Quo vadis, NHL ?

Luttes de pouvoir autour d’un club à l’agonie maintenu sous poumon d’acier, propriétaires s’appliquant à contourner les mesures pour lesquelles ils ont sabordé une saison complète, rififi et veillée d’armes au syndicat des joueurs : cette année, le grand chapiteau de la NHL s’installe dès avant le début des camps d’entraînements. Mais les clowns qu’on y trouve ne font hélas rire personne.

On vous en avait brièvement entretenu dans la présentation des candidats au Pigeon d’Or : les Coyotes sont à l’article de la mort. Pourtant, installer une équipe de hockey sur glace au milieu du désert, dans un pays qui, dans sa globalité, n’en a vraiment pas grand-chose à battre de ce sport, était une excellente idée. On comprend qu’elle ait séduit un homme de raison comme Gary Bettman. Bien sûr, il a fallu pour cela priver de sa franchise une des villes les plus dingue de crosse et de puck au monde. Une franchise imprégnée du jeu au point de porter un nom inspiré par l’un des plus grands joueurs de tous les temps. Mais ma foi, on ne fait pas cuire des œufs au plat sur le capot de sa voiture sans casser quelques coquilles.Étonnamment, ce concept né d’un cerveau malade – il n’est qu’à se souvenir des premiers maillots des Cabots pour se dire que le LSD a visiblement fait des ravages dans la région – a misérablement échoué. Seulement voilà, quand ça l’arrange, le commissaire Bettman un sens de la déduction à peu près équivalent à celui de l’inspecteur Derrick à la sortie de l’Oktoberfest. Car il n’est absolument pas question de songer à ce que la franchise quitte Phoenix.

Le problème est que la majorité du genre humain est hélas plus lucide que le brave Gary. Surtout quand il s’agit d’investir quelques centaines de millions de dollars. Les repreneurs ne se bousculent donc pas. Il n’en reste même qu’un, le multi-récidiviste Jim Balsillie, qui avait en son temps déjà essayé de racheter le Penguins et bien failli mettre la main sur les Predators. Aubaine ? Que non point. La NHL s’oppose de toutes ses forces à cette transaction. Car, voyez-vous, ce Monsieur Balsillie, ci-devant co-pédégé de la boîte fabriquant le joujou préféré de l’homo attaché-casus, ce n’est pas quelqu’un de recommandable.
Qu’on se comprenne bien, Balsillie n’est pas un saint. On peut effectivement être passablement agacé par son acharnement a se jeter sur n’importe quelle franchise disponible pour la déplacer le plus vite possible dans sa province natale, au point de mettre en vente des billets de saison avant même d’avoir le contrôle de l’équipe, ou dans le cas des (futurs-ex-?)Coyotes, d’imaginer le déménagement en plein milieu de la saison prochaine, ce qui montre son respect pour les fans, les joueurs et tout ceux qui suivent encore la NHL. Mais Bettman avait moins fait la fine bouche avec John Spano, par exemple. Ce Jack Kashkar du hockey avait réussi à obtenir le contrôle effectif des Islanders pendant quelques mois, jusqu’à ce qu’on s’aperçoive qu’il n’avait pas un sou vaillant et qu’il traînait une batterie de cuisine à faire pâlir les époux Tiberi. Et ce n’est que l’exemple le plus frappant de la mansuétude de la Ligue envers certains futurs propriétaires à l’intégrité douteuse.
Ce qui dérange vraiment chez Balsillie, c’est son côté franc-tireur, insubordonné. Car on aime les gens avec le petit doigt sur la couture du pantalon. D’ailleurs, comment peut-on aller contre la Doctrine et vouloir transférer une franchise vers le Nord, je vous le demande ? Mais surtout, la province natale de Monsieur Blackberry, vous le savez si vous suivez un peu ces affaires., c’est l’Ontario. En plein sur le lucratif territoire des Maple Leafs qui y amassent un confortable bénéfice même lorsqu’ils se plantent après avoir dépensé des sommes colossales. (Soit à peu près chaque année depuis 1967). Pas question donc qu’un squatteur vienne planter sa tente sur les pelouses du château. La NHL se voit donc contrainte d’espérer pouvoir racheter l’équipe pour la vendre à qui elle le souhaite.

