Matchs truqués au Brésil : les craintes de la FIFA fondées

Il ne manquait plus que ça ! Après des stades et de nombreuses infrastructures pas terminés, des chantiers en rade, les manifestations des pauvres, les embouteillages monstres, les réseaux WiFi défaillants, le manque d’hôtels à Cuiaba, les éventuelles agressions contre les supporters sur l’ensemble du territoire, les possibles épidémies de dengue dans le bassin amazonien, les risques de grève des transports publics ; une autre menace de taille plane sur le Brésil et elle risque de bien pourrir l’ambiance : les matchs truqués. Au vu des inquiétudes formulées par le spécialiste mondial en la matière, Declan Hill, autant dire que les craintes de la FIFA sont plus que jamais fondées.

Declan Hill, journaliste canadien, est l’un des plus grands experts mondiaux des matchs truqués et de la corruption dans le sport international. En 2008, après quatre ans d’enquête, Declan Hill publie «The Fix : Organized Crime and Soccer» («Comment truquer un match de foot ?» en français), un compte-rendu édifiant sur la corruption et le trucage de matchs dans le football professionnel au plus haut niveau. Dans l’édition du New York Times de samedi dernier, Declan Hill tape encore une fois sur le clou avec une enquête explosive, des révélations fracassantes et des preuves à l’appui.  Des rapports de la FIFA et des documents connexes qui n’avaient jamais été rendus publics jusqu’à ce jour soulèvent de sérieuses et légitimes questions quant à la vulnérabilité de la Coupe du Monde au Brésil, pour ce qui est des matchs arrangés.

Coupe du Monde 2010 bien pourrie

Un édifiant récit de la FIFA qui avait conclu que le syndicat des matchs truqués et ses arbitres ont infiltré les hautes sphères du football mondial et principalement sud-africain, ce afin de fixer des matchs amicaux et de les exploiter à des fins de paris. Cet exposé fournit en effet de nombreux détails sur les moyens astucieux que ces «fixateurs» ont utilisé pour au moins cinq matchs et peut-être plus, avant la dernière Coupe du Monde en Afrique du Sud. On fait état d’au moins 15 matchs qui auraient été ciblés, y compris la rencontre entre les Etats-Unis et l’Australie, selon les interviews et les courriels imprimés dans ce fameux rapport de la FIFA.

Selon les propres calculs de la FIFA, les parties amicales des Sud-Africains contre la Thaïlande, la Bulgarie, le Guatemala et la Colombie ont été arrangées par le Singapourien Wilson Perumal et son organisation, le 4U Football. Perumal et son équipe avaient réussi à s’immiscer au cœur même de la fédération sud-africaine et étaient parvenus à convoquer leurs propres arbitres bien véreux pour diriger les rencontres qu’ils avaient l’intention de truquer ! Perumal a finalement été arrêté et mis à l’ombre pour deux ans (peine réduite en échange d’infos sur ses associés), pour sa participation à la corruption dans le championnat de Finlande et à celle qui a fait rage dans le football au Zimbabwe entre 2007 et 2009.
En octobre 2012 – plus de deux ans après les faits ! – Ibrahim Chaibou était recherché par la FIFA, histoire de s’expliquer sur des suspicions de matchs arrangés auquel il avait participé. Cette procédure faisait suite à la suspension à vie de trois joueurs du Guatemala, accusés d’avoir arrangé des rencontres de leur équipe nationale. Ibrahim Chaibou avait arbitré ce fameux match du Guatemala contre l’Afrique du Sud, deux semaines avant la Coupe du Monde 2010. Une rencontre perdue 5-0 par les joueurs d’Amérique centrale. Les buts avaient été inscrits sur des pénaltys après des fautes imaginaires…
Chaibou, ce personnage haut en couleur, cheville ouvrière de la fameuse organisation de Peruam,  transvasait  sans vergogne des dizaines de liasses de billets de 100 dollars dans les banques sud-africaines à destination de son Niger natal, où il y coule une retraite paisible. Là, le pompon c’est l’arbitre qui dit : «Mais M’sieur, j’ai rien fait. Je l’ai pas touché.» Le monde à l’envers quoi !
Fin 2012, des mesures avaient aussi été prises (pourquoi si tard ?) avec l’arrestation et la suspension de cinq dirigeants du football sud-africain, y compris l’ex-président de la Safa (Confédération de football) Kirsten Nematandani. Début janvier 2013, lui et ses amis étaient relaxés de toute charge, blanchis par leurs pairs. Nematandani s’est fait discret depuis. Il est désormais président de la ligue régionale Vhembe et donc pas du tout derrière des barreaux.

