Le Scudetto 2004 du Milan AC

La Serie A 2003-2004 avait eu droit à sa Finalissima sous la forme d’un duel entre les deux derniers prétendants au titre, l’AC Milan de Carlo Ancelotti et l’AS Roma de Fabio Capello, lors de l’antépénultième journée dans un San Siro en ébullition. Un but précoce amené par les mégastars Kaka et Shevchenko avait permis aux Rossoneri de l’emporter 1-0 et d’assurer ce qui était alors le dix-septième titre de leur histoire.

Je sais que cela en surprendra plus d’un mais il fut un temps où je n’avais pas encore découvert la magie du football allemand (lequel n’était d’ailleurs pas aussi magique qu’aujourd’hui, tant dans son contenant, les stades, que dans son contenu, la qualité du jeu). A l’époque, avant ma conversion au Borussia Dortmund en 2005, mes pérégrinations footballistiques étrangères m’amenaient plutôt du côté de l’Italie et en particulier des matchs du Milan AC. Il faut dire que le foot italien n’avait pas grand-chose à voir avec ce qu’il est devenu : il y avait encore du monde et de l’ambiance dans les stades et des joueurs de classe mondiale sur le terrain. Il n’était pas encore question de loi Pisanu ni de tessera del tifoso et les billets étaient plus accessibles qu’aujourd’hui, alors même que les stades étaient bien mieux remplis. Accessoirement, les stades du nord de l’Italie, en particulier San Siro, permettaient de s’offrir le frisson d’enceintes géantes à peu de frais : les coûts se limitaient à partager l’essence dans une voiture bondée pour franchir les Alpes en passant par le Simplon afin d’économiser sur les péages en Italie et surtout le tunnel du Grand Saint-Bernard, un panini en arrivant au stade et un billet à onze euros dans le Terzo Anello. Et puis, San Siro reste à mon sens, de tous les stades que j’ai eu l’occasion de visiter, l’un des trois meilleurs, les deux autres étant Old Trafford et, bien sûr, le Westfalenstadion. J’étais aussi un peu moins blasé qu’aujourd’hui : un match à 80’000 spectateurs, ça restait un événement exceptionnel d’où l’on repartait avec des étoiles plein les yeux, j’enviais les mecs qui avaient la chance de vivre ça chaque semaine, sans imaginer qu’un jour j’aurai moi aussi cette chance-là.

La démonstration de Turin

En 2003-2004, l’Inter Milan est en plein dans sa période de disette, les deux favoris de la Serie A sont donc les deux finalistes de la dernière Ligue des Champions, le champion d’Europe en titre, l’AC Milan, et son adversaire malheureux de la finale, la Juventus Turin, championne d’Italie en titre. La passation de pouvoirs, au plan national, va avoir lieu le 14 mars 2004 au Stadio delle Alpi. Ce soir-là, l’AC Milan, emmené par un Clarence Seedorf stratosphérique, ôte tout espoir à la Vieille Dame de conserver son titre après une éblouissante démonstration de football. Rarement sans doute la Juventus n’a été aussi malmenée sur son terrain qu’elle ne le fut ce soir-là, le score final de 3-1 pour les Rossoneri (buts de Seedorf (deux fois) et Shevchenko contre un but de l’honneur de Ferrara sur la fin) ne reflétant pas vraiment la physionomie du match, un 6-0 eût sans doute été plus conforme mais la maladresse d’Inzaghi, qui avait raté trois ou quatre fois l’immanquable, avait sauvé les Turinois d’une débâcle historique.
On se serait cru revenu quelques années en arrière, à l’époque où l’AC Milan de van Basten, Rijkaard et Gullit atomisait le Real Madrid 5-0 en demi-finale de Coupe des Champions. Je dois avouer que, dans les matchs où j’étais présent dans le stade et il y en a eu quelques-uns, il m’a rarement été donné de voir une qualité de jeu aussi remarquable que lors de cette glaciale soirée turinoise. A l’époque, il était fortement déconseillé de prendre place dans le bloc réservé aux supporters adverses en Italie, sous peine d’être exposé pendant 90 minutes à des jets de fumigènes, surtout lorsque les fans rossoneri avaient investis un bloc de supporters bianconeri, lesquels avaient détalé comme des lapins, l’humiliation totale. Nous, on était resté sagement en tribune latérale où il était évidemment hors de question d’afficher la moindre attache partisane ni le moindre enthousiasme en faveur de l’équipe visiteuse, il avait fallu se composer la tête d’enterrement de circonstances pendant le match et attendre d’être tranquillement à l’abri dans la voiture pour exulter.

