Dr Pep & Mr Mou

C’est lundi soir au Camp Nou qu’aura lieu le premier Clásico de la saison. Faisant partie des événements sportifs les plus suivis de la planète, ce traditionnel affrontement entre le FC Barcelone et le Real Madrid n’est pas seulement un match de football : c’est une véritable confrontation entre deux philosophies, parfaitement illustrée cette année par le contraste entre Guardiola et Mourinho. Portraits.

Josep Guardiola

Bonjour. J’ai 39 ans, on me surnomme «Pep» et je suis l’entraîneur du FC Barcelone. Catalan de naissance et de nature fidèle, j’ai côtoyé ce club toute ma vie puisque j’y ai également été formé, et y ai joué de nombreuses années en tant que capitaine, avant de devenir ce que je suis aujourd’hui.

Je ne vais pas y aller par quatre chemins : à mon sens, le football actuel se perd. Les valeurs essentielles qu’il est censé véhiculer, en tant que sport, ne sont plus que d’obscures notions qui se déconstruisent au fil des générations. Le divertissement sur lequel il devrait aboutir a cédé sa place au culte de la gagne, et ce qui était il n’y a encore pas si longtemps un simple jeu est devenu petit à petit un véritable phénomène social, qui déchaîne les passions de manière trop souvent disproportionnée aux quatre coins du monde.
Ne vous méprenez pas toutefois : je suis un passionné de football, moi aussi. J’aime sa beauté, sa magie, son côté rassembleur, ainsi que toute cette dimension qui ne saurait être exprimée par de simples mots et qui font que ce sport est le plus beau du monde. J’apprécie également son côté populaire, qui n’a jamais posé problème – contrairement à ce que certains bien-pensants estiment – et qui n’est pas la cause de sa pervertisation moderne. Seulement voilà : depuis quelques années, les investisseurs de tout poil ont vu dans ce sport une manière de s’enrichir à moyen terme. On s’est servi de son immense succès pour mieux le vendre, plutôt que de chercher à l’enrichir. Sa médiatisation a explosé récemment, et on rachète maintenant des clubs au passé glorieux comme des petits pains. Le credo est devenu simple : gagner à tout prix, au propre comme au figuré. La tricherie, la corruption et la violence ont beau se multiplier au fil des années, le football a pris une telle importance qu’il en est devenu intouchable. On n’ose plus le contester dans sa forme actuelle.
C’est pourtant ce que j’essaye de faire à travers mon métier. En prônant une philosophie de jeu basée sur le respect et le plaisir, en tentant jour après jour de pousser l’esthétisme de ce sport jusqu’à son paroxysme, je rends service au football à ma façon : en le renvoyant à son aspect le plus pur. Jamais je ne laisserai qui que ce soit tenter de mettre à mal cet équilibre qui fait notre force et notre fierté, hérité de Johan Cruyff et perpétué depuis plus de vingt ans. Par exemple, les supporters du dimanche n’ont pas compris pourquoi j’ai évincé Eto’o et Ibrahimovic de l’équipe, deux attaquants de classe mondiale ; si j’ai fait cela, mes chers, c’est parce que leur état d’esprit en dehors du terrain était devenu trop individualiste pour continuer à faire partie de notre famille, unie depuis de nombreuses années. Je les ai donc invités à aller vendre leurs charmes ailleurs, quitte à ce que notre potentiel offensif en ressorte amoindri. Car chez nous, le football n’est pas à vendre… J’en fais le serment !

Bien sûr, nous ne sommes pas des pauvres non plus ! Le budget relatif à notre projet se chiffre en centaines de millions d’euros, et nous ne lésinons pas sur les moyens. Et alors ? Je ne prône pas la précarité dans le football, je défends simplement un juste milieu et une approche équilibrée de la chose. Je ne pense pas qu’on puisse reprocher au Barça d’être une équipe trop riche lorsqu’elle possède le meilleur système formateur de la planète, et qu’elle compte dans ses rangs une majorité de joueurs régionaux. Notre vraie richesse est sur le terrain, pas en coulisses !
Si nous ne gagnons pas lundi mais que nous avons su rester fidèles à nos principes, ce sera une sorte de victoire pour nous. Je vous souhaite un bon match. Vive le football !

