Bienne, l’éternel loser du hockey suisse

Ainsi donc, comme prévu, le HC Bienne a une nouvelle fois échoué dans sa tentative de retrouver la Ligue Nationale A. Combien faudra-t-il encore d’échecs pour que les dirigeants biennois comprennent que, dans la configuration actuelle du hockey suisse, leur club n’a pas sa place dans l’élite ?

Depuis leur relégation au terme de la saison 1994/1995 et après deux années de transition pour digérer la chute, les Biennois ont toujours terminé le championnat régulier de LNB dans les cinq premiers et, à ce titre, pouvaient donc plus ou moins ambitionner chaque année une ascension au terme de la saison. Le résultat ? Une élimination en quart de finale (2002, 3-2 contre Ajoie), quatre en demi-finale (1999, 3-1 contre Coire ; 2000, 3-1 contre Coire ; 2003, 4-1 contre Bâle ; 2005, 4-2 contre Sierre), deux défaites en finale de LNB (1998, 3-1 contre Langnau et 2001, 3-0 contre Lausanne) et trois échecs en Ligaqualification (2004, 4-0 contre Lausanne ; 2006, 4-2 contre Fribourg et 2007, 4-1 contre Langnau). Une telle série d’échecs laisse pantois et, même si chaque élimination a son histoire propre, ne saurait être une simple coïncidence.

Les clubs qui sont montés dans un passé récent avaient chacun des atouts particuliers qui leur a permis de faire le grand saut : des gros moyens financiers qui ont permis de recruter une équipe de LNA en LNB (Genève-Servette, Bâle), une longue tradition de hockey et un excellent secteur de formation (Langnau) ou un incroyable enthousiasme populaire qui a permis à une équipe moyenne de se transcender (Lausanne). Bienne n’a rien de tout cela, ou alors seulement un peu : les ressources financières sont correctes mais pas illimitées, l’engouement populaire n’est pas inexistant mais reste limité, le club lance des jeunes mais pas assez bons pour jouer une ascension, la patinoire n’est pas la plus vétuste du pays (il n’y a qu’à voir la Valascia, l’Ilfis ou Saint-Léonard…) mais demeure peu accueillante, surtout dans sa nouvelle et absurde configuration, avec le bunker du parcage supporters adverses…
En parallèle à leur offensive inconsidérée et inutile sur le marché des transferts, les dirigeants biennois ont lancé une procédure juridique pour obtenir sur le tapis vert cette promotion qui se refuse désespérément à eux sur la glace. Sans être un spécialiste du droit des cartels et sans avoir eu le courage de m’attaquer aux vingt pages d’expertise en allemand invoquées par les dirigeants du EHC Biel, je ne donne pas grande chance à cette action d’aboutir. Même s’il faut toujours se méfier de la propension des tribunaux civils à vouloir donner des leçons aux pouvoirs sportifs, fut-ce au moyen de raisonnements juridiques tortueux. Surtout s’agissant de la Ligue Suisse de Hockey sur Glace dont les règlements sont le plus souvent établis avec une approximation et un amateurisme certains. Nul doute que les dirigeants seelandais sont conscients des limites de leur argumentation mais comptent surtout sur un cadeau de leurs pairs qui préféreraient repêcher Bienne plutôt que d’affronter l’incertitude, fut-elle légère, du verdict des juges. Le HC Bâle avait bénéficié d’un tel cadeau en 2003 suite à l’affaire Abplanalp. Il paraît peu probable que le HC Bienne jouisse d’une faveur similaire. La taille de la ville, l’importance de son marché publicitaire, la générosité de ses mécènes et une patinoire flambant neuve militaient en faveur d’un cadeau au club bâlois. On ne voit en revanche pas trop ce qui plaiderait en faveur des Biennois. Il n’y guère que les éternels cancres de la LNA qui auraient intérêt à une promotion du HC Bienne, candidat tout désigné à la dernière place et au match de barrage contre le champion de Ligue B. Mais l’argument ne sera certainement pas suffisant pour emporter une majorité à la Ligue. Ces passe-droits accordés à la tête du client sont bien sûr éminemment regrettables mais c’est la triste réalité du hockey suisse actuel. Ainsi, à l’échec sur la glace, le HC Bienne devrait ajouter un échec sur le plan juridique et administratif.

