180° Sud, partie 15 : les options futures

La taille du marché n’est pas un vain mot ; c’est même un élément capital au succès d’une concession, bien plus que sur le palmarès sportif. Un excellent bilan sportif couplé à un palmarès conséquent ne garantit pas la survie d’une concession dont la santé dépend aussi directement des conditions économiques et des résultats sportifs à l’instant présent.

Edmonton, New York Islanders, New Jersey ; bien qu’ayant un passé hautement respectable, toutes ces équipes ont été – ou sont actuellement en danger. Point commun entre ces franchises : elles ont fait leur apparition dans les années septante, durant l’ère de la grande expansion de la Ligue nationale de hockey. Elles ont donc dû d’emblée se montrer performantes afin d’obtenir une implémentation stable, élément qui a nécessité pas moins de deux déménagements précédents dans le cas des Devils. A contrario, les équipes historiques qui sont membres de l’original top-6 ne sont jamais menacées, même en cumulant les saisons désastreuses à l’image de Toronto. Faisant partie intégrante du mythe estampillé LNH, la taille colossale de leurs marchés respectifs rend les formations telles que Chicago, Boston, Montréal et consorts invulnérables.

Contraction ?

Face à la situation difficile voire problématique et inquiétante dans laquelle se retrouvent certaines concessions, un terme a fait son apparition et contraste drastiquement avec le plan Bettman : la contraction. Les partisans de cette option consistant à réduire le nombre d’équipe en Ligue nationale possèdent de nombreux arguments non dénués de sens. Il y a d’abord le contexte financier : actuellement, certains marchés sont trop petits et trop versatiles pour garantir la viabilité d’une concession sur le long terme. Étant trop fortement soumises à des changements brusques, les franchises de taille modeste ne se trouvant pas dans une situation géographique optimale stratégiquement parlant sont les plus exposées à se retrouver en délicate posture. Les pertes financières de ces organisations sont en outre assumées par les collectivités publiques dans de nombreux cas. Les délocaliser ne ferait que déplacer le problème.


Plutôt que déménager, les Coyotes pourrait aussi simplement disparaître…

Ensuite, il y a l’aspect sportif. L’apparition de nouvelles franchises a créé une dilution du niveau général. Certaines équipes n’ont plus le niveau pour se montrer compétitives, surtout sur le long terme. Et qui dit performances sportives en berne dit pertes financières. On en revient donc au premier point. D’un point de vue général, c’est le niveau de jeu global de la Ligue nationale de hockey qui en pâtit alors qu’elle se retrouve aussi en concurrence avec d’autres ligues qui tentent de calquer leur modèle sur le sien, dont la KHL.
Finalement, il y a l’argument traditionnaliste. Le retour à une Ligue nationale à 26 équipes par exemple permettrait de revenir sur un modèle à deux conférences et quatre divisions. Ceci permettrait de mieux répartir les matchs en fonction des critères géographiques, en tenant mieux compte de certaines rivalités historiques dans le calendrier. Avoir un plus grand nombre de «derbys» – sans tomber dans l’excès – accroîtrait l’intérêt des matchs ainsi que les rentrées financières. Diminuer le nombre d’équipe pourrait donc limiter les déficits tout en assurant un meilleur niveau de jeu. Pour l’heure, ce concept n’est pas encore arrivé aux oreilles de Gary Bettman…

