Un week-end à Wimbledon

Imaginez un peu le décor : vous êtes un Londonien endimanché, dans la force de l’âge, un de ces flegmatiques Britishs pur sucre. Le thermomètre affiche un agréable 28 degrés en ce samedi 25 juin ; vous avez pris le thé, discuté de la météo avec votre voisin et avez lu «The Guardian» en compagnie de votre femme. Il est 11h du matin et vous et votre épouse vous préparez maintenant à rejoindre le quartier huppé de Wimbledon, billets pour le Central en poche. Shall we go ?

En bon Anglais que vous êtes, vous avez sorti la tenue d’été, mais n’avez pas oublié l’indispensable parapluie, «just in case». Arrivés aux portes de l’enceinte de Wimbledon en taxi, vous vous faites juge de cette foule massée à l’entrée en quête du Saint Graal et maugréez qu’en son temps, Wimbledon avait des allures plus respectueuses.
Vous prenez un bain de foule dans l’antre du plus prestigieux des tournois de tennis, vous déjeunez à l’anglaise et dégustez les fameuses fraises de Wimbledon, importées directement d’Espagne, ce que vous ne manquez pas de relever avec une certaine condescendance. Votre charmante épouse vous rappelle alors que le meilleur joueur du monde est espagnol, ce qui vous laisse assez dubitatif. Non seulement vous lui rétorquez que cela n’a aucun lien avec les fraises – ce qui n’est pas faux – mais vous faites en plus étalage de votre exacerbation envers ces Espagnols qui «gagnent sur le gazon sans faire une volée alors que nos compatriotes perdent tous leurs moyens arrivés en deuxième semaine».Votre épouse et vous gagnez ensuite vos quartiers sur le Central déjà fort bondé. Vos voisins de droite sont d’ignobles anglais banlieusards, ceux de gauches de fervents supporters dont le visage peint vous rappelle les populations tribales d’Afrique australe. Votre femme entame gaiement la conversation avec vos voisins et son comportement dénote toute l’aisance féminine dans ce genre de situation. Mais vous faites bonne figure et gardez votre flegme intact.
Les premiers échanges débutent entre la Danoise Caroline Wozniacki et l’Australienne Jarmila Gajdosova. Vous préférez secrètement Mlle Wozniacki, dont la plastique et les formes plus généreuses vous rappellent votre maîtresse. A contrario, votre épouse vous glisse à l’oreille que Mlle Wozniacki lui fait un peu penser à la Duchesse de Cornouailles, Camilla Parker Bowles, dont la laideur n’a égal que les oreilles de son Prince de mari. Vous protestez avec véhémence, arguant que Camilla est tout de même plus digne que Mlle Wozniacki. Vous feignez donc votre désintérêt pour la jeune Danoise avec toute la distinction qu’imposent ces situations gênantes de la vie.
Le match ne passionne guère votre épouse, qui continue à vous soûler de vains discours, alors que vous tentez de rompre ce flot ininterrompu de paroles. Las, vous finissez par lui dire : «Darling, would you please shut up !». À votre grande satisfaction, Caroline Wozniacki remporte le match et votre épouse a saisi l’essence de votre message.

Les joueurs suivants entrent sur le court, Roger Federer affronte David Nalbandian. Vous vouez une admiration hors norme pour le Suisse, dont le jeu si parfait et le respect des traditions vous a fait vous fourvoyer à plusieurs reprises en société, alors que vous proposiez de le faire hôte d’honneur de votre club de bridge, pourtant réservé aux Anglais de 7e génération.
Encore une fois, votre femme vous fait part de ses remarques quant à l’accoutrement «un peu ostentatoire» de Federer et du fait que sa femme manque singulièrement de classe. Votre femme a en plus l’outrecuidance de prétendre que le numéro 3 mondial n’ira pas au-delà des quarts de finale. Votre sang ne fait qu’un tour et bien que vous pensiez aussi que Mme Federer soit d’une laideur sans égal, vous insultez votre femme en lui rappelant qu’elle n’a aucune connaissance du tennis et de l’histoire de celui-ci. Vous lui démontrez tous ses torts en évoquant le fait que sa grand-mère était écossaise, et non pas anglaise.
Le Suisse fait un véritable récital sur le court, ce qui ravit votre œil expert. De plus, votre femme fait une petite sieste à vos côtés, lassée de vos attitudes blessantes et de ce match pour lequel elle n’a aucun intérêt.
À l’aune du troisième et dernier match, vous envoyez votre épouse quérir une bière et un sandwich au saumon et évoquez votre triple pontage et votre hanche artificielle douloureuse comme prétexte pour rester dans les tribunes.
Le Serbe Novak Djokovic entame sa rencontre face au Chypriote Marcos Baghdatis. Vous n’appréciez guère le père Novak, ses comportements anti-fair-play et ses airs de grand guignol, même si votre femme vous rappelle avec raison «qu’il a changé». Elle, en revanche, admire sa plastique irréprochable et vous le fait savoir. Vous débattez longuement jusqu’au moment où votre voisin au visage peint renverse sa bière puante sur vos pantalons de lin blanc, dans l’excitation d’un point gagné par le Chypriote. Vous vous levez et l’insultez frontalement, ce qui vous vaut une expulsion honteuse du Central sous le regard amusé des spectateurs. Vous gardez tout votre sang-froid, naturellement. Votre femme vous abandonne à votre sort, et profite de votre absence pour faire la chasse à l’autographe.
De retour dans votre cottage, où votre femme passe ses dimanches à relecture des œuvres de Charlotte Brontë tandis que vous vous adonnez à la lecture de votre quotidien favori, vous relevez avec une certaine «self-satisfaction» votre éviction en gronde pompe du Central, relatée en tous points dans le journal. Et vous saisissez l’occasion de clamer à quel point vous vous trouvez ma foi fort bien pris et altier sur la photo couleur accompagnant l’article, où vous apparaissez à côté de celle de votre idole, M. Roger Federer.

Écrit par Jérôme Nicole

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4 Commentaires

  1. Ouais Mirka n’est peut-être pas miss monde mais elle est quand même loin d’être moche, sérieux, faut arrêter l’exagération 🙂

    Article rigolo mais j’aimerais bien que Marc Rosset bouge son boule et écrive un post sur son blog également. On est en Grand Chelem et on s’est pris un post pour une semaine complète!

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