La Finalissima

La Juventus et l’Inter hors course, la menace est venue de là où l’on ne l’attendait pas pour les Rossoneri, soit de la Ville Eternelle. Si elle possédait un effectif moins prestigieux que son rival milanais, l’AS Roma pouvait compter sur un Francesco Totti au sommet de son art et sur un entraîneur génial, bien connu à Milan, Fabio Capello. La remarquable qualité de jeu produite par les Romains les ont donc rapidement désignés comme le dernier adversaire du Milan AC dans la course au Scudetto 2004. Alors, quand j’ai vu que le calendrier réservait un AC Milan – AS Roma lors de l’antépénultième journée du championnat, j’ai flairé le bon plan et je me suis arrangé pour être en temps et heures utiles sur le site du club afin de me procurer cinq sésames pour le match de l’année en Italie. Les données étaient claires : avec six points d’avance, l’AC Milan était champion en cas de victoire ; un nul n’aurait fait que différer le sacre rossonero d’une semaine ; en revanche, une victoire romaine à San Siro aurait tout relancé.

On se fait une frayeur en arrivant dans le parking de San Siro : les précieux billets sont introuvables ; on commençait à se dire qu’ils avaient dû tomber lors d’un arrêt pour prendre de l’essence à Gondo et à calculer si on avait le temps d’aller les récupérer avant le coup d’envoi lorsqu’on les retrouve sous un siège. Ouf. Note, on aurait pu tenter le coup sans ticket, comme la majorité des supporters de la Roma : lorsque le cortège des fans romains approche de San Siro, encadré par une impressionnante cohorte policière, ils se mettent à courir en direction de l’entrée qui leur était réservé et à se jeter contre les grilles pour forcer l’entrée ; finalement, les forces de sécurité sont contraintes de les laisser rentrer sans fouille ni contrôle des billets. A priori, l’action était trop bien menée pour être spontanée, le but était surtout de faire rentrer les potes qui n’avaient pas de billets et, du coup, San Siro accueillait en ce 2 mai 2004 bien davantage que les 80’000 et quelques spectateurs annoncés.
Nous, on va sagement s’asseoir à nos places à 11 euros en Terzo Anello. Le troisième anneau, c’est haut, les joueurs paraissent bien petits ; par contre, à l’époque, les numéros de place étaient juste là pour faire joli sur le billet, les premiers arrivés prenaient les meilleures places, il y avait donc moyen de voir le match plus ou moins dans l’axe du terrain pour une somme modique. Après, il y avait toujours le risque d’arriver une heure avant pour réserver une bonne place et de tomber sur L’abonné qui se pointe à deux minutes du coup d’envoi et veut absolument avoir son siège…  

Sheva goal

Le match débute par un superbe tifo. A l’époque, les Fossa dei Leoni ne s’étaient pas encore auto-dissoutes et régnaient sur la Curva Sud, il y avait donc pas mal d’ambiance à San Siro. A l’italienne, c’est-à-dire avec des chants qui claquent très fort au début mais s’éteignent assez vite. L’ambiance va rapidement monter d’un ton puisque l’AC Milan ouvre le score après huitante secondes de jeu sur un but 100% estampillé Ballon d’Or, c’était une époque où Carlo Ancelotti savait encore gérer un effectif de superstars : Kaka centre et Andreï Shevchenko expédie une superbe reprise de la tête hors de portée du gardien Pelizzoli. 1-0, Milan est virtuellement champion, il restait 88 minutes à tenir.

Autant que je m’en souvienne, les Rossoneri avaient dominé le début de match, s’étaient procuré quelques occasions de faire le break puis avaient progressivement reculé en spéculant sur leur petit but d’avance. C’était une époque où l’on pensait qu’une défense avec Nesta, Maldini, Costacurta (et Cafu, mais lui c’était moins fiable) pouvait tenir un score, Liverpool montrera le contraire une année plus tard. Au fur et à mesure que le match avançait, les assauts des Totti, Emerson, Dacourt, Cassano, Delvecchio et autres Mancini (le Brésilien, pas le génie de la C1 de City) allaient se faire plus pressant et l’on commence à craindre que le fête annoncée ne puisse être remise à plus tard. 