Pour ceux qui ignorent encore qui est Dan Tan Seet Eng, il s’agit du principal organisateur du réseau international qui a truqué des matchs partout sur la planète (et même sur la Lune s’il y existait une quelconque compétition sportive). Avec Dan, tout est bon pour faire du pognon et même beaucoup de pognon : Afrique, Asie, Amérique latine, mais aussi Allemagne, Autriche, Hongrie, Finlande, Grèce, Bulgarie, Slovénie, Slovaquie, Croatie, Suisse, Serbie, Macédoine et Italie bien sûr. Plus de 25 pays, donc. Certains matchs truqués peuvent rapporter jusqu’à deux millions de dollars… Dans une interview au Spiegel, Dan Tan s’était vanté d’avoir gagné 15 millions d’euros sur un seul match de Série A italienne. 
Petite pensée pour lui la prochaine fois que vous irez vous connecter sur vos comptes Bwin, NetClic ou autre Net bet. Avec une flopée de mandats d’arrêt internationaux aux basques, Dan Tan a finalement été appréhendé et mis au frais en septembre 2013, dans l’attente d’une extradition ou d’un procès. Mais faute de courageux témoins à charge, il risque bien d’être relâché dans la nature, et poursuivre tranquillement ses activités lucratives.

Combattre la corruption au Brésil ? Le gag !

La question se pose désormais : pour le cas de l’Afrique du Sud, en dépit d’une foule de rapports concis, truffés de preuves, d’aveux et de faits concrets, rien n’a été entrepris rapidement ni pour punir les fraudeurs, ni pour les empêcher de nuire.
Selon Declan Hill, qui avait commencé à mettre son nez dans ces dossiers depuis un bon moment, quatre matchs au moins de la Coupe du Monde 2006 en Allemagne auraient aussi été achetés : le match du premier tour Italie-Ghana du 12 juin (2-0), le huitième de finale Angleterre-Equateur du 25 juin (1-0), le huitième de finale Brésil-Ghana du 27 juin (3-0) et  le quart de finale Italie-Ukraine du 30 juin (3-0).
Alors on est en droit de se demander quelle réelle menace plane aussi lourdement sur le Brésil, avec la possible manipulation de matchs durant la prochaine Coupe du Monde ? Quand on sait que la corruption est le sport national au Brésil, ça fait quand même doucement rigoler.

La FIFA rassurante mais pas convaincue non plus

Dans le site de l’instance mondiale, M. Mutschke, le big boss de la sécurité de la FIFA, rétorque : «Cette question est non seulement soulevée par les supporters de football du monde entier, mais elle concerne également la FIFA en tant qu’instance dirigeante. C’est un fléau pour tous les sports, y compris le football. Et étant donné que le football est un sport mondial, il attire le crime organisé. Chaque compétition internationale générant un énorme volume de paris comme la Coupe du Monde de la FIFA engendre un risque général.»
Mais comme on le comprend, M. Mutschke. La principale inquiétude sera, selon lui, le trucage des troisièmes et derniers matchs de la phase de groupe, quand une équipe en particulier a déjà été éliminée ou est déjà qualifiée pour le second tour. «Mais nous mettons en place une gestion des risques pour tous les matchs et notre filiale Early Warning System surveillera le marché des paris en temps réel.» Et pourquoi pas la finale ?
Un autre porte-parole de la FIFA a déclaré, pour sa part, histoire de nous rassurer complètement, que ce sont désormais six enquêteurs qui sont employés à plein temps au siège de Zurich et que la FIFA travaille également avec un large réseau des responsables de l’application de la loi, y compris Interpol. Pour la Coupe du Monde, 12 agents de sécurité seront par ailleurs affectés à chaque stade avec pour mission la surveillance de possibles arrangements de matchs durant cette phase finale alors que l’équipe présente à Zurich sera renforcée avec 18 unités.

