24 décembre : Westfalenstadion

Comme le veut la coutume du calendrier de l’Avent, on a gardé le meilleur pour la fin. Le meilleur ? Non pas le meilleur article de la série, je n’oserai certainement pas avoir ce genre de prétention, mais le meilleur stade du monde : le Westfalenstadion.

Nom : Westfalenstadion (officiellement Signal Iduna Park).
Ville : Dortmund.
Club résident : Borussia Dortmund.
Capacité : 80’720 (65’590 pour les matchs internationaux).

Le stade

En 2009, le journal anglais Times a publié le classement des meilleurs stades du monde et a placé le Westfalenstadion en tête. Au-delà du caractère forcément subjectif et un peu futile de l’exercice, force est de constater que ce n’est pas par hasard que le stade du Borussia Dortmund a été désigné «meilleur stade du monde». D’ailleurs, il faut bien quelque chose de très spécial pour que des Anglais reconnaissent une quelconque suprématie allemande en matière de football…
Le Westfalenstadion a été construit pour la Coupe du Monde 1974. Dans la polémique, puisque le club local, le Borussia Dortmund, venait d’être relégué en Zweite Liga et n’avait pas les moyens de financer la construction. L’Etat fédéral et le Land de Rhénanie du Nord-Westphalie ont dû venir à la rescousse pour assurer le financement. D’une capacité initiale de 54’000 places, le Tempel der Glückseligkeit a ensuite subi plusieurs phases de transformations, qui ont fait osciller la capacité entre 42’000 et 83’000 places, pour s’établir aujourd’hui à 80’720 (en configuration Bundesliga). La dernière grande phase d’agrandissement a d’ailleurs coûté tellement cher qu’elle constitue l’une des raisons qui ont failli provoquer la perte du Borussia Dortmund, lequel avait dû vendre son stade à un consortium bancaire pour éviter la faillite, avant de le racheter quelques années plus tard. Un édifice construit sur plusieurs décennies, dans la douleur, les larmes et les problèmes financiers, cela rappelle les grandes cathédrales d’antan et c’est bien de cela qu’il s’agit.

Le Westfalenstadion n’est ni le plus grand, ni le plus fonctionnel ni le plus moderne ni le plus esthétique ni le plus prestigieux stade du monde mais il a quelque chose de plus que les autres. Peut-être est-ce dû à cette architecture encore largement inspirée d’une époque révolue où le football n’était pas aussi aseptisé. Ou à la monumentale façade sud. Ou alors à la verticalité des tribunes et à leur proximité avec le terrain. Ou éventuellement à cet entassement de 80’000 fans dans un espace prévu à la base pour en accueillir à peine plus de la moitié. Ou encore aux arachnéennes structures métalliques jaunes. Ou peut-être à l’inclinaison du toit qui rabat les clameurs des tribunes vers l’aire de jeu plutôt que de les dissiper dans le ciel de la Ruhr. Ou plus sûrement à l’immensité du Gelbe Wand, la monolithique Südtribüne et ses 24’500 places debout réservées à des abonnés tout de jaune vêtus. Ou probablement à un peu de tout cela à la fois et à plein d’autres choses encore. Bref, à force de fréquenter tous les week-ends ou presque des stades de 50’000 places et plus, j’aurai tendance à être parfois un peu blasé. Mais j’aurai toujours le même frisson lorsque je débarque, une bonne demi-heure avant le match, ma Brinkhoff’s à la main, en bas à droite du mur jaune et que mon regard embrasse les tribunes déjà frémissantes du Westfalenstadion.