José Mourinho

Salut toi ! Moi c’est José Mourinho, alias «Mou», 47 printemps au compteur. On dit que je suis l’entraîneur du Real Madrid, mais ce n’est pas tout à fait exact : une partie de moi appartient également à Porto, une autre à Chelsea, et une troisième au Milan bleu et noir. Les attaches ne m’intéressent pas ! Je préfère laisser le champ libre à l’oiseau, et m’envoler d’un club à l’autre selon mes envies. Et selon le salaire qu’on m’offre, aussi, puisque l’argent ne constitue pas un problème éthique pour moi, contrairement à ces bonnes gens qui veulent refaire le monde. Moi, le monde, il ne me déplaît pas tant que ça !

Il semblerait, donc, que d’aucuns pensent que l’argent salit le football… Ah bon ? J’aimerais bien que ces révolutionnaires d’occasion m’expliquent comment ce sport pourrait progresser sans moyens. Ne leur est-il jamais venu à l’esprit qu’investir dans un club n’est pas seulement améliorer son niveau, mais également celui du football en général ? J’ai peut-être une vision trop libérale des choses, mais pour moi, Perez et Abramovitch ont tout autant rendu service à ce sport que Guardiola et ses 842 passes courtes par match. On est en 2010, le monde évolue, et contrairement à ce que les altermondialistes peuvent te ressasser à longueur d’année, les choses ne vont pas si mal que ça.
Ah, des beaux parleurs, c’est clair qu’il n’en manque pas dans le milieu ! Prends Pep, par exemple, qui aime philosopher et affirmer que son équipe est une entité… Moi je vois plutôt en lui un général d’armée, dont les moindres protestataires sont aussitôt renvoyés au bercail (comme Eto’o et Ibrahimovic, que j’ai eu la chance de diriger moi aussi) ! Moi, je ne suis pas un philosophe : je suis un père, et mes joueurs des frères. Je détourne l’attention médiatique sur moi pour les libérer de cette pression envahissante, je les guide en étant proches d’eux, je suis la pièce maîtresse de leur cohésion et je l’assume pleinement. Je ne suis peut-être qu’un vulgaire provocateur à tes yeux, mais crois-moi, si j’ai obtenu un tel palmarès en si peu de temps, ce n’est pas pour rien. Les choses sont plus subtiles qu’elles ne le paraissent à premier abord : ma démarche a une finalité, et cette finalité, c’est la victoire !
Le but d’un match de football c’est de le gagner, point barre. Si tu n’es pas d’accord, ouvre un dictionnaire. Moi, je veux gagner coûte que coûte, car je suis payé pour ça. Où est le problème ? Que mes joueurs soient des danseuses ou des durs, qu’ils soient détestés ou adulés, je m’en moque comme de l’an 40 : moi seul les connais, moi seul peut évaluer leur véritable potentiel. La semaine passée, certains m’ont reproché d’avoir demandé à deux de mes joueurs de se faire volontairement expulser en fin de match, afin de ne pas risquer de suspension stupide lorsque les choses deviendront sérieuses ; que je sache, cela n’est interdit par aucun règlement, et si ça peut nous aider à gagner la dixième Ligue des Champions du club, je ne vais pas me gêner !

Je dis la dixième, mais ce n’est pas tout à fait ce que je pense. Dans ma tête, en effet, ce serait surtout MA troisième coupe aux grandes oreilles. Mon palmarès personnel m’importe plus que celui des équipes par lesquelles je transite, parce que je fais partie de ceux qui pensent que tous les actes qu’une personne réalise dans sa vie n’ont comme objectif final que son plaisir personnel. L’Homme est un éternel égoïste, individualiste, il naît et meurt seul, ne compte pas sur moi pour renier ça ! Tu vois, moi aussi je peux sortir de grandes phrases philosophiques quand je veux, comme l’autre avec qui j’ai travaillé à l’époque. Il n’empêche que la vie est courte, et que tant que je ferai partie des meilleurs entraîneurs de la planète, tu peux être sûr que je vais en profiter. Je ne suis pas du genre à m’en aller comme je suis venu, dans l’anonymat d’une étoile filante : je veux marquer mon époque, inscrire mon nom dans la légende. Si le Real Madrid y est associé, tant mieux pour lui !
Allez, à lundi pour le grand choc ! Et peu importe que le meilleur gagne ou pas, tant que c’est nous…
FC Barcelone – Real Madrid : lundi 29 novembre 2010, 21h.

