Vouale : Amère ricas Cup

Comme souvent, il y a la médaille et son revers. La Coupe de l’America n’échappe pas à la règle. Je sais, on vous bassine – les vrais amateurs de voile me pardonneront – depuis des semaines, voire des mois, avec ce regroupement de milliardaires «qui font mumuse sur des bateaux dans une baignoire», comme le disent volontiers les passionnés de courses au large qui s’offusquent de l’intérêt furieux pour cette compétition. Mais, puisque je me suis promené plusieurs semaines dans le fameux Port America’s Cup, je désirerais vous faire partager certaines de mes expériences. Que, je l’espère, vous trouverez intéressantes et instructives.

Fleurons de la technologie moderne, capitaines d’industrie dynamiques, propres sur eux et avec le goût pour les défis et l’aventure, cadre de rêve, lutte amicale entre nations pour une espèce de supériorité maritime, Télévision Suisse Romande en force qui, à coups d’images sensationnelles et de spécialistes chevronnés, fait vivre l’événement, Suisse qui gagne. Voilà, pour le côté paillettes et officiel, c’est fait.Je vous propose maintenant de faire un tour de l’autre côté du miroir, du côté masqué, protégé, dissimulé par les voiles du defender Alinghi et de ses 11 challengers. Je peux d’ores et déjà vous faire part de mes conclusions : la Darsena de Valence est pleine de… requins. De la finance pour la plupart. Mais ne sont-ils pas, au final, les plus dangereux ?
Même le représentant de Louis-Vuitton, dans les colonnes du quotidien Le Temps, avouait ne pas voir d’un très bon oeil ce qu’est devenue la Coupe de l’America. Tout en reconnaissant – saluons-le, car peu ont ce courage et cette honnêteté – qu’en tant que premier partenaire à avoir mis de l’argent dans la quête de l’aiguière d’argent – c’était en 1983 – le célèbre malletier français y était pour beaucoup. Concrètement, la Coupe de l’America est en grande partie une course au fric. Ernesto Bertarelli le disait lui-même devant la presse la veille de la première régate contre les Kiwis : «cette compétition perd encore de l’argent, et nous devons poursuivre les réformes pour que cela change».

Avec cette petite phrase, le patron d’Alinghi dévoilait au grand jour ses réelles intentions. Non pas que le défi sportif – j’utilise ce mot car j’accorde au match racing le statut de sport – ne l’intéresse pas, au contraire. Je pense que c’est en fait la première motivation. Mais la rentabilité prend vite le dessus. Et le représentant de Louis-Vuitton abonde dans ce sens lorsque, toujours dans Le Temps, il nuance très fortement la DÉMOCRATISATION de la voile à laquelle tous ont voulu nous faire croire.
Côté anecdotes, l’affaire n’est pas triste non plus. Par exemple, que diriez-vous si je vous disais qu’un monsieur très très très très haut placé dans la hiérarchie d’America’s Cup Management (ACM) – l’entité créée par Alinghi, mais «juridiquement» indépendant, pour l’organisation du tournoi – sifflait, conspuait et huait copieusement les Néo-Zélandais à chaque sortie des bateaux de Team New Zeland ? Un bel exemple non seulement d’indépendance, mais également d’esprit sportif, non ?
L’autre jour, un confrère est venu vers moi le sourire aux lèvres en me disant qu’il tenait la phrase de la semaine. En voulant prendre contact avec l’un ou l’autre des marins durant un jour de repos – car il faut se reposer, preuve que le match racing est bel et bien un sport -, il a reçu de l’attachée de presse d’Alinghi en guise de réponse : «Les marins ont vraiment été très disponibles jusque-là. On a donc décidé de les laisser tranquilles.» Je vous peins le portrait des bases des équipes : à côté, je crois que les bunkers les plus secrets d’une armée en guerre dans un pays étranger sont plus accessibles ! Il est certainement plus facile d’entrer avec trois fusils à l’épaule et des grenades sur le torse dans la Maison Blanche que dans le QG des syndicats. Vous parlez d’une grande disponibilité. A vrai dire, évoluer à Valence est très rafraîchissant. On pourrait presque se croire dans un film d’espionnage. Ceux qui supportent mal les caméras de surveillance dans les lieux publics ne doivent en aucun cas se risquer à déambuler dans la Darsena. Big Brother est partout !

