Les Fauves centrafricains se cherchent une âme

Mais pas seulement. Un palmarès aussi. Palmarès, c’est peut-être même trop ambitieux comme terminologie. Les Fauves du Bas-Oubangui, joueurs de football évoluant en Centrafrique, n’ont qu’un seul objectif : une qualification à un tournoi, quel qu’il soit. Vous me direz à juste titre : «Mais ces joueurs, ils jouent dans quel(s) pays au centre de l’Afrique ?»

Et, c’est bien là le problème, ils jouent en Centrafrique avec majuscule, Ködörösêse tî Bêafrîka en sango, la langue nationale. Ce pays est inconnu des amateurs de football européen, américain mais aussi asiatique et, accrochez-vous, même africain ! Pas plus loin qu’il y a deux mois, j’ai dû, à ma grande surprise, expliquer à plusieurs Kenyans éduqués où se trouvait la République centrafricaine (RCA)… J’ai eu beau énumérer quelques-uns de ses fameux pays voisins, Tchad, République démocratique du Congo, Soudan – tous plus connus sous la rubrique conflits armés & déplacement de population que football –, mes «frères» kenyans du moment ne voyaient toujours pas, à l’image des Ivoiriens.

Comme un Gang Bang-ui

Et même si selon certains journalistes, il fait bon vivre à Bangui, la capitale surnommée la Coquette, le pays est considéré comme un Etat fantôme. Son équipe nationale de football, elle, se cherche une âme. Composés de jeunes joueurs évoluant pour les plus doués dans des clubs de seconde zone des championnats européens –français, anglais ou allemand – comme Geoffrey Lembet, le gardien, au CS Sedan, Hilaire Momi au Le Mans FC, Kelly Youga à Charlton ou David Manga au TSV Munich 1890…
Même s’ils ne jouent peut-être pas en première division ou même en deuxième pour certains, ils ne peuvent que regarder vers le haut, à l’instar de leur capitaine, Foxi Kethevoama, le plus capé en sélection (17), qui joue en première division… hongroise. Ou encore le jeune attaquant Habib Habibou qui chauffe le banc en première division belge avec le SV Zulte Waregem, après avoir pourtant «affolé» les compteurs en 2010 (13 buts en 31 matches). 
Classé dans les bas-fonds du classement des économies mondiales (PIB de 435$ par habitant selon le FMI en 2010, classé 170e/179), l’équipe nationale ne fait guère mieux avec un palmarès famélique, à l’image de la pauvreté du pays. 111ème au classement FIFA, derrière Cuba et la Syrie mais devant le Luxembourg et le Liechtenstein pour vous aider à situer leur niveau.

Coca zéro vs. Djino cola

Le mot palmarès n’existe donc pas en sango, au contraire du chiffre zéro qui marque les esprits, à défaut de marquer des buts. Zéro, c’est le nombre de phase finale de Coupe du Monde et de Coupe d’Afrique que compte la RCA ; zéro, comme les titres en simple d’Yves Allegro, le nouveau coca ou l’argent dans les poches des fonctionnaires grecs. A sa décharge, elle n’a pas présenté d’équipe pour le tour préliminaire de la Coupe du Monde et de la CAN entre 2006 et 2010, à cause du coup d’Etat en 2003 de l’actuel président, François Bozizé, et de la guerre civile qui s’en suivit.
La Centrafrique, pays inconnu et ignoré du monde, n’est donc pas le centre-à-fric du ballon rond. Pourtant, ses Fauves ne désirent qu’une seule chose : rugir et ouvrir leur compteur qualification de n’importe quelle compétition. Et l’occasion était belle en cette fin d’année 2011. Avec un début de qualification pour la CAN 2012 tout aussi réussi que surprenant, les joueurs noirs, bleus et blancs avaient leur destin entre leurs mains avant les 2 dernières rondes. Ils pouvaient arracher la 1ère place, synonyme de qualification directe pour la Guinée Equatoriale et le Gabon, mais il fallait passer l’obstacle marocain sur son sol en terrît à Bangui puis se déplacer en Algérie, un parcours clairement miné.
La première marche vers les sommets s’est soldée sous la pluie par un 0-0 des familles africaines élargies face aux Lions de l’Atlas dans un stade, le Complexe Sportif Barthélemy Boganda – construit par les Chinois –, plein à craquer. Ce nul n’arrangeait pas les affaires des Fauves du Bas-Oubangui, obligés d’aller chercher une victoire à Alger.