Cette affaire arrive au moment où les huit (!) propriétaires des Thrashers sont contraints par un juge de coopérer alors qu’ils ne peuvent pas se blairer. Où le maintien des Islanders sur leur île new-yorkaise dépend de la décision de politiciens récalcitrants. Où les Blackhawks sombrent dans le chaos organisationnel. Où l’un des joueurs d’iceux, l’un des plus brillants espoirs du hockey, agresse un chauffeur de taxi pour 20 cents. Bref, tout va bien.
Au moins, la Ligue a-t-elle mis en place, au prix d’une saison blanche dont elle n’a pas fini de se remettre, un mécanisme permettant de protéger les propriétaires de leur propre bêtise. Sauf que ledit salary cap a augmenté chaque saison, pour en arriver à ce que le salary floor (oui, il y a cela aussi) soit maintenant plus élevé que le masse salariale moyenne en 2004. Et surtout, on commence à en exploiter les failles sans vergogne.
On connaissait les contrats front-loaded. Cékoidonk, vous interrogez-vous ? Eh bien il s’agit d’accorder un salaire très important sur les premières années d’un contrat, avant de diminuer brutalement pour les dernières années. Une répartition chargée sur l’avant. Tout le monde y gagne : les joueurs touchent l’oseille tout de suite, et il est moins couteux pour une équipe de se séparer d’une bouche inutile le cas échéant. Pour ce qui concerne la limite salariale, on prend en compte chaque année la moyenne des émoluments sur la durée du contrat.
L’idée de génie était de combiner cela à une autre tendance lourde, les contrats de très longue durée. Et de l’appliquer à un joueur qui approche la fin de sa carrière, ou qui l’approchera d’ici à la fin de son contrat. Prenons un exemple schématique : admettons que l’un de vos employés sur patins demande 4 millions par an. Alors vous lui faites signer un contrat de 5 ans qui lui assure 4 millions pour chacune des trois premières saisons, puis 1 million pour les suivantes. Impact sur le cap : 2.8 millions par an. Oui mais, oh surprise, le joueur en question prend sa retraite pile à la fin du troisième exercice. Son contrat devient donc caduc. Et hop, pendant trois ans, vous avez économisé 1.2 millions par année, que vous aurez pu consacrer à quelqu’un d’autre.

C’est à Chicago, décidément à la pointe de l’actualité, que la mode a été lancée, avec Márian Hossa. Philadelphie a suivi de près avec Chris Pronger, et Vancouver vient de céder à la tentation avec le contrat de 12 ans de Roberto Luongo. Oh bien sûr, la Ligue a ouvert une enquête. Mais c’est de pure forme. La pratique est parfaitement légale et ne viole aucunement la lettre du CBA, même si elle rend les derniers outrages à son esprit. Bien joué. On maîtrisera les coûts une autre fois.
Soit donc, la Ligue est à la rue, les propriétaires toujours irresponsables. Le salut pourrait-il donc venir des joueurs ? Rien de moins sûr. Leur association, la NHLPA, vient en effet de virer avec fracas son directeur Paul Kelly, sous un prétexte nébuleux (il aurait été surpris en train de lire un rapport confidentiel à son sujet, ce qui confirme qu’il était dans la ligne de mire), alors que cet ancien procureur fédéral faisait plutôt du bon boulot. Dans la foulée, son adjoint l’ex-joueur Pat Flatley, et l’ancien gardien Glen Healey, notamment, ont démissionné. La voie est donc libre pour passer à d’autres méthodes.
Car le problème de Kelly, c’était plus vraisemblablement son utilisation du gant de velours, sa recherche de la solution qui arrange tout le monde. Du coup, on soupçonne plutôt un putsch de l’aile dure, emmenée notamment par Chris Chelios et Eric Lindros qui, comme le rappelait justement l’excellent Chris Botta, a pris beaucoup de coup sur la tête dans sa carrière. L’opération devant logiquement aboutir à la mise en place d’une direction du genre intransigeant, dans le style de Bob Goodenow, l’homme qui mena la NHLPA dans le mur lors du dernier lockout.
La prochaine renégociation du CBA en 2011 promet donc d’être sympathique. Reverra-t-on des stars sur nos patinoires ?

Écrit par Yves Grasset

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7 Commentaires

  1. Très bon article qui résume bien la triste situation de la lnh actuelle qui comme beaucoup d’autres sports (championnats) est pourrie par le fric…
    On peut aussi parler de la dernière lubie de Bettman d’interdire aux joueurs de participer aux JO après ceux de 2010.

  2. Excellent article, dans le pur style CR. Bravo.

    Mon fait rire dès le début avec leur salary cap. Une inflation de 150% ou plus en 5ans, n’importe quoi.

  3. « Mon fait rire dès le début avec leur salary cap. Une inflation de 150% ou plus en 5ans, n’importe quoi.  »

    Ca signifie que les produits ont également augmenté de manière significatives. C’est pas n’importe quoi. Le plafond salarial est déterminé en fonction du revenu des équipes.

    Pour preuve, malgré l’augmentation des du plafond, la majorité des équipes font énormément de cash.

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