Le sumo pour les nuls : voyage au pays des rikishi ! (2/5)

On continue nos explications des principes généraux du sumo avec une partie centrée sur le déroulement d’un des six tournois annuels (basho) comptant pour le classement hiérarchique des lutteurs. Dans la ligne de mire de nos 24 stades de football du calendrier de l’Avant, pleins feux sur le Maracaña du sumo : le Kokugikan de Tokyo !

Contrairement aux autres sports totalement dénués d’originalité, au sumō, les championnats du monde ne sont pas importants du tout. Ce qui compte, ce sont les six tournois tenus annuellement sur sol nippon qui définissent le classement hiérarchique des lutteurs :- le Premier Tournoi en janvier à Tokyo
– le Tournoi du Printemps en mars à Osaka
– le Tournoi de l’Eté en mai à Tokyo
– le Tournoi de Nagoya en juillet
– le Tournoi de l’Automne en septembre à Tokyo
– le Tournoi de Kyushu en novembre à Fukuoka
Pour ainsi dire, le reste on s’en fout.
Ce système de tournois annuels remonte au 18e siècle, où les trois villes de Edo (Tokyo), Osaka et Kyoto en accueillaient quatre par an. Néanmoins, il n’y avait pas encore à cette époque de classement entre les lutteurs, ni de véritable intérêt du public pour les performances des athlètes. Les tournois de sumō se déroulaient à ciel ouvert et devant des gradins en bois construits pour l’occasion. En cas de mauvais temps – et Dieu sait s’il pleut souvent au Japon – un tournoi de dix jours pouvait s’échelonner sur plus d’un mois ! Mais bon, tout cela, c’était avant que le sumō ne s’organise en sport moderne, c’est-à-dire un sport avec des classements, des médias au taquet, une association gérant le tout, etc.
Ces éléments, typiques de ce que l’on retrouve dans les sports de nos jours, ne sont apparus dans le sumō qu’à partir de la seconde partie du 19e siècle, durant l’époque dite de Meiji. En ligne avec ce processus de modernisation, on construisit en 1909 le Kokugikan, dans le quartier tokyoïte de Ryōgoku. La construction de cette salle a été un tournant majeur de l’histoire du sumō, et actuellement la moitié des six basho y sont organisés.

Le Kokugikan, c’est la «Salle du Sport national». Nous avions vu dans la première partie que le sumō moderne avait emprunté de nombreux éléments de la culture japonaise censés lui conférer une légitimité historique : nous en retrouvons un dans le nom même «Kokugikan», puisque «kokugi» («sport national») fait explicitement référence au sumō. En d’autres termes, le sumō est ici représenté comme le sport du Japon, l’unique, le vrai. D’une capacité originale de 13’000 places, le Kokugikan fut détruit et reconstruit à plusieurs reprises. Actuellement, près de 12’000 personnes peuvent y prendre place, à l’occasion de tournois de sumō bien sûr, mais également d’autres sports comme la boxe (ainsi, dans l’excellent manga Hajime no Ippo, tous les matches importants se déroulent au Kokugikan) .

Une journée de basho au Kokugikan

Une journée de basho commence généralement en fin de matinée avec les combats des jeunes lutteurs classés dans le grade mae-zumō (voir première partie). Progressivement, les combats vont opposer des adversaires de plus en plus forts : au milieu de l’après-midi, les lutteurs de la catégorie reine maku-uchi font alors leur entrée sur le ring. Dans les faits, ceci signifie que les combats en première partie de journée ne sont pas très populaires : il est alors possible de les suivre depuis un siège très bien placé. Par contre, vous devrez rapidement laisser votre place aux chefs d’entreprise, yakuza et autres invités triés sur le volet au fur et à mesure de l’apparition des meilleurs lutteurs. De même, la plupart des chaines de télévision ne prennent l’antenne que pour la dernière heure de combats, voire à partir de l’entrée en scène des rikishi de la division maku-uchi : la fameuse cérémonie du dohyō-iri.

Le dohyō-iri

Le dohyō, c’est le ring en forme de cercle de 4.55 mètres de diamètre dans lequel s’affrontent les lutteurs alors que iri, ça veut dire «entrer» en japonais. Le dohyō-iri est la cérémonie précédant les combats des 40 meilleurs lutteurs. Comme on peut le voir sur cette vidéo, les lutteurs font leur apparition sur le ring vêtus de leur tablier en brocart (keshō-mawashi) et séparés en deux groupes Est et Ouest selon le côté par lequel ils arrivent. Le speaker annonce leur lieu de naissance, le nom de l’«écurie» qui les a formés, leur propre nom ainsi que leur titre pour les plus forts d’entre eux. Après avoir formé un cercle sur le dohyō, les lutteurs se retournent vers l’intérieur, frappent dans leurs mains, lèvent les bras, soulèvent leur tablier puis regagnent leur place en salle d’attente. Un salut spectaculaire où les allusions au shintoïsme sont légion.
Les lutteurs portant le titre de yokozuna ont droit à une entrée personnalisée (appelée yokozuna dohyō-iri) en présence de deux assistants. On voit sur cette vidéo que le yokozuna est reconnaissable à son énorme corde tressée à laquelle sont rattachées des bandelettes sur le devant. Durant cette cérémonie, le yokozuna performe – entre autres rituels – le fameux shiko, ce mouvement qui consiste à frapper fortement le sol avec une jambe soulevée de façon latérale.

Enfin, un ultime cérémonial survient juste avant le début de chaque combat : le shikiri (ou shikiri-naoshi). Comme vous pouvez le deviner à travers cette vidéo, c’est encore un rituel truffé d’éléments religieux. On y voit entre autres les rikishi lancer du sel pour purifier le dohyō. A l’heure actuelle, on limite à quelques minutes le temps accordé aux lutteurs pour se préparer mentalement (notamment pour des questions de planification d’émissions télévisées). Néanmoins, jusqu’en 1928, le shikiri-naoshi pouvait durer très longtemps si un lutteur en ressentait le besoin.
Ces trois vidéos, qui ont toutes été tournées au Kokugikan dans différentes éditions du Premier Tournoi, sont révélatrices de l’importance accordée à la dimension artistique dans le sumō. Ces cérémonies préparatoires doivent alors être considérées comme des parties intégrantes de ce sport et contrastent de manière saisissante avec la brièveté d’un combat, où il ne faut généralement qu’une poignée de secondes pour qu’un des deux lutteurs mette la main au sol ou sorte des limites du dohyō (ce qui conduit à la défaite). Notons enfin qu’un tournoi se clôt avec les matches des yokozuna et, de façon concordante, le dernier jour d’un tournoi voit les lutteurs les mieux classés s’opposer.
Après ces quelques règles de base qui, je l’espère, vous auront permis de saisir les grandes lignes de ce sport atypique, nous nous pencherons dans le prochain épisode sur ce qui attend le jeune adolescent qui décide de quitter sa campagne pour tenter sa chance dans ce monde on ne peut plus particulier !

Écrit par Marc Baertschi

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