Côté démocratisation, abordons juste les prix pratiqués. Accrochez-vous bien: 3 euros 80 pour un café dans les locaux pseudo fashion de Nespresso !!! Et ce n’est que la commande la plus simple, l’addition augmentant si on commande un capuccino ou quelque chose de plus élaboré. 6 balles pour un café que vous payez 45 centimes en le commandant sur le net – on m’a dit que le coût de fabrication était de 3 centimes… -, c’est une sacrée marge bénéficiaire. Dans les boutiques des équipes, même constat. 30 euros une casquette flanquée de tous les sponsors possibles et imaginables ; 50, 60, 80 euros voire plus pour un polo tout simple, là aussi fortement marqué. Si c’est une démocratie, elle n’est en tout cas pas prolétaire !
En parlant de marques, il est très difficile de trouver le moindre centimètre carré qui ne porte pas de publicité. Même les TV de la salle de presse, achetées chez le mauvais fournisseur, ont été amputées de leur logo par un ruban adhésif, histoire de ne pas froisser les susceptibilités des sponsors officiels.
Et, quand on parle de sponsors officiels, on ne peut pas ignorer la très grande influence de l’UBS. Avez-vous remarqué que, dans votre journal, à chaque article sur la Coupe de l’America, se trouvaient une ou plusieurs publicités pour la banque no 1 de Suisse ? Un hasard ? Non bien sûr. Les départements marketing des journaux font bien leur travail. Tant et si bien qu’il arrive parfois que des personnes se demandent dans quelles mesures la presse est-elle toujours libre. Est-il possible de mener une enquête sur les bénéfices et leur répartition récoltés par Alinghi et ACM ? Oui, même si l’exercice est compliqué, tant l’omerta règne dans ce monde. Mais les diverses rédactions en chef des journaux refuseront certainement de publier la nouvelle, de peur que l’UBS retire ses annonces ou encore qu’un procès ne leur tombe sur le dos.

Plus léger maintenant, les marins ont la réputation d’être de vrais coureurs. Et, pour l’avoir vu de mes yeux, on est encore loin de la réalité. Il va sans dire que le devoir de fidélité envers les épouses ne figure pas dans le protocole de la Coupe de l’America. Les marins, justement, sont souvent aussi forts sur mer que dans les bureaux pour négocier les contrats. Ainsi, avant même que les courses ne soient disputées, les tractations vont bon train. Demandez ce qu’il en pense à Bertarelli, sur le point de perdre ses meilleurs éléments…
Dans les coulisses, on négocie également pour savoir où se déroulera la prochaine édition. A ce propos, Valence a officiellement déboursé 150 millions d’euros pour organiser les joutes 2007. Ce qu’il faut savoir, c’est que, plutôt que les conditions de vent qu’Alinghi nous avait annoncées parfaites, c’est surtout les 50 à 60 millions posés sur la table par Endessa, entreprise énergétique espagnole, qui ont fait pencher la balance par rapport aux autres candidatures, notamment de Cascais, qui avait le meilleur dossier. L’Etat ibérique a peut-être promis à Endessa des contrats dans les anciennes colonies en échange de son argent. Qui sait…
Je terminerai en parlant du patriotisme «made in Alinghi». Le peu de marins suisses ne me choque pas plus que cela. La situation est la même en football, par exemple. Seulement voilà, le defender a réussi un coup de maître. Soulever une vague de ferveur en Suisse tout en mettant certaines distances avec Dame Helvétie. Si toutes les bases arborent un immense drapeau du pays d’origine du défi, chez Alinghi, la toile rouge à croix blanche fait figure de mouchoir de poche. Et j’attire votre attention sur le fait que les couleurs helvétiques ne figurent pas sur le bateau, contrairement à toutes les autres embarcations. Heureusement que Bertarelli répète souvent qu’Alinghi représente la Suisse. On pourrait facilement l’oublier.

Écrit par Psyko Franco

Commentaires Facebook

6 Commentaires

  1. bon lami, sans etre un defenseur de cette Coupe, mon avis est que tu peux faire le meme article (soit presque copier-coller) pour le foot, le tennis, la F1, etc……

    a part ca bon article

  2. Pour fréquenter ces autres milieux, je tassure quà côté, F1, football, tennis, même réunis, narrivent pas à la cheville de la Coupe de lAmerica. Mais merci pour le compliment.

  3. Excellent article Psyko.

    Je fais partie de ces personnes, semble-t-il un peu étrange, qui néprouve pas un intérêt particulier pour cet évènement…
    Le buzz, lengouement soudain et ce phénomène hype qui se crée autour de cette coupe me rend malade, jai des accès de violence quand je croise un jogger équipé avec casquette, gilet, t-shirt Alinghi et je ne parle même pas des retransmissions et plateaux de la TSR.

    ça ne me fait pas rêver du tout !

  4. Le défi français Areva saccroche et se prépare pour la prochiane Coupe de lAmer Ricard, celle-là, cest sûr elle est pour eux!

  5. Le défi français Areva saccroche et se prépare pour la prochiane Coupe de lAmer Ricard, celle-là, cest sûr elle est pour eux!

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