Un handicap, vraiment ?

Avez-vous déjà entendu parler d’Oscar Pistorius ? Il s’agit d’un athlète sud-africain né sans péronés et amputé des deux jambes au-dessous du genou lorsqu’il était bébé. Féru de course à pied (hum…), «Blade Runner» porte des prothèses spéciales en carbone qui lui permettent de courir. Étant handicapé, le Sud-Africain s’aligne naturellement dans les compétitions réservées à cette catégorie d’athlètes. Jusqu’ici, tout est normal. Ou presque.

Or depuis 2004, Oscar Pistorius rafle tout dans sa classe d’handicap (la T44, réservée aux coureurs amputés au-dessous du genou). Détenteur du record du monde dans cette classe du 100 mètres (10"91), du 200 mètres (21"58) et du 400 mètres (47"49), le Sud-Africain souhaitait pouvoir concourir avec les valides puisqu’il est potentiellement capable de rivaliser avec ces derniers. La Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) lui octroie ponctuellement certaines invitations à des réunions, mais décide parallèlement d’interdire l’utilisation de toute forme d’éléments susceptibles de procurer un avantage à leur utilisateur. Indirectement, cela signifie que le coureur ne peut officiellement pas défier les meilleurs spécialistes mondiaux de la discipline.

«Pimp my legs»

La polémique provient de ses prothèses qui lui conféreraient un avantage trop important par rapport à ses concurrents. En effet, une étude menée par un professeur de biomécanique allemand avait conclu qu’à vitesse égale, les prothèses de Pistorius consommaient 25% d’énergie en moins que dans le cas de jambes normales1. La décision d’exclure l’athlète de toute compétition en compagnie des coureurs valides lui est alors confirmée, mais le Sud-Africain n’en reste pas là : il fait appel au Tribunal Arbitral du Sport à Lausanne (TAS) qui lui donne raison. Si l’avantage de l’utilisation des prothèses est acquis en ligne droite à vitesse constante, les performances d’Oscar Pistorius sont prétéritées lors de la mise en action ainsi que lors de la phase d’accélération. Le voilà donc admis parmi les coureurs qui possèdent des mollets, des chevilles et des pieds, et tout le tralala.
Cela dit, ses récentes performances font quelque peu grincer les dents dans le milieu : début 2011, il court toujours le 400 mètres au-dessus de la barre des 47 secondes. Soudainement, le Sud-Africain explose son record en courant la distance en 45"07 lors de la réunion de Lignano (Italie) le 19 juillet dernier, soit une amélioration de plus de deux secondes ! Du coup, il se qualifie pour les Mondiaux de Daegu en Corée du Sud qui débuteront à la fin du mois d’août. Le Tribunal Arbitral du Sport a commis ici une monumentale erreur tout en autorisant officiellement une nouvelle forme de dopage : le dopage technologique. Celui-là même dont Fabian Cancellara avait été accusé lorsqu’il faisait étalage de toute sa puissance pour mener le train des Saxo Bank.
Premièrement, c’est une erreur du point de vue technique : sur un 400 mètres, la mise en action ainsi que l’accélération représente à peine le 10% de la course. Ça va être très rigolo lorsque la fusée de Johannesburg fondra sur ses concurrents en deuxième partie de course à l’aide de ses ressorts. S’il suit la même progression, on se réjouit de voir la tronche des Wariner et autre Merritt lorsqu’ils se seront faits déposer comme des grands sur la ligne d’arrivée… Et sans muscles en dessous du genou, pas de risque d’accumulation d’acide lactique à ce niveau au fil de la course. Sans compter les risques de blessures.