San Siro s’embrase, au propre comme au figuré

Si le football italien a subi beaucoup de changements en vingt ans, il y a une chose qui ne changera probablement jamais dans le Calcio : un choc au sommet de la Serie A n’en serait pas vraiment un sans polémique sur l’arbitrage. Celle-ci allait survenir en 2e mi-temps sur un coup franc romain : Francesco Totti tire dans le mur, Andreï Shevchenko lève la main pour se protéger et intercepte involontairement (ou pas) le ballon, les joueurs giallorossi se ruent sur l’arbitre en vociférant mais ce dernier ne bronche pas. Situé dans le premier anneau juste derrière le goal milanais théâtre de l’action litigieuse, les supporters romains, des vrais animaux, se vengent en balançant tout ce qui leur passe sous la main sur le gardien Dida, qui ne se gêne pas pour grappiller du temps en simulant l’une ou l’autre blessure. Le match doit même être arrêté à deux reprises pour permettre aux pompiers d’éteindre la pelouse de San Siro qui avait pris feu après des lancers de fumigènes ! Les fans milanais qui étaient situé au-dessus des Romains entament alors à leur tour une expédition punitive par des jets de projectiles sur les fans adverses situés en contrebas, lesquels doivent se réfugier sous la tribune de San Siro pour échapper au déluge qui s’abat sur eux (pour l’avoir une fois vécu à Istanbul, ce genre de bombardement n’est pas très agréable car les «supporters» peuvent faire preuve d’une créativité certaine quant à la nature des objets lancés). Bref, c’est le chaos sur et en dehors du terrain mais l’AC Milan tient bon et s’accroche à son maigre avantage. Et, après une deuxième mi-temps tendue à l’extrême, peut lever les bras pour célébrer ce qui était alors son dix-septième titre de champion d’Italie.

Siamo noi, i campioni dell’Italie siamo noi

San Siro chavire de bonheur, tout le stade reprend le «Siamo noi, i campioni dell’Italie siamo noi», cela fait pas mal de bruit. Le président Silvio Berlusconi est porté en triomphe sur la pelouse, alors que Gennaro Gattuso harangue la foule. Si la cote de popularité d’un joueur se mesure au nombre de maillots et t-shirts à son effigie dans les gradins, alors Ringhio était aussi populaire que les stars Kaka et Shevchenko et bien davantage que les Pirlo, Maldini et autres Tomasson. Le pauvre ne savait pas encore qu’il finirait sa carrière dans l’anonymat d’un club provincial de troisième zone jouant ses matchs dans un truc délabré qui n’aurait même pas servi de hangar pour la tondeuse à San Siro.
Ceci dit, on reste un poil sur notre faim quant aux célébrations du titre ; certes, comme c’était un dimanche et que l’on rentrait sur la Suisse après le match, on n’est pas allé voir s’il se passait quelque chose en ville mais, au stade, une fois le match terminé, ce n’était pas transcendant. Il y a eu une demi-heure de tour d’honneur et de communion entre joueurs et supporters mais pas d’envahissement du terrain. Puis San Siro s’est rapidement vidé, la préoccupation des fans étant manifestement de sauter dans leur voiture ou sur leur scooter pour faire des tours de ville en klaxonnant. Par contre, on n’a pas aperçu de célébrations de masse ou de tonnelles improvisées aux abords du stade. On ne l’ignorait ce jour-là mais ce titre marque, à maints égards, le crépuscule d’une époque pour le Milan AC, même si cette équipe-là gagnera encore, dans sa grande majorité, la Ligue des Champions en 2007. Mais. au niveau national, l’AC Milan devra attendre 2011 pour renouer avec un titre dans un foot italien qui n’avait plus grand-chose à voir avec ce qu’il était lors de ce Scudetto 2004.

Photos Denis Oberhänsli

Écrit par Julien Mouquin

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3 Commentaires

  1. Très jolie article. Seul correction, les dernières phrases : je ne suis absoluement pas d’accord que cette équipe était au crépuscule. En 2004-2005 finale de Champions League (on sait tous que cette coupe était déjà amplement gagnée) avec comme 2ème place dans un championnat où l’on sait tous des combines Moggi et Cie, 2005-2006 demi-finale Champions où nous sommes ittéralement volé au Camp nou (but scandaleusement annulé a Sheva) et 2ème en championnat, 2006-2007 champions d’Europe… Après la victoire de la coupe du monde des clubs en décembre 2007, le cycle était définitivement terminé.

  2. Quel beau souvenir!
    Après avoir entendu à maintes reprises de mes aînés : « Si seulement tu avais pu vivre ça, le Milan AC de Van Basten et Cie, ça c’était une équipe exceptionnelle! », voilà que je vis l’une des périodes les plus glorieuses de mon club de cœur. C’était un régal de voir jouer Kaka, au sommet de son art, tout comme Sheva, Pirlo, Seedorf, Pippo et j’en passe.. Un Gennarino de feu qui enflammait le stade rien qu’avec sa grinta! Clairement le joueur que l’on préfère avoir avec soi plutôt que dans l’équipe adverse. Et puis, à défaut d’avoir un gardien de classe internationale (inutile de rappeler toutes les bourdes de Dida, et les sueurs froides qu’il me provoquait à chaque fois qu’il jouait au pied), on pouvait toujours compter sur la meilleure défense au monde de l’époque. Avec Maldini en chef d’orchestre, cette équipe m’a fait vivre mes plus belles années de tifoso.
    Merci pour ce rappel. Forza Milan!

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