Et que pense l’expert Declan Hill, du système d’alerte de la FIFA sur les paris en lignes suspects. Peut-il être efficace pendant une Coupe du Monde ? «Mais c’est ridicule. C’est un bon commencement, mais c’est vraiment une mauvaise blague. Il est possible de suivre les mouvements sur les marchés sur des petits matchs, des divisions inférieures. Mais il est impossible de suivre des mouvements [de mises suspectes] dans les grands tournois. Parce que le marché est énorme, soit 30 millions de dollars pendant le tournoi. Les truqueurs ne sont pas cons. Ils essaient de truquer les matchs des équipes réputées plus faibles que les autres. Alors ce système d’alerte est un bon commencement, mais ça ne fonctionne pas dans un tournoi comme ça.»
Des joueurs qui disputent une Coupe du Monde sont donc facilement corruptibles? «Tous, non. Dans un groupe d’individus, il y en aura toujours un ou deux qui prendra des pots de vin. La plupart des joueurs présents à la Coupe du Monde ne sont pas des grandes vedettes. Pour beaucoup, ce sont des joueurs issus de pays pauvres, qui voient souvent les officiels de leurs fédérations rouler en grosses voitures. Ils ne sont pas stupides…»
Declan Hill est expert sur le sujet, certes, mais il ne possède pas non plus la science infuse. Selon lui, il suffisait de neutraliser le redoutable Dan Tan pour mettre un terme à tout ce cirque. Or on est bien loin du compte. Dan Tan à l’ombre, l’axe du mal n’est plus articulé uniquement autour de Singapour et de l’Asie. Toutes les mafias du monde se donnent désormais la main quand il s’agit de se faire de l’argent, une pétée de fric même, avec les paris sportifs. Il faut se demander à qui profite le crime pour trouver les vrais coupables. En l’occurrence les matchs truqués et les paris engraissent une multitude de monde et le système est bien huilé, bien géré, bien protégé, bien contrôlé et surtout pas prêt de s’arrêter. On prend les paris !
Avant de publier «The Fix», Hill a enquêté sur les meurtres de journalistes philippins, l’assassinat du chef de la mafia canadienne, les vendettas au Kosovo, le nettoyage ethnique en Irak, les religions païennes en Bolivie et les crimes d’honneur en Turquie. Alors, le football….
Hill a eu le cran de parcourir la planète dans ce monde interlope pour démonter la mécanique bien huilée qui permet d’arranger des matchs à tous les niveaux. Dans son livre, ses conférences et ses articles, il n’a de cesse d’étaler les arcanes de la globalisation du marché des paris des sports internationaux, y compris des matchs truqués au plus haut niveau.
 
Declan Hill raconte sa rencontre avec l’un des plus gros truqueurs du monde qu’il appelle Lee Chin. Celui-ci lui aurait confié avoir truqué le match Tunisie-Portugal à l’ouverture des Jeux Olympiques d’Atlanta en 1996. Il aurait approché les Tunisiens avec de l’argent qu’ils auraient refusé pour raisons religieuses. Qu’importe, Lee Chin leur offrit les services de plusieurs prostituées mexicaines. Bilan: 2-0 pour le Portugal !

Commentaires Facebook

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.