Lausanne 1, Monaco 0

Ensuite, cette décision se base sur des considérations arbitraires, fruits d’études contradictoires ne pouvant garantir une irréfutabilité totale. À partir de quel moment est-on réellement avantagé ? Dans quel cas précis ? À quel niveau et de combien ? Qu’en est-il des autres épreuves ? Autant de questions dont il n’est pas possible d’avoir des réponses satisfaisantes. Généralement, dans le doute on s’abstient ; actuellement, le seul moyen d’avoir une délimitation claire et précise est le fait d’utiliser ou non des prothèses. Réducteur, peut-être. Mais à défaut de grives on bouffe des merles.
Dernièrement, les juges du TAS n’ont à aucun moment pensé aux problèmes de l’application d’une telle décision dans un processus dynamique, ni même aux conséquences qu’une telle jurisprudence pourrait engendrer. Maintenant que Pistorius peut courir dans la catégorie des valides, existe-t-il un suivi clairement défini quant à l’utilisation de ses prothèses ainsi qu’une règlementation en la matière ? Ces pièces n’ont en effet pas atteint le stade ultime en matière de développement et de progrès technologiques… Si «Blade Runner» se pointe une fois muni de nanovérins hydrauliques à triple propulsion thermonucléaire et qu’il pulvérise le record du monde en 33 secondes, ces Messieurs auront un peu l’air con. Exemple ma foi extrême, mais nous allons dans cette direction. De plus, s’il faut à chaque fois faire des études onéreuses pour savoir si tel ou tel est injustement avantagé dans un cas précis, on n’est pas sorti de l’auberge.
À partir de là, on peut imaginer toutes sortes de variantes comme solution alternative, on peut aussi aller au bout du raisonnement. Supprimer les Jeux paralympiques et intégrer les athlètes directement aux JO. Ou pire : fusionner des catégories hommes et femmes afin d’en faire une seule mixte. On imagine déjà la boucherie, tant bien même qu’il est difficile de masquer son sourire en imaginant un Rafael Nadal distiller des amorties à une tenniswoman turkmène militant dans cette ancienne fameuse classe T44…
1 http://news.bbc.co.uk/sport2/hi/olympics/athletics/7141302.stm

Écrit par Mathieu Nicolet

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13 Commentaires

  1. Comme d’habitude, très politiquement incorrect, mais tellement juste dans ce cas précis.
    Seul bémol, je ne te suis pas vraiment sur le dernier paragraphe; surtout que les paralympiques sont plus là pour le symbolisme que pour les performances réelles, surtout dans certaines catégories.

  2. Mais qu’il court avec ses fausses jambes et on verra bien ce qu’il se passe… Tu crois vraiment que les autres amputés vont tous courir aussi vite et qu’on aura que des jambes bioniques sur les podiums? Non mais… Ils pourraient peut-être en filer aux latéraux du LS…

  3. Il n’y a rien de politiquement incorrect. C’est justement très intéressant et ça soulève bien une problématique. Les juges du TAS auront, comme tu dis, bien l’air con une fois le record du 400 mètre pulvérisé par un invalide aux protèses über technologiques..

    ça ne mène nulle part..

  4. Prochaine étape, le toucher rectal pour déterminer si le type qui fait de la natation synchronisée est réellement un homme ou si c’est une femme…

    Ricky Martin s’est déjà proposé comme juge…

  5. Ca deviendra surtout franchement drôle (ou pas du tout) lorsque des valides bien portants se feront amputer des membres pour les faire remplacer par des prothèses plus performantes que leur propres jambes, bras, tout ça pour gagner…

  6. Si on s’abstient de faire courir un athlète dans le doute en athlétisme ça revient à faire des championnats amateurs. Je préfère un « dopé » mécanique qui annoncent la couleur qu’un faux qui se shoote. Il n’y a pas de produit masquant pour une prothèse. Les produits dopant n’ont pas non plus atteint leurs limites en terme de développement.

    La question que je me pose c’est si le mec n’a qu’une prothèse, est-ce qu’il part en tête-a-queue?

  7. Pistorius ça sonne quand même ‘achement bien comme nom de super héros.

    Si en plus il fait de la course … sur piste.

  8. Je vis sans handicap majeur, et je suppose que vous autre non plus.
    Mais essayons de se mettre à sa place.
    Le mec a dû, de toute évidence, avoir un début de vie de merde. ça ne doit pas être le pied de ne pas en avoir.
    Il a vécu avec le regard des autres qui est loin d’être facile et les blagues douteuses. genre: « viens Oscar, on va jouer à Zig-zag-zoug ».
    Par démoralisé pour un euro, il se lance dans l’athlétisme.
    Et maintenant, ça polémique parce que, durant 45 secondes, il sera au-dessus du lot et profitera d’un avantage que d’autre n’ont pas.
    Alors que durant tout sa vie, c’était le contraire.

  9. @Parks
    Il profite d’un avantage dont les autres ne peuvent bénéficier. A ce moment il pourrait se mettre au cyclisme et on l’autoriserais à utiliser un moteur. C’est un peu exagéré mais le principe est le même.
    Ce n’est parce qu’il est né avec ce handicap qu’il doit être favorisé par rapport aux « valides »!

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