La suite est épique, mais Poti peut finalement libérer ses couleurs en poussant dans la cage vide un caviar de Smyth.

On commence gentiment à chercher l’adresse d’un cardiologue.

Acte IV – Samedi 7 avril – La vie par procuration, devant son poste de télévision

L’épreuve la plus pénible pour le palpitant reste en effet à venir : observer à distance les deux rivaux canadiens s’entre-déchirer en espérant que les Bleus en sortent vainqueurs dans le temps réglementaire.
Et bonne nouvelle, ce sont bien les Ontariens qui ouvrent le score par Bates Battaglia. Le «renégat» Chris Higgins, né à Long Island, égalise sur un joli solo, mais Cristobal Huet a la bonté de s’inventer un but tout seul par la suite. Puis Alex Steen donne deux unités d’avance à son équipe. On se dit que c’est bien engagé, et qu’on se dirige peut-être enfin vers un match tranquille.


Cristobal Huet

Mais cette fin de championnat ne devait décidément nous épargner aucune émotion. Trente secondes plus tard, Michael Ryder se réveille soudain et enquille trois buts en moins de six minutes. À cinq minutes du deuxième thé, Higgins, encore lui, transforme un rebond, et ce sont alors les Québécois qui mènent de deux buts. Du côté de la Grande Pomme, on se dit maintenant qu’il sera bien difficile de renverser la situation, tellement Montréal domine. Mais ma foi, on ne peut pas compter sur des miracles tous les jours. Dommage, ça y était presque.
Et pourtant… On se prend à y croire timidement lorsque Colaiacovo se prend pour Nicolas Studer et marque d’un tir dévié qui lobe tout le monde. Mais le coup de pouce pour l’égalisation viendra des Habs, par l’intermédiaire d’une pénalité stupide de Bégin pour une faute commise après la sirène. Les Feuilles d’Érable se lancent à l’assaut de la cage de Huet et trouvent la faille sur un tir lointain de Bryan McCabe, en son temps drafté par les Islanders. Et mieux, dans la foulée et sur un nouveau jeu de puissance, Toronto passe devant sur un essai longue distance de Kyle Wellwood qui se faufile étrangement jusque dans le but.
On commence à être prudent sur l’issue de la rencontre, mais cette fois, le score ne bougera plus. Incroyable mais vrai : le Canadien, qui était le mieux placé et n’avait besoin que d’un petit point sur ses deux derniers matches, se retrouve maintenant éliminé.

Acte V – Dimanche 8 avril – Jusqu’au bout du suspense

Dorénavant, c’est très simple. Si les Isles gagnent, peu importe comment, ils sont en playoffs. Le problème est qu’ils n’ont battu New Jersey qu’une seul fois en sept matches cette saison. S’ils perdent, c’est Toronto qui ira défier le vainqueur de la Conférence Est.
Coup de pouce : les Devils, qui n’ont plus rien à craindre ni à espérer, décident de donner un repos bien mérité à Martin Brodeur, maintenant qu’il a battu le record de victoires en une année. Et au vu de l’apathie affichée par les locaux, les supporters de Toronto peuvent librement imaginer le pire.
Mais la défense de New Jersey, même peu motivée et privée du meilleur gardien au monde, reste peu perméable. Il faudra une mêlée devant le but pour que Richard Park n’ouvre enfin le score. Puis plus grand-chose. Suite à une nouvelle situation confuse dans le troisième tiers, l’ancien Tigre de Langnau peut inscrire son deuxième but personnel, le troisième en deux parties, en plaçant un tir du poignet hors de portée de Scott Clemmensen. Et là, chez les supporters, on commet à nouveau l’erreur de se dire que c’est entendu. La rencontre est pourtant relancée quand John Madden dévie un puck anodin dans le but de Dubielewicz. À partir de ce moment, les théories selon lesquelles New Jersey laisserait gagner son adversaire sont réduites en cendres. La pression est absolument suffocante. Le meilleur bloc défensif des Islanders ne quitte pratiquement plus la glace. Ryan Smyth contre tir après tir. Cinq secondes. Quatre. Trois. Deux. Un. Et goal.


Ryan Smyth

Brendan Witt, à la lutte avec Scott Gomez, déséquilibre son gardien du patin. Dubielwicz est étendu devant sa cage. Un backhand à la désespérée de Jamie Langenbrunner vient le heurter. Puis le rebond de Madden, lequel parvient ensuite à lever son puck. À neuf dixième de secondes de la fin du temps réglementaire. Les cœurs bleu et orange s’arrêtent quelques fractions de secondes.
Échouer si près du but après tant de rebondissements favorables est impossible. Les visiteurs, qui sont un peu chez eux compte tenu du nombre de leur supporters qui ont fait le (court) déplacement, se remettent au travail. Mais la prolongation ne donne rien. La qualification va donc se jouer de la pire des façons.
C’est Miro Šatan qui ouvre les feux. Son envoi est très bien placé. 1-0. Zach Parisé fixe le gardien d’une feinte de tir et se dégage côté revers. C’est 1-1, assez facilement. Vient le tour de Viktor Kozlov qui s’écarte sur la gauche, revient et marque dans le cinquième trou. 2-1. John Madden tente de dribbler par la gauche, mais il est contré par la crosse de Dubielewicz. Ryan Smyth a donc l’occasion d’envoyer sa nouvelle équipe au paradis. Mais ce serait trop simple. Le tir du Canadien est renvoyé par Clemmensen.
Sergei Brylin se présente alors, et tente la même feinte que Parisé. Mais «Dubie», très bon depuis qu’il a obtenu la place de titulaire, sort son arme secrète, héritée du légendaire Billy Smith : le poke-check. Un geste qui, selon le gardien de poche des Isles, paraît génial quand il est réussi mais vous fait passer pour un idiot dans le cas contraire. Du geste auguste du semeur, il envoie sa crosse à la rencontre du palet. Qui repart en sens opposé entre les jambes de Brylin. Le héros improbable de cette série de matches inouïe peut se lever et sauter dans les bras de Jeff Tambellini. Les playoffs feront bien halte à Uniondale.

Épilogue

Comme fruit de leur exploit, les Islanders se voient offrir le redoutable honneur d’affronter la meilleure équipe de la saison régulière, les Sabres de Buffalo. Hormis un premier match raté (déconcentration ?), la résistance sera farouche et l’armada offensive adverse souvent gênée. Mais pas assez pour faire la différence dans des rencontres se jouant à un but. Arrive le cinquième match, peut-être décisif pour les Sabres. Ceux-ci mènent 3-0 après deux tiers. Puis 4-1 à moins d’un quart d’heure de la fin. L’affaire est pliée. Quoique.
Les Isles reviennent à 4-2 par Trent Hunter. Puis Chris Campoli tire, et c’est 4-3. Et si… À quelques secondes de la sirène, Miroslav Šatan récupère un rebond. Le gardien Ryan Miller est à terre. Le buteur slovaque tire dans le but ouvert… Mais le stock de miracles était épuisé. Miller effectue un arrêt du bouclier venu de nulle part, et Buffalo accède au tour suivant.

Écrit par Yves Grasset

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