La dissolution de l’AMH

Il faut remonter à plus de 30 ans pour trouver les premiers facteurs qui expliquent la situation actuelle. L’Association mondiale de hockey (AMH) avait été créée en 1972 dans le but de contrer la suprématie de la Ligue nationale de hockey. Dix équipes faisait alors partie de cette ligue dont les Oilers d’Edmonton, les Nordiques de Québec et les Whalers d’Hartford. Cela n’a toutefois pas fonctionné. La majorité des franchises de l’Association mondiale de hockey se sont retrouvées dans une situation critique et l’AMH a finalement fait faillite en 1979, ouvrant la voie à une redistribution entre les deux ligues. Certaines équipes ont été liquidées tandis que d’autres ont rejoint la Ligue nationale de hockey. Catapultées dans cette nouvelle organisation, ces concessions situées dans des marchés de taille restreinte n’ont pas tardé à se retrouver à nouveau en difficulté et à figurer parmi les premiers candidats à la relocalisation.
Pour résumer le contexte actuel, simplifions le problème : la Ligue nationale de hockey est un business qui doit générer un maximum de profit – Gary Bettman a justement été engagé dans ce but. Pour faire du profit, les franchises doivent elles-mêmes avoir le potentiel pour dégager des revenus suffisants. Cela passe par le succès sur la glace, le sponsoring, les droits télévisuels, les contrats publicitaires, et bien d’autres paramètres. Partant de ce principe, la LNH a donc prospecté dans des régions où le hockey sur glace est méconnu, mais où le potentiel économique est présent. Pour ce faire, il existe deux options : la relocalisation de franchises en mauvaise situation financière et la création de nouvelles concessions dans ces territoires. C’est dans ces deux approches que la Ligue nationale de hockey a commis de nombreuses erreurs que nous allons résumer de manière non exhaustive, en se concentrant sur l’ère Bettman.


Le duo Yzerman-Boucher a contribué à la renaissance du Lightning.

Retournons en 1992, l’année où le Lightning de Tampa Bay avait fait son apparition, jouant le rôle d’éclaireur dans la nouvelle stratégie de développement du hockey dans le sud. Rétrospectivement parlant, nous pouvons vivre avec la création de cette concession bien que Tampa Bay ait connu passablement de turbulences durant son existence en raison de performances calamiteuses. La victoire surprise de la franchise lors du championnat 2003/2004 a permis à cette dernière de sortir la tête de l’eau et le très compétent binôme Yzerman-Boucher a redonné une nouvelle vie à une formation moribonde. Rien n’est définitif, mais Tampa Bay se trouve actuellement dans une tendance très favorable. En fait, l’erreur ici réside dans la création de la franchise des Florida Panthers. La raison était très naïve : avec la présence de nombreux ressortissants du nord des États-Unis et du Canada, en particulier des retraités qui sont fans de hockey, un engouement allait forcément se créer autour de cette équipe. Même si les Panthers se sont montrés meilleurs que le rival Tampa Bay au début, le constat est maintenant tout autre : 18 ans plus tard, la franchise est aux abois et elle détient le pire bilan sportif de la Ligue nationale de hockey. Dans ce contexte, placer deux équipes en Floride ne se justifie en aucun cas.

L’affront d’Orange County

Anaheim est aussi une hérésie dans le paysage. Créer une équipe de LNH à partir d’un film pour enfant made in Walt Disney n’est pas la meilleure chose à faire si l’on veut rester crédible. De plus, il y avait déjà une équipe dans la région de Los Angeles, laquelle était parvenue à se bâtir une certaine légitimité, grâce notamment à Wayne Gretzky. Oui certes, cette formation a remporté la Coupe Stanley en 2007 mais ce n’est pas pour autant que ses fans sont devenus des modèles de fidélité. La saison dernière, les Ducks avaient fini à la quatrième place de la Conférence Ouest tout en drainant moins de 14’000 spectateurs en moyenne. Une honte. Aujourd’hui encore, il suffit de parcourir le forum de l’équipe pour se rendre compte qu’une majorité d’intervenants ne savent toujours pas ce qu’est un dégagement interdit ou un hors-jeu. Et ça, ça fait mal.
Le déménagement des Winnipeg Jets à Phoenix était inévitable et il fallait de toute manière trouver une solution. Mais de là à implanter une équipe de hockey en plein désert où il fait plus de 40 degrés à partir du mois d’avril, il n’y pas besoin d’avoir un bac+5 pour se rendre compte que cette initiative était vouée à l’échec.  Même avec deux participations de suite aux play-off, la franchise de l’Arizona n’a pas été capable de dépasser les 12’000 spectateurs en moyenne. Dans ce cas, c’est plutôt la gestion du dossier des Coyotes de la part de la Ligue nationale de hockey qui est déplorable. En s’obstinant à vouloir maintenir l’équipe dans un lieu où elle perdra continuellement de l’argent, Gary Bettman et ses sbires ont été jusqu’à acquérir la franchise et à assumer ses pertes financières colossales avant que la ville de Glendale ne plume ses contribuables. Le problème est que la Ligue se trouve continuellement en porte-à-faux : d’un côté, elle doit tout faire pour être un produit à succès – et cela passe par la relocalisation de franchises lorsque cela est nécessaire –, mais d’un autre côté elle doit se montrer crédible en maintenant sa position, même si les choix faits ne sont pas les plus judicieux… Ce dernier point est précisément appliqué à l’extrême dans le cas de Phoenix.