Ceci dit, sur le fond, on partage l’opinion des dirigeants du HC Bienne : avec une LNA à douze équipes, il devrait  y avoir un promu et un relégué directs. C’était le cas lorsque la ligue A ne comptait que dix équipes et le championnat était beaucoup plus intéressant. La suppression de ce fameux barrage dynamiserait la LNB mais aussi le LNA, en ne permettant plus aux Lausanne (à l’époque), Gottéron et autres Langnau de se complaire dans une constante médiocrité, en attendant le duel contre l’équipe de LNB pour sauver leur place dans l’élite. Il est malheureusement illusoire d’espérer un changement de formule dans un avenir proche, la plupart des clubs étant plus accroché à défendre leurs propres intérêts que celui du hockey suisse en général. Puisque la «Ligaqualification» risque de rester encore quelques temps en vigueur, il convient de démentir le mythe selon lequel cette formule rend toute promotion impossible ou, du moins, très difficile. Pour cela examinons tous les duels entre clubs de LNA et LNB (y compris lorsque les barrages se faisaient sous forme de mini championnat et non de série) :
1996 : 1. La Chaux-de Fonds (LNB) 6 pts. ; 2. Lausanne (LNA) 3 pts ; 3. GC (LNB) 3 pts.
1997 : Pas de relégation, Herisau promu.
1998 : 1. Langnau (LNB) 6 pts. ; 2. Herisau (LNA) 4 pts. ; 3. La Chaux-de-Fonds (LNA) 2 pts.
1999 : Langnau (LNA) – Coire (LNB) 4-3.
2000 : Rapperswil (LNA) – Coire (LNB) 4-1. Coire et Chaux-de-Fonds (finaliste de LNB) promus en LNA suite à l’augmentation de 10 à 12 équipes.
2001 : Lausanne (LNB) – La Chaux-de-Fonds (LNA) 4-2.
2002 : Genève-Servette (LNB) – Coire (LNA) 4-0.
2003 : pas de play-out (affaire Abplanalp), Bâle promu directement.
2004 : Lausanne (LNA) – Bienne (LNB) 4-0.
2005 : Bâle (LNB) – Lausanne (LNA) 4-3.
2006 : Fribourg-Gottéron (LNA) – Bienne (LNB) 4-2.
2007 : Langnau (LNA) – Bienne (LNB) 4-1.
Nous pouvons donc constater que, sur dix duels entre clubs de LNA et LNB, cinq fois le club de série inférieure est ressorti vainqueur, ce qui tend à démentir l’assertion selon laquelle la formule rend la Ligue A inaccessible. Si l’on veut encore affiner la statistique, on s’aperçoit que, lorsque le champion de LNB ne s’appelle ni Coire ni Bienne, il a 100% de chance de monter. En revanche, s’il s’agit des Grisons ou des Seelandais, le pourcentage de réussite du champion de LNB tombe à 0%. Ce n’est pas forcément un hasard de retrouver Bienne et Coire unis dans l’échec : deux clubs de villes industrielles de taille moyenne, dans l’ombre d’un grand rival cantonal (Berne ou Davos), jouissant d’un soutien populaire, financier et d’infrastructures modestes. La formule des barrages a bien des défauts mais elle a l’avantage de permettre un écrémage qui évite l’ascension en LNA de clubs qui sont un peu juste pour la catégorie ou qui n’ont rien à y faire. Les cinq derniers clubs promus sans passer par les barrages contre une LNA (Lausanne, Herisau, Coire, Chaux-de-Fonds et Bâle) sont redescendus la saison suivante (HCC, Bâle, Lausanne) ou deux saisons plus tard (Coire, Herisau). Et Vaudois, Grisons et Neuchâtelois ont failli payer leur bref séjour en Ligue A d’une faillite, que les Appenzellois n’ont eux pas pu éviter. A l’inverse, les clubs qui ont passé victorieusement l’épreuve du barrage ont pu s’installer durablement en LNA : le LHC y est resté quatre saisons, Genève va entamer son sixième championnat dans l’élite, Bâle son troisième.