L’ambiance

La légende du Westfalenstadion ne serait certainement pas ce qu’elle est si celui-ci n’était peuplé par les autoproclamés «beste Fans der Welt». Là encore, le titre est un peu ronflant et la comparaison un peu vaine, on trouvera d’ailleurs sûrement des supporters plus exubérants en Argentine, en Grèce ou en Pologne. Ce qui est particulier avec les supporters du BVB, c’est que le nombre se conjugue avec la ferveur. Si tu vas au Camp Nou ou à Wembley, tu as la quantité, pas la qualité, à Poznan ou Salonique, la qualité, pas la quantité, à Dortmund tu as les deux. Avec plus de 80’000 spectateurs en moyenne par match de championnat, le Borussia Dortmund est même le club le plus populaire du monde actuellement.
Mais, plus que la moyenne actuelle, la grande fierté c’est que lors des six saisons entre 2003 et 2008 où le club, en proie à d’immenses problèmes financiers, a été exclu des cinq premiers du championnat, jouant une place en Coupe Intertoto, le ventre mou du classement, voire même luttant contre la relégation avec une équipe médiocre, la moyenne n’est jamais descendue au-dessous des 72’000 fans. Une telle fidélité est absolument unique. Et d’ailleurs dans l’imagerie et les chansons du club, les années de galère sont constamment mises en exergue et deviennent un motif de fierté, celle d’avoir traversé les épreuves ensemble pour mieux renaître, telle le Phénix, de ses cendres. Je peux en témoigner : quand tu attrapes le virus BVB, tu ne vas pas au match pour la qualité du jeu, le prestige des joueurs alignés ou l’enjeu au classement, tu vas au match pour l’amour du maillot, l’amour du stade et l’amour de la fête. Si en plus les résultats et le spectacle sont au rendez-vous c’est tout bonus, sinon tant pis, mais tu seras quand même là au match suivant. Le public dortmundois est donc tout sauf événementiel et, à part quelques Japonais débarqués dans le sillage de Shinji Kagawa, les touristes sont plutôt rares. Des fois, ça a du bon que la Bundesliga ne soit pas appréciée à sa juste valeur à l’étrange.

Au niveau sonore et visuel, le Gelbe Wand, le cérémonial d’avant-match et les chants incessants de la partie inférieure de la Südtribüne assurent qu’il n’y a jamais de match plat au Westfalenstadion. Toutefois, le temple de la Strobelallee est une grosse machine pas toujours facile à mettre en branle et, certains soirs, cela ne décolle pas vraiment, sans forcément que cela ne soit lié au résultat ou au renom de l’adversaire. Par contre, il peut suffire d’une étincelle, un corner, une occasion dangereuse ou une erreur d’arbitrage pour que tout s’embrase ; le match change d’âme sur le terrain, l’adversaire, serein et imperturbable jusque-là, n’arrive plus aligner deux passes de suite, les joueurs dortmundois gagnent tous les duels avec à chaque fois tout le stade qui se lève (enfin, ceux qui n’étaient pas déjà debout) en hurlant et tu as l’impression que le son prend tout l’espace jusqu’à l’oppression. Bref, si tu as le privilège de vivre une fois ce genre d’hystérie collective, pas si rare en ce moment, tu comprendras ce que signifie vraiment la magie du Westfalenstadion. Ceux qui étaient présents à Suisse – Togo ont pu constater à quel point ce stade pouvait servir de caisse de résonnance, même avec des places assises en Südtribüne et 50’000 touristes suisses. Alors imagine avec des places debout en Südtribüne et 80’000 enragés du Borussia Dortmund…

Les chocs

Le match de l’année, celui qui vaut au moins autant qu’une victoire en championnat, c’est le Revierderby contre Herne West (si tu prononces le terme «Schalke 04» à Dortmund il pourrait t’arriver des bricoles). Revier, c’est le diminutif de Ruhrgebiet mais ça signifie aussi le fond de la mine, ça situe d’où vient la rivalité entre les deux frères ennemis. Ici, il n’est pas question de duel artificiellement monté par les médias et le football ne sert pas d’exécutoire à quelques petites frustrations religieuses, politiques, sociales ou indépendantistes. Non, le Revierderby, c’est juste l’histoire d’une rivalité sortie de quelques cours d’usines ou puits de mine dans les années 1920 entre deux clubs qui se ressemblent bien davantage qu’ils ne l’avoueront jamais et qui depuis s’est nourrie de victoires glorieuses, de défaites humiliantes, de provocations, d’anecdotes et d’une ferveur jamais démentie. C’est pour ça que le Reviderby, ça ne se décrit pas, ça se vit. Sinon, le deuxième match le plus attendu de l’année, c’est le Klassiker contre les arrogants Bauern de Munich. Les rencontres avec des Traditionsvereine comme Köln, Hambourg, Brême, Mönchengladbach ou Kaiserslautern sont également à recommander. De toute façon, actuellement tous les matchs de Bundesliga du BVB affichent plus ou moins complet ; s’il reste des places vides, c’est que les supporters adverses n’ont pas utilisé tout le contingent qui leur avait été alloué.

