Marc Rosset, sa vie, son œuvre

Deuxième partie de notre Place des Grands Hommes avec Marc Rosset. Si l’adrénaline des matches lui manque, il ne se voit pas 35 semaines par année sur le circuit. Dans l’avion pour Cincinnati 48 heures après sa victoire aux JO, il n’aura eu que peu de temps pour réaliser son exploit, «juste dans le vol entre Barcelone et Genève». Marc Rosset nous raconte ses bons souvenirs avec Jim Courier dit «Mr. Pink», la finale de Fort Worth, sa réputation et le SR111, dont il «a entendu tellement de conneries». Discussion autour de sa vie, son image et sa carrière.

Que devient Marc Rosset à maintenant 40 ans ?J’organise des camps de tennis d’été avec des jeunes qui sont âgés de 5 à 17 ans, 7 semaines par an, soit à Genève soit à Gstaad. Je m’occupe du Geneva Challenger qui aura lieu du 5 au 13 novembre. Je suis toujours consultant pour la TSR. J’ai également un ou deux projets avec René Stammbach, mais c’est encore trop tôt pour en parler. J’aimerais bien revenir un peu plus dans le monde du tennis et m’impliquer davantage.
Quelle est la plus grande différence entre le Marc Rosset d’aujourd’hui et le Marc Rosset des années 90 ?
(Il réfléchit) Beaucoup plus réfléchi, beaucoup plus ouvert. J’ai actuellement moins de stress, moins de pression aussi. Ma vie est aujourd’hui plus simple même si elle est moins excitante que lorsque j’étais tennisman, ça c’est sûr. L’adrénaline des matches et le rythme sur le circuit professionnel, c’est une vie hors normes. Quels que soient les projets que je peux avoir aujourd’hui, même s’ils sont fantastiques, je ne retrouverai jamais l’adrénaline d’un match de Coupe Davis ou d’une rencontre sur le Central de Roland Garros. La chose la plus dure à accepter quand t’arrêtes, c’est de ne plus avoir ce genre de sensations.
C’est vraiment hors normes la vie de tennisman professionnel ?
Tu voyages toutes les semaines, tu as des matches, des victoires, des défaites, des déceptions ; il y a des jours où tu es super heureux, d’autres jours où tu es au fond du bac. Bref, tu vis à 100 à l’heure. Mais quand tu le vis, tu n’as pas l’impression que c’est un truc incroyable à faire ; tu es jeune et malléable à plein de choses. A 40 ans maintenant, j’aurais de la peine si je devais repartir dans ce genre de vie. Mais d’un autre côté, quand tu es habitué à voyager dès l’âge de 15 ans avec ce genre de sensations, et que tu te retrouves aujourd’hui à habiter chez toi et à faire moins de voyages, tu perds de l’adrénaline. C’est une autre vie qui prend le dessus. Reste à trouver de nouvelles occupations qui te procurent d’autres satisfactions, car la vie post-tennis peut te sembler chiante. Il y a plein de mecs qui vivent comme moi à 40 ans et qui sont super heureux, mais par rapport à ce que j’ai vécu avant, il y a des moments où je me dis «merde, ça me manque».
Et coach d’un joueur, ça ne t’a jamais tenté ?
Je n’ai pas envie de repartir 35 semaines par an sur le circuit. Honnêtement, je serai beaucoup plus efficace pour un joueur qui est dans la merde et qui a besoin de faire une opération commando sur 2-3 mois pour se remettre d’aplomb que dans la durée. Je suis plus efficace pour les situations de crise que pour gérer une situation au quotidien, que ce soit pour le tennis ou pour d’autres choses que je fais à côté. J’étais déjà comme ça en tant que joueur.

