Ne vous tracasset pas pour eux

Le 27 avril dernier ont eu lieu à Epesses les 21èmes championnats du monde de tracassets. Comme Carton-Rouge est toujours sur la brèche et en quête de grands événements sportifs à partager avec ses lecteurs, votre serviteur a joué l’envoyé spécial en Lavaux. Entre accent vaudois à couper au sécateur, chasselas coulant à flot et surtout des sourires tout au long de la journée, récit de ce mondial pas comme les autres.

Un tracasset ? Qu’est-ce à dire que ceci ?

En tant qu’arrière-petit-fils de vigneron, je pensais que tout le monde en Suisse connaissait la définition de ce qu’est un tracasset. Mais de toute évidence au vu de la tête d’amis citadins entendant ce mot, c’est loin d’être le cas. Petite définition donc :

Il s’agit d’un petit véhicule à trois roues (une devant, deux derrière) équipé d’un pont arrière et utilisé par les vignerons, principalement en Lavaux, afin de se faciliter la vie dans les vignobles étroits en côte. Cet engin est une pure invention vaudoise et c’est donc tout naturellement que les championnats du monde prennent place à Epesses, bourgade viticole et escarpée de 300 âmes sise entre Vevey et Lausanne.

Les gens quand je leur parle de « tracassets »

OK, mais il y a vraiment un mondial de ces trucs ?

Oui et c’est tous les deux ans un petit événement dans la région ! Si des courses avaient déjà lieu depuis longtemps en Lavaux, les sociétés locales, Jeunesse et Ski-Club en tête, ont créé en 1979 le vrai Championnat du Monde et la tradition a perduré jusqu’à présent. Cette course rassemble à chaque édition un public conséquent, si bien qu’il est difficile de trouver de bonnes places autour de l’étroit sentier arpenté par les concurrents, qui n’ont au passage jamais été aussi nombreux que cette année.

La compétition se déroule par ailleurs à deux niveaux : premièrement, il y a la course en tant que telle, elle-même décomposée en deux étapes. Au début a lieu un gymkhana, lors duquel les équipages peuvent écoper de pénalités de temps, et plus tard dans l’après-midi il y a la montée chronométrée passant par l’étroit (deux piétons de front passent à peine) sentier de Creyvavers, coincé entre les murs des vignobles. Une poignée de concurrents vise la victoire finale lors de cette épreuve, concurrents qui montent le chemin à une vitesse assez impressionnante compte tenu du contexte. La majorité des candidats souhaitent quant-à-eux briller lors du concours de décoration des tracassets – délaissant par là même le chrono – et rivalisent d’imagination et de travail pour proposer leurs œuvres aux spectateurs. Pour trouver les noms de leurs montures, les compétiteurs ne sont par ailleurs pas avares de jeux de mots à faire pâlir les rédacteurs de Carton-Rouge, tels le « Général Lie », le « Capit’ale du Chasselas » ou encore « Son tracas s’est éteint ». Vous l’aurez compris, le thème central est bien souvent le vin et les participants et organisateurs en sont fiers. Ces mondiaux sont même uniques en leur genre, puisqu’il s’agit à ma connaissance du seul sport motorisé où il est autorisé et même recommandé de picoler au volant. Et à ceux qui râlent du côté rustaud de la manifestation, sachez que les mondiaux de tracassets sont des précurseurs dans l’égalité des sexes. En effet, quelques équipages sont à 100% féminins et les filles ne se privent pas pour être meilleures que pas mal d’équipes d’hommes !

Les « Têtes Brûlées », vainqueurs du prix du public pour la décoration

Et sur place ça donne quoi ?

Ces championnats du monde étant une course à vivre de manière assez subjective, je vais en faire un récit qui l’est tout autant. Soirée un peu arrosée la veille oblige, nous avons raté le passage du gymkhana et sommes arrivés un peu avant le départ de la course. Notre première surprise était de constater que même si le train était relativement plein – pas autant que certains concurrents toutefois -, une part significative des voyageurs n’en sont pas sortis et ont donc fait autre chose de leur samedi après-midi. Incompréhensible… Par ailleurs, le temps n’était pas au beau fixe pour cette journée habituellement baignée de soleil dans ce cadre magnifique, mais le public était quand même bien au rendez-vous, un verre à la main, malgré la météo. Après la rude montée depuis la gare d’Epesses, située au bord du Léman, et le village sis un petit bout plus haut, nous avons cherché un bon perchoir pour admirer les petits véhicules, croisements illégitimes entre les Fous du volant, les chars du carnaval et des tondeuses à gazon. Malheureusement, lors de la dernière édition, des génies ont eu la merveilleuse idée d’abîmer les vignes adjacentes au sentier, ce qui a eu pour conséquence de forcer les organisateurs à en fermer en partie l’accès et donc à priver les spectateurs des meilleurs points de vue. Abîmer les vignes étant stupide à plus d’un titre car, comme l’a répété plusieurs fois le speaker « c’est dommage, ça nous fait tout ça de vin en moins à boire ».

