Göhkan Inler, pour la beauté du geste

Gökhan Inler est un esthète. Un puriste. L’homme incarne le beau, la magnificence du geste, la sobriété, l’art à l’état brut ; le Napolitain est la quintessence du geste parfait exécuté d’une grâce altière, une gestuelle idoine que si peu de footballeurs sont capables de reproduire.

Mercredi soir à Chelsea, le capitaine de l’équipe de Suisse a concrètement affiché cette maîtrise par un but d’hédoniste qui le propulse dans une catégorie fermée : celle des techniciens purs, ceux qui manient le ballon dignement, graciles, la beauté du geste comme seule alternative.Alors bien sûr, la lourde défaite de son club périclitera toute propension aux rangs d’honneur, mais la demi-volée de Gökhan Inler, c’est quelque chose d’inné. Dans le geste, l’équilibre est parfait. Les appuis sont précis. L’enclenchement naturel. Rien n’est forcé. Tout est orchestré pudiquement. Dans un mouvement de connivence parfait, le corps scintille d’abord par un contrôle de la poitrine aérien où le timing est millimétré, comme suspendu par la grâce, une orientation du contrôle qui permet l’enchaînement à la volée décisive.

Inler, celui qui sait tout faire

Ce but pourrait d’ailleurs être l’embranchement d’une théorie, celle qui justifierait les 21 millions d’euros que le SSC Napoli a déboursé pour les services du Suisse, faisant de lui le joueur helvète le plus onéreux de l’histoire du sport.
Héros à Naples, Inler en est presque paradoxalement réduit au rôle de paria en équipe de Suisse. Il sait pourtant tout faire : il dépose des caviars, des transversales imperfectibles ; il sait défendre, couvrir les errances des coéquipiers égarés ; il aime attaquer, pied droit pied gauche qu’importe, pourvu que l’allure soit digne ; le Suisse travaille beaucoup et dur, l’avarice n’est pas à chercher dans sa propension à l’effort ;  il est même un capitaine, un patron, l’homme qui s’amourache des tâches dédiées à l’accompagnement de l’autre, à l’épanouissement du coéquipier.

Mais que manque-t-il donc à Gökhan Inler pour briller pareillement en équipe nationale ?  Les tacticiens s’épanchent déjà sur le spécimen, mais ses tâches au Napoli et en équipe de Suisse sont opposées, une dualité qui pèse sur le joueur, lui qui disait «qu’être le capitaine de l’équipe de Suisse est un honneur», ajoutant même que «l’esprit d’équipe est fantastique», qu’il se voyait aisément «réussir quelque chose de grand avec la Nati.»

Forcer son jeu pour s’adapter, vraiment ?

Sans s’évaporer dans les digressions tactiques, Inler n’a ni de Lavazzi en équipe de Suisse, ni de Cavani. Il a des Shaqiri, des Derdyiok. Des joueurs aux qualités reconnues, sincères, mais qui méritent une attention autre que ses coéquipiers italiens.
Gökhan Inler sait tout faire. Sa seule tare, son unique défaut pourrait être son incapacité à forcer son jeu, à muer son rôle dans un registre autre, dénué de tout sens inné. Mais après tout, a-t-on le droit de forcer un esthète à chasser son naturel, même pour s’immiscer dans un rôle étranger à son sens intrinsèque, sachant que le naturel reviendra au galop ?
Les meilleurs artistes sont incapables d’aller à contre-courant de leur œuvre. Beaucoup aimerait voir Roger Federer – l’esthète par excellence – ruisseler de sueur, balayer le court à la manière d’un essuie-glace moderne, Djokovic et Nadal où êtes-vous, mais non, l’homme se carapace dans son jeu brillant, naturel, au gré des turpitudes du sport.  Au gré des victoires. Au gré des défaites. Bon gré, mal gré.
Pour voir Gökhan Inler se magnifier en équipe nationale, devenir le joueur élégant qu’il sait être à Napoli, il faut l’introduire comme il l’entend, comme il a aimé l’être à Udinese, comme il se baronne actuellement du côté de Naples.
En parlant de la matière, Antoine Lavoisier a dit «rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.» L’axiome s’apparente à la matière, non pas au diamant brut qu’est Inler. Laissons-le jouer comme un esthète.
Photo Inler – Messi de Pascal Muller, copyright www.mediasports.ch

Écrit par Sacha Clément

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3 Commentaires

  1. résumé en une phrase ça donnerait: même le meilleur des joueurs, lorsqu’il est entouré de pives, redevient un joueur médiocre…
    J’ai bon??

  2. @max

    Pas tout à fait… »Même entouré de pives, un tel joueur devrait être capable de faire des passes à 2m à moins de 5m des pieds de son coéquipier comme il le fait en club. »

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