Revenons à ta carrière… Ton plus grand souvenir sur un court, c’est quand même cette médaille d’or aux JO ?
(Il hésite) Tout le monde me parle de cette médaille d’or aux JO… C’est mon plus grand résultat, c’est certain. Après, en termes de satisfaction, les rencontres de Coupe Davis étaient plus fortes. Quand j’ai gagné cette finale aux JO, il y a eu la cérémonie, le contrôle anti-dopage, le plateau de la TSR et après le village olympique. Le lendemain je suis rentré sur Genève où il y avait une réception organisée par l’Etat, et le jour d’après je suis parti aux Etats-Unis. Je n’ai donc pas eu le temps de vivre le truc, à part peut-être dans l’avion entre Barcelone et Cointrin où j’étais avec ma médaille et me suis dit «cool». Si j’étais resté une semaine à Genève et avais rencontré les gens dans la rue, j’aurais pu profiter différemment et me rendre compte de ce que j’avais réalisé. Comme par exemple l’équipe d’Alinghi qui était revenue en Suisse après son triomphe en Coupe de l’America.
Mais voilà, quand le lendemain tu es au tournoi de Cincinnati, ce n’est pas pareil. Et à l’époque, il n’y avait pas d’iPhone, d’internet, de sms ou de Facebook. Tu ne pouvais pas recevoir 200’000 messages d’un coup. Tu es donc coupé du machin et tu dois déjà passer à autre chose car il y a l’US Open qui commence bientôt. C’est comme lorsque tu gagnes un tournoi ATP : tu es seul à l’autre bout de la planète avec ton coach, tu rentres à l’hôtel, tu regardes la coupe, tu fais ta valise et ça s’arrête là. Sur le papier c’est mon plus grand résultat, mais il y a des victoires en Coupe Davis qui ont été plus belles. Lorsqu’on est plusieurs à vivre le truc en même temps, c’est plus fort. Tu peux communier avec le public et tu apprécies plus l’instant présent.
Raconte-nous ce fameux quart de finale contre Emilio Sanchez où tu allumes toutes les crevettes à l’ail dans les tribunes…
C’est un super souvenir. C’est pour vivre des émotions comme ça que tu joues au tennis. C’était chaud, c’était le soir, il y avait une médaille à la clé. Et avec ce public qui était contre moi, c’était une source de motivation supplémentaire. Chacun réagit différemment à ce genre d’ambiance. Il y a ceux qui sont plus classiques et qui aiment que tout le public soit derrière eux, et il y en a d’autres comme moi qui aiment ces ambiances conflictuelles.
Reparle-nous de cette finale à Fort Worth. C’est quand même une sale gueule, pour ne pas dire un sale con, ce John McEnroe !
Franchement, non. C’est comme ce match contre Courier. Un moment il m’insulte et crache  dans ma direction ! Mais Jim Courier, c’était un super pote. Courier, quand il était numéro 1 mondial, il allait dans les tournois et réservait toujours ses chambres sous des noms du film Reservoir Dogs, comme par exemple Mr. Pink ou Mr. Brown. Quand on disputait le même tournoi, il me donnait rendez-vous à tel hôtel, me filait son faux-nom et on allait bouffer ensemble au resto, souvent tex-mex. Parfois Agassi nous rejoignait. C’était un super pote, il parlait français car sa copine était française à l’époque. On était très proches mais quand on jouait un match, c’était la guerre et ça ne me posait aucun problème. Parce que c’est franc du collier. Lui il a envie de te battre, toi t’as envie de le battre, et on met ça sur un esprit «je te déteste».
Avec Courier, tu ne pouvais pas aller au filet sans qu’il t’allume. Pour te montrer que c’était lui le boss sur le terrain. Mais ça ne me posait pas de problème. Même McEnroe qui était super excité et qui nous filait des coups d’épaule aux changements de côté, ça ne m’a pas dérangé. Quand tu disputes un match de Coupe Davis, tu sais que ça va être comme ça. Ça fait partie du jeu. Je n’ai rien contre McEnroe ou contre quelqu’un d’autre par rapport à cette finale de Fort Worth. Par contre, lorsque le mec d’en face essaie de te «carotter» le point ou fait semblant d’être blessé, là c’est chiant, c’est vicieux. Mais ce n’était ni le cas de McEnroe ni de Courier.
Ta carrière a été énorme. Il n’empêche que sur le moment, on pouvait péter les plombs sur ta forme de nonchalance, et penser que tu pouvais en faire plus… Aurais-tu pu en faire plus ?
Déjà, par rapport à ma nonchalance, c’est aussi dû au fait que je fasse 2 mètres. Des critiques sur moi ont été exagérées, des flatteries aussi. Je n’étais pas un mec consistant comme Jakob Hlasek, j’avais un côté émotionnel qui pouvait prendre le dessus. Tu nais avec des qualités et des défauts, tu peux essayer dans une certaine mesure de modifier certaines choses ; mais si tu es un émotif, tu ne peux pas devenir un mec froid.
C’est comme pour Marat Safin. D’un côté tu te dis qu’il aurait pu en faire plus, d’un autre côté avec sa tête tu te dis «putain c’est incroyable ce qu’il a fait» (il rigole). Après c’est sûr, je n’étais pas un joueur constant. J’étais capable de faire un truc bien, puis une merde. C’était moi. Mon plus grand regret, c’est de n’avoir pas gagné un tournoi du Grand Chelem. Maintenant, tu ne restes pas x années dans les 15 à 20 meilleurs joueurs du monde si tu es un branleur ou si tu es nonchalant. Tu ne peux pas rester à ce niveau sans t’entrainer. Je n’en connais pas un.
Comment expliques-tu ces hauts et ces bas dans ta carrière ? As-tu essayé de les gérer ?
Quand je rentrais sur un terrain de tennis, je ne me battais pas contre l’adversaire, je me battais contre moi-même. Je n’avais pas confiance en moi ni en mon tennis. Un jour par exemple, je devais jouer Becker à Bercy. Je suis dans les vestiaires avec mon entraîneur avant le match et je lui dis que je ne vois pas comment je peux gagner. Il me dit pourquoi ? Je lui réponds qu’il va faire service-volée sur mon revers et que même si j’arrive à retourner, il n’a plus qu’à mettre la volée sur mon revers et je n’arriverai pas à le passer. C’est comme ça que je voyais le match. Je voyais exactement comment il pouvait me battre au lieu de regarder comment moi je pouvais le battre. Je voyais la situation négative avant même de rentrer sur le terrain. Et finalement je bats Becker en faisant un super match ! Durant ma carrière, il y a beaucoup de mecs qui m’ont battu parce que je me suis sabordé.