Pas de place pour le rêve

Pays coutumier des coups d’Etats, son équipe nationale n’a pourtant pas réalisé dimanche dernier le coup espéré à Alger. Pire, tétanisés par l’enjeu d’une première qualification historique pour une compétition continentale, les joueurs se sont vautrés comme des petits Suisses en terre galloise. Ne s’appelle pas la France qui veut, seule équipe tant au football qu’au rugby à pouvoir jouer comme des manches à balais et arriver en finale.
Pourtant, tout avait été mis en place pour que la fête soit belle à Kaga Bandoro, la ville où je réside (qui ressemble plus à un village). Cacahuètes grillés, Djino pamplemousse et bières Mocaf, rien n’avait été laissé au hasard. La chaîne nationale centrafricaine ne diffusant ses émissions que dans la région de Bangui, les habitants de Kaga Bandoro (la lettre g se prononçant c) devaient se rabattre sur la chaîne camerounaise LC2 captée par le câble satellite. Pas besoin de vous faire une peinture à l’huile, rares sont ceux qui possèdent le câble (CanalSat) à Kaca Bandoro. C’est ainsi qu’une soixante de convives, principalement des amis avec qui je joue au foot les samedis matins, s’était réunie chez moi dans la salle où se trouve la télévision (datant des années 80).
La bulle spéculative de l’euphorie d’avant-match a littéralement explosé après une toute petite minute de jeu seulement et l’ouverture du score algérienne. Une vingtaine de minutes plus tard, le 2-0 tombe sur la tête des supporters centrafricains comme une mangue mûre : la défense était aux abonnés absents, à l’image de la couverture du réseau téléphonique Orange à Kaga Bandoro. La suite ne fut que du remplissage, succession de passes ratées, de contrôles approximatifs, de plongeons rocambolesques des nageuses algériennes et de dribbles de trop.

Tsunami portugais

A la mi-temps, j’ai tout de même pu entamer une discussion sur les championnats européens et le football en général. Je fus surpris de la culture footballistique de mon voisin de chaise en plastique qui m’énumérait avec érudition les victoires de tels ou tels clubs ou encore les buts des stars du ballon rond. Il connaissait bien Cristiano Ronaldo, sa carrière de Manchester United à Madrid, en passant par ses frasques et ses plongeons, également nombreux. Il a aussi ajouté :
– «Il vient du Portugal».
Surpris par la justesse de son propos géographique, plutôt rare parmi mes «frères kaga bandoriens» (et pas banderiens ), je lui répondis par l’affirmative. Fier, il renchérissait de plus belle :
– «Le Portugal, c’est un des pays qui a été touchés par le tsunami !»
– «Bien sûr» lui répondis-je en me retenant de rire pour ne pas vexer mon interlocuteur du moment, ma foi fort sympathique. 

«On est ensemble»

La seconde période fut à l’image de la première : insipide, avec tout de même une action de but pour les noirs, bleus et blancs, transformée en tir d’obus dans les nombreuses étoiles du ciel africain. Au coup de sifflet final, la déception ne fut pas trop grande pour mes convives puisque les attentes ne l’étaient pas non plus. Les Fauves auront mal géré la fin du tour préliminaire, à l’image des matches de vétérans amicaux que je joue les week-ends. Jeu physique, peu de technique collective, trop de dribbles et aucune organisation défensive, c’est mon pain quotidien du samedi matin. Les joueurs de l’équipe nationale, malgré de nombreuses similitudes, jouent au moins avec des «bottines» (chaussures de foot) et non en «flip flop» comme mes sympathiques partenaires du foot de talus.

En silence, la salle s’est vidée en deux minutes. Il n’y aura pas d’après match festif, dommage. Des «on est ensemble» Daniel, le «merci» local, sont parvenus à mes oreilles.
Plus que 123, bon anniversaire CartonRouge.ch !
«On est ensemble !»

Écrit par Daniel Corthésy

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6 Commentaires

  1. Bravo!!!!!
    Oui tu vis en Centrafrique, dans la description des faits, je t’attribue la NOTE Triple AAA.
    J’ai joué ce terrain de Kaga Bandoro dans le cadre des éléminatoires de la coupe B. Boganda.
    Magnifique ville.
    Exactement, comme j’ai du mal à situer la centrafrique à mes collègues de travail.
    La meilleure est quand je dis que je viens de la centrafrique, 99% me demanderons « c’est où? c’est un pays? Ce qui fait que maintenant j’insiste en disant: Je viens de la centrafrique si jamais c’est pays situé et je cite les pays frontaliers.
    Jean-Blaise. M

  2. Excellent article, vraiment bien écrit. J’adore le ton, les images avec des sorties truculentes et des jeux de mots pertinents… des Ivoiriens au Centre à fric en passant e me réjouis de voir le suivant

  3. Superbe! j’avais malencontreusement « sauté » cet article et je ne regrette pas d’être revenu en arrière pour le lire… La grande classe! Merci!

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