Les billets

Si le Westfalenstadion affiche pratiquement toujours complet, il est relativement facile d’y obtenir des billets, à condition de s’y prendre suffisamment tôt et ne pas se retrouver le jour du match devant des guichets généralement fermés. La date de mise en vente des billets est annoncée 1 à 2 mois avant le match sur le site du club, il suffit ensuite de te rendre le jour J (généralement un lundi) à l’heure H (toujours 8h30) sur la billetterie online et d’y réserver tes billets. Ensuite, tu passes les prendre au stade le jour du match devant la tribune nord, ils sont très aimables et il n’y a jamais de queue. Il est conseillé de ne pas prendre des billets trop hauts dans la tribune, surtout au nord, pour éviter que l’inclinaison du toit ne te coupe un peu la vue sur le mur jaune.
C’est un peu plus compliqué pour les matchs contre Schalke et Bayern : il faut se connecter le jour J sur le site à 8h25, actualiser toute les 10 secondes jusqu’à ce que le match s’affiche, prendre les premiers billets venus sans trop se préoccuper de savoir si les billets sont voisins ou bien situés, de façon à avoir finalisé sa commande à 8h33 quand le site sature et à 8h35 quand le match est ausverkauft. L’autre option, c’est le camping devant la billetterie la nuit précédant la mise en vente des tickets…
Pour un abonnement adultes en Südtribüne à 219 euros la saison, y compris la Champions League (qui ne dure jamais longtemps avec le BVB…), il faut compter avec une interminable liste d’attente et un taux de vacance très faible, tu auras passé l’âge d’aller en places debout quand ton tour viendra. En places assises, le nombre d’abonnements est aussi bloqué (53’000 en tout) et il y a également une liste d’attente mais le délai est plus court.
Enfin, le fan club suisse du BVB (http://www.bvb1909.ch/) organise régulièrement des déplacements en car, au départ de Bienne et d’autres villes alémaniques, billets de match compris, c’est très sympa ; il faut juste être prêt à affronter 20 heures de car aller-retour en entendant parler schwytzertütsch et en écoutant en boucle les chants du Borussia Dortmund.

La troisième mi-temps

Un match à Dortmund dure bien davantage que 90 minutes, c’est une grande kermesse populaire avant et après. Il est conseillé d’arriver au moins deux heures avant le coup d’envoi pour une tournée des Biergarten. Trois adresses à conseiller : au nord : le Strobels, à côté du FanShop, le plus animé, mais j’y ai quelques soucis avec la contenance des bières ; juste à côté le Rote Erde, où tu peux sympathiser avec les supporters adverses ; au sud : la piscine, pour une première immersion dans la marée jaune. Ensuite, il faut prévoir de rentrer dans le stade au plus tard quarante-cinq minutes avant le coup d’envoi afin d’être en place pour l’apéro lors de l’entrée de l’échauffement. Après le match, une nouvelle halte dans un Biergarten s’impose ; officiellement pour laisser le U-Bahn se décongestionner… Plus tard dans la soirée, Dortmund n’est pas vraiment la Mecque des nuits allemandes, avec une offre nocturne assez éparpillée. Avec toutefois deux lieux à recommander, en mode Schlager-festif-tout-le-monde-lève-les-bras-et-chante-en-chœur : le Bierhaus Stade, dans le Karstadt Sport de l’Alter Markrt, et le Anton’s Bierkönig, derrière la tour Signal Iduna. Dans l’un comme dans l’autre, quelques maillots jaunes et un Never Walk Alone braillé par toute la boîte au bout de la nuit ne te permettront pas d’oublier que tu es bien à Fussballhauptstadt.