La fête, l’alcool, les excès… On a beaucoup exagéré sur ton compte et nous en premier, non ?
Bien sûr. Quand j’ai commencé à jouer au tennis, ça m’est arrivé de prendre des bonnes cuites. Mais c’était plus pour décompresser. Chacun gère la pression à sa manière. Personnellement, j’avais besoin de prendre une bonne cuite de temps en temps et de me vider la tête. Et le lendemain j’étais bien, je repartais tranquille. Après, j’ai entendu des histoires comme quoi je participais à telle fête alors que j’étais dans un tournoi. Tu sais, lorsque tu arrives dans le feu des médias et dans la lumière, la première image que tu donnes c’est l’image qui va te suivre toute ta vie. Et la première image que j’ai donnée, c’est celle d’un mec qui disait ce qu’il avait envie de dire et qui faisait la fête quand il en avait envie. C’est l’image que les gens ont gardé de moi. Et comme après tu as cette image, c’est à chaque fois amplifié. Les gens disent «s’il a perdu ce match c’est parce qu’il a fait la fête». Mais encore une fois, tu ne restes pas tant d’années dans les meilleurs mondiaux si tu es alcoolique ou fêtard.
Marc Rosset, certains l’ont peut-être oublié, est un miraculé. En 1998, après une élimination au premier tour de l’US Open, tu décides de ne pas prendre l’avion pour lequel tu avais pris un billet afin de – source Wikipedia.org – «rester faire la fête à New-York». Le 2 septembre 1998, ce vol SR111 s’écrase en mer…
Mais c’est une connerie ça encore !
Ah bon ?
Oui, c’est une connerie les gars… Sur ce truc j’ai entendu mille histoires différentes, que des conneries. Je suis rentré à Genève et j’ai entendu que je n’avais pas pris l’avion parce qu’il n’y avait plus de places en première classe. J’ai entendu mille conneries ! L’histoire, elle est comme ça : je suis à New York, je perds à l’US Open et je n’ai pas envie de rentrer à Genève parce qu’il n’y a personne pour s’entraîner. Alors je décide de rester une semaine à New York afin de pouvoir m’entraîner avec les joueurs là-bas. Le lendemain je vais à l’US Open. Sauf que dans les Grands Chelem, quand t’as perdu, c’est la mort pour avoir un terrain d’entraînement. On laisse donc tomber cette idée et, à 14 heures, on décide de rentrer en Suisse et on fait la réservation de l’avion pour le soir. On prend la voiture, on rentre à l’hôtel et on fait nos valises. Et là, j’ai un bon pote de New York qui m’appelle pour manger le soir et qui insiste un peu. La vérité, ça fait 4-5 semaines que j’étais aux Etats-Unis et je n’avais pas envie de rentrer le jour même. Bref, j’appelle mon entraîneur et je lui dis «on part demain, mais on n’annule pas le vol, on s’en fout, on fait un no-show à l’aéroport». Le soir, je vais donc manger dans un resto chinois avec mon pote. A 22h30, je suis dans la chambre. A 22h40 mon pote m’appelle et me dit «fous CNN !» Et j’ai vu que l’avion s’était écrasé et qu’il n’y avait plus aucun survivant… C’est ça l’histoire, tout simplement.
Et là t’es reparti boire un verre avec ton pote ?
Non, je suis resté jusqu’à 6h du mat devant ma télé et j’ai appelé mon père. Ensuite je suis resté 2 jours de plus à New York parce que j’étais sonné. Mais ce n’était pas pour faire la fête ou quoi que ce soit. Je n’étais pas à un jour près pour rentrer. L’histoire est aussi banale et simple que ça, c’est tout.
Si tu as manqué le début : Marc Rosset et son vrai-faux blog
A suivre : Marc Rosset, le capitaine

A propos Marco Reymond 470 Articles
Un p'tit shot ?

Commentaires Facebook

3 Commentaires

  1. Merci pour cette magnifique interview! Ca m’a pas laissé indifférent.
    C’est vraiment quelqu’un d’attachant ce Marc.
    Bravo aussi pour la qualtié des questions.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.