Écrit par Raphi Stollé

Commentaires Facebook

7 Commentaires

  1. Assez drôle malgré le polissage gentillet de Guardiola…
    Il manque quelques détails piquant dans son portrait qui par contre ne manquent pas dans le portrait de Mourinho.
    Comme par exemple ‘je suis le joueur qui a obtenu le plus de carton rouge de l’histoire du Barça’ (avec Hristo, rendons à César…) ou ‘j’ai fait une pige en Serie A (Brescia-Roma-Brescia) qui s’est terminé par une suspension pour dopage. J’ai de justesse échappé à une peine de prison en passant…’
    Quant à l’enrichissement à moyen terme il aurait fallu mentionner son expérience comme joueur dans le championnat, au combien excitant et relevé, qatari…
    Pour Mou, un clien d’oeil à sa carrière de joueur aurait pu être comique.

  2. Vico, cet article ne mentionne que l’entraineur.
    J’imagine que l’auteur sait aussi bien que toi les écarts qu’a pu avoir Pep durant sa carrière de joueur, mais il ne parle ici que de l’entraineur.
    Il aurait pu ici mentionner également la misérable carrière de joueur de Mourinho.

    Cela je voudrais revenir sur un point concernant le barça, que je suis depuis longtemps. Le club a en effet une philosophie de jeu inspirée par Cruyff ainsi qu’une vraie politique de formation depuis plusieurs années.
    Maintenant ne lui collons pas des étiquettes non plus, jamais les dirigeants ont affirmé être les garants du fair play et de l’honnêteté, et il est clair que le footbuisness est bien présent dans les coulisses du Camp Nou.
    Si je précise ce point c’est parce que j’entendais des gens dire, en voyant Alvès faire une faute ou Busquets une simulation, des choses s’apparentant à « Scandaleux pour un club qui se dit fair-play, etc. » du coup les gens condamnaient chez le barça des choses courantes dans n’importe quel club.
    Cette image du « gentil » qui colle à ce club depuis quelques années n’a pas spécialement été encouragée par le club et ses dirigeants, c’est lié à la philosophie de jeu que prône Pep (il serait en effet très rare de voir le Barça se contenter d’un 1-0 et de perdre du temps en fin de match, en Liga) mais c’est une étiquettes qui permet juste aux détracteurs de se défouler !

  3. Article d’une grande finesse. Comme le titre: Guardiola passe pour le gentil (Dr Jekyll), Mourinho pour le méchant (Mr Hyde), et comme dans l’histoire les deux héros sont incarnés par la même personne (l’auteur). Chapeau!

    Une manière caricaturale et satirique de mettre en exergue l’immense différence de mentalités entre ces deux équipes. On se réjouit déjà de demain soir. Du grand Carton Rouge!

  4. Très bon article !
    En effet, ce constat correspond aux mentalités des 2 clubs et des 2 coachs.
    Chaque club à le coach qu’il mérite.
    Real : il n’y a que la victoire qui compte…peu importe la manière.
    Barça : le beau jeu avant tout…et la victoire viendra naturellement.
    Personnellement je préférerai toujours la philosophie du Barça.

  5. J’avais déjà vu des bons joueurs comme :

    – Ronaldo (le gros le vrai)
    – Steven Gerrard …etc

    J’avais déjà vu des équipes pratiquer un beau football comme :

    – Arsenal
    – Manchester
    – Liverpool

    Mais la je suis en train de voir L. Messi et Barcelone et je me dis que c’est un peu comme comparer une pucelle à une femme fontaine qui à 10 ans de carrière dans le porno hardcore allemand !

    Putain je n’aime que le foot anglais en principe mais alors la ! …

    P.S. Merci de ne pas assimiler Liverpool à une pucelle et le Barça à une femme fontaine !

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.