Franchement, on ne voit pas trop ce que le HC Bienne aurait été faire en Ligue A. Les SCL Tigers ont sans doute rendu un fier service à leur rival cantonal en lui évitant une ascension. Une fois repartie la dizaine de mercenaires suisses ou étrangers venus spécialement pour les play-offs, on ne voit pas trop comment les Biennois auraient pu bâtir une équipe de LNA en arrivant sur le marché des transferts «comme une ménagère dans un supermarché moscovite de l’époque soviétique», pour reprendre une expression chère à Bertrand Jayet. Avec quel gardien ? Caminada n’a le plus souvent pas été jugé assez bon pour affronter le cancre de LNA, qu’en aurait-il été contre les leaders ? Avec quels étrangers ? Felsner et même parfois Tremblay n’avaient pas le niveau pour jouer contre Viège et Langnau, auraient-ils pu faire trembler Davos, Berne ou Lugano ? Avec quels joueurs ? Est-ce que vraiment Marc Werlen, Cyrill Pasche ou Serge Meyer peuvent encore faire illusion en LNA ? En cas d’ascension, le EHC Biel aurait été un candidat sérieux à battre le triste record négatif de 10 points co-détenu par Coire (1992/1993) et Lausanne (1995/1996). Déjà que le Stade de Glace, avec son light show pseudo NHL, ses grillages, ses deux chansons et ses trois tambours, tient plus du cimetière que du chaudron lorsque l’équipe brigue une promotion, je te laisse imaginer l’ambiance avec vingt-deux points de retard sur l’avant-dernier…
Nul doute que ce nouvel échec va laisser des traces dans les Seeland. Sur la plan financier d’abord : il apparaît douteux que les émoluments de l’armada étrangère débarquée au Stade de Glace puissent être financées par les misérables affluences des séries contre Viège et Langnau : il a fallu attendre le quatrième match du barrage LNA/LNB et un derby cantonal pour que le Stade de Glace affiche complet. Ce manque de soutien populaire coûte cher aux Biennois : entre la finale de LNB contre Lausanne et les trois Ligaqualification jouées ces dernières années, les Seelandais ont perdu les huit matches qu’ils ont joué à domicile ! L’échec va également laisser des traces sur le plan humain. Rappelons qu’en début de saison, Bienne ne partait pas favori après le départ de plusieurs éléments-clé, c’est plutôt Sierre et Lausanne qui avaient les faveurs de la cote. Les Biennois ont fait une superbe saison, au delà de toute espérance, mais en récompense, quelques-uns des artisans de ce magnifique parcours, se sont retrouvés dans la tribune au moment le plus intéressant de la saison. Le pire c’est que cela n’a même pas provoqué de réaction chez les supporters (ou si peu, lorsque Tremblay s’est retrouvé surnuméraire). Manifestement, la reconnaissance, on ne connaît pas du côté du Stade de Glace. Tout cela nous amène à penser que Bienne ne sera pas champion de LNB l’an prochain. Et comme Coire ne paraît pas vouloir viser les premiers rôles, on risque bien de se retrouver avec un champion de LNB qui ne sera ni Bienne ni Coire, donc une équipe qui, selon la statistique, aura 100% de chances de monter. Reste à savoir laquelle… En tous les cas, on serait Bâlois, Fribourgeois ou Emmentalois, on commencerait à se faire du souci, ils ne pourront pas compter chaque année sur le HC Bienne pour sauver leur place en LNA.

Écrit par Julien Mouquin

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