Une expansion irréfléchie

La dernière vague d’expansion réalisée entre 1998 et 2000 est aussi discutable. Les Predators ont été à deux doigts de mettre les voiles et ils doivent leur maintien dans le Tennessee grâce à la stupidité extrême des deux acheteurs potentiels que furent del Biaggio et Jim Balsillie, dit «Balsilly» dans le jargon. Le bateau Columbus continue à couler lentement mais surement alors qu’Atlanta a déjà mis la clé sous le paillasson. Remettre une franchise dans une ville qui avait déjà échoué dans le marché du hockey est là l’une des plus brillantes idées de la Ligue nationale de hockey ; où l’art d’apprendre de ses erreurs. Tout espoir n’est pas perdu, puisque la création d’une nouvelle équipe dans le Minnesota a justement servi à réparer une autre monumentale erreur que la LNH a commise en donnant son accord au déménagement des North Stars à Dallas.


Août 2054 : Jim Balsillie tente de racheter les Kansas City Panthers.

Le Texas est le pays du foot US, et c’est tout. Grâce à l’excellent management sportif du directoire des North Stars, Dallas avait eu la chance d’hériter d’une équipe très compétitive. Le succès fut naturellement immédiat avec comme apogée la Coupe Stanley en 1999. Très facile d’être présent lorsque tout va comme sur des roulettes. Aujourd’hui, le bilan est nettement plus nuancé. Il n’a fallu que trois petites années sans play-off pour que l’affluence fonde comme neige au soleil texan et que la concession se retrouve en banqueroute. Pourtant, ce n’est guère surprenant : dans cette partie du pays, le public est avant tout événementiel. À la moindre baisse de résultat, plus personne ne met les pieds à la patinoire. En comparaison, la franchise du Minnesota a connu des résultats encore plus mauvais que les Stars, mais ils sont parvenus à réaliser une série de 409 matchs à guichets fermés de suite, ce qui constitue la troisième plus longue série de tous les temps.
À suivre : 180° Sud, partie 16 : vers une redistibution ?
Si tu as raté le début : 180° Sud, partie 1 : prélude à l’avènement ;180° Sud, partie 2 : le lancement ;180° Sud, partie 3 : l’Étoile du Nord ;180° Sud, partie 4 : entre esbroufe et couardise ;180° Sud, partie 5 : un univers impitoyable ;180° Sud, partie 6 : erreur corrigée ;180° Sud, partie 7 : au revoir Québec ;180° Sud, partie 8 : le déclin ;180° Sud, partie 9 : un espoir nouveau ;180° Sud, partie 10 : la nouvelle vague ;180° Sud, partie 11 : le cas Phoenix ;180° Sud, partie 12 : la mort des moqueurs roux ;180° Sud, partie 13 : un lourd passé ;180° Sud, partie 14 : quelles perspectives ?

Écrit par Mathieu Nicolet

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3 Commentaires

  1. @l’auteur

    Pourrais-tu me dire quelles sont les deux équipes qui devancent le Wild concernant les plus longues séries de matchs à guichets fermés?
    As-tu des dates concernant ces séries (Wild compris)?

    Et encore merci pour ces nombreux articles qui nous montrent la politique d’extention stupide de la LNH!
    Jouer au hockey à Phoenix ou à Miami…non mais, où va le monde!

    GO WILD!

  2. L’équipe qui détient le record est Colorado avec 487. La 2ème par contre je sais pas. Mais j’avais entendu des rumeurs qui disaient que certaines entreprises de Denver achetaient systématiquement les billets invendus avant les matchs pour les redonner afin de remplir les gradins

  3. Je serais vachement étonné que le Canadien ne soit pas en tête de cette statistique… (Il leur reste au moins celle-là 🙂 )
    ET QUE LA LNH REVIENNE VITE A QUEBEC CITY!

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