L’anecdote

Là, ça risquerait d’être très, très long et je ne voudrai pas te faire rater la dinde. On va donc juste conclure cette série de l’Avent en espérant qu’elle t’aura convaincu que le foot ça se vit dans les stades et que l’on te croisera dans l’une ou l’autre des arènes présentées l’année prochaine. Et que l’on a aura réussi à te faire partager un peu notre passion pour tous ces lieux mythiques car finalement, au-delà du côté satyrique et polémiste, CartonRouge.ch c’est avant tout ça, partager une passion. Après ces paroles sirupeuses à souhait, Joyeux Noël à tous !

Écrit par Julien Mouquin

Commentaires Facebook

14 Commentaires

  1. Magnifique!!! Et tellement vrai (en tout cas pour les peu de fois ou j’y suis allé). J’adore!
    Merci pour ces articles toujours autant fantastiques, on a presque l’impression d’y être!
    Joyeux Noël

  2. Ce n’est ni la meilleure équipe…ni le meilleur stade et encore moins le meilleur championnat.
    Par contre, Julien Mouquin est le pire (et de loin) de Carton Rouge !
    PS : Merci Marseille pour avoir ramené ce vaudois frustré (allemand par procuration) sur terre !

  3. Mais j’aurai toujours le même frisson lorsque je débarque, une bonne demi-heure avant le match, ma Brinkhoff’s à la main, en bas à droite du mur jaune et que mon regard embrasse les tribunes déjà frémissantes du Westfalenstadion.

    tellement vrai 😀

    et tu as oublié de dire que c’est le seul stade qui réussit à rester plein une heure après la fin du match par -17C avec les bière qui gèlent dans les verres

    superbe article, belle apothéose de cette fantastique série de stades
    (n’en déplaise au pisse-froid… antoni)

  4. Moi j’me demande juste comment fait Mouquin à aller tous les week-end en Allemagne pour voir des matches de foot. Tu es milionnaire? Tu vis là-bas? En tout cas, chapeau!

    Merci à CR pour ce calendrier de l’Avent!! Un peu trop de stades anglais et allemands peut-être mais de très jolis articles à lire, chacun dans son style! Merci Carton Rouge!!

    Joyeux Noël à tous!

  5. J’y etais pour Suisse-Togo et j’avais bcp apprecie et le stade et la ville (eh oui…) et ca m’avait donne bien envie de voire ce que ca donne lors d’un match du Borussia…

  6. J’ai adoré cette série d’articles également et même celui de Mouquin sur le Westfallenstadion. T’es sacrément plus objectif quand il s’agit de parler du stade que des matches !

  7. Une équipe qui a vendu le nom de son stade et son âme par la même occasion pour quelques deniers de plus ne mérite que le mépris. Signal Iduna Park, ça peut ne faire rêver que les attardés.

  8. Je me joins à toutes ces félicitations. L’idée de ce calendrier de l’Avent était excellente, la qualité générale de ces 24 présentations tout autant! Voilà qui donne envie de découvrir « en live » certains d’entre eux !

    Si je rejoins Denis sur la magie du Westfalenstadion que j’ai eu l’occasion d’arpenter quelques fois, quelques autres stades traités dans cette série font aussi bien envie! J’irais bien à Buenos Aires, moi, par exemple! C’est loin? 🙂

    En attendant, Joyeuses fêtes à tous !

  9. N’en déplaise à sek, Merci Julien pour ce bouquet final ! Rien que de penser à ce stade tout en rouge lors du mythique Suisse – Togo, j’en ai encore la chaire de poule. Et ça me donne qu’une envie, de le voir une fois tout en jaune !

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.