Nous nous sommes donc placés proche de l’une des principales difficultés du parcours, le passage de la route au sentier de Creyvavers, qui se fait sous la forme d’un virage à angle droit entre un mur et une bâtisse, distants l’un de l’autre de moins d’un mètre cinquante. Ce passage est précisément problématique pour les concurrents ayant des décorations conséquentes, à l’image de Gaston Lagaffe restant planté de travers à cet endroit ou de l’avion des Têtes brûlées, qui a même basculé sur le côté en raison de son poids. Mais c’est également ici que l’on peut voir la maîtrise de certains pilotes, entrant dans cette difficulté aussi rapidement qu’un passage de Neymar sur les pelouses avant une autre blessure ou suspension, et passant avec un facilité déconcertante les rapports de vitesses approximatifs de leurs montures bricolées.

Le fameux passage route-sentier qui a causé des problèmes à certains pilotes

Si nous avons dû nous déplacer ensuite quelque peu à cause d’une ou deux averses assez violentes, nous n’avons pas manqué un véhicule, voyant passer, entre autres, Kim Jong-Un au volant d’un blindé, Martin la dépanneuse de Cars, le cercueil de Franz Weber ou encore la Jeep de Jurassic Park poursuivant un T-Rex. Ces candidats ont bien entendu concouru avant tout pour le prix de la décoration, le Tracalune, inspiré des albums de Tintin, gagnant le prix du jury et les Têtes brûlées celui du public, qui est également amené à voter.

Kim Jong-Un et son blindé sur le sentier de Creyvavers

Dans les véhicules visant la course de vitesse, Appolo 11 était le premier candidat à faire forte impression, manquant au passage de shooter une photographe qui s’est crue maligne de s’élancer sur le sentier juste avant le passage de cet équipage. Mais ce dernier a finalement été assez largement battu par des concurrents partant plus tard. En effet, le tracasset Les Minions à Epesses de Ludovic Rose et Frédéric Testuz a créé la surprise puisqu’il a devancé de cinq petites secondes l’équipage du Mollo’k, Sébastien Badoux et Thierry Mettral, triple champion du monde en titre et qui visait la passe de quatre. Le podium a été complété par le duo Louis Blondel – Simon Radelet sur leur Chasselas Noël, ne prenant que 3 petites secondes de plus pour terminer le parcours. Comme vous pouvez le constater, la course pour le titre a été tendue comme la catapulte sur laquelle est assis Murat Yakin.

Le Tracalune, vainqueur du prix du jury pour la décoration

Et donc ?

Et donc c’était bien sympa ! Une belle ambiance, suffisamment à boire et une course à voir au moins une fois. La RTS ferait mieux de retransmettre ces mondiaux définitivement à part et ayant lieu dans notre belle Romandie plutôt que des courses de Formule 1, au bruit de ventilateur de vieux bistro, tournant en rond pendant 1h30 et ayant lieu dans des nations où le peuple crève de faim et où les frais d’organisation de la course dépassent les revenus annuels cumulés des 99% de la population du pays (même si c’est toujours plus facile d’organiser des événements dans des dictatures). Mais je m’égare. Je vous enjoins à vous rendre à Epesses en 2021 pour la prochaine édition, un championnat du monde pareil n’étant à manquer sous aucun prétexte. Même si j’espère que d’ici là une solution sera trouvée pour les places aux abords du sentier car, si ce n’était pas trop un problème en raison de la météo cette année, cela pourrait vite le devenir. En tous les cas, même si cette compétition aurait pu sans problème se retrouver dans la rubrique des Jeux du cirque, il est bon de voir que dans un monde où tout s’emballe et se mondialise à tout va, certaines traditions ne bougent pas avec le temps.

A propos Joey Horacsek 84 Articles
Bon ça va, je vais pas vous sortir ma biographie

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