La Gauche, FCNA : rires jaunes et rages vertes

Rongés par des luttes intestines, la Gauche et le FC Nantes Atlantique sont morts cette semaine, à trois jours d’intervalle. C’est la fin d’un idéal commun : celui de la générosité et du partage. Ils sont morts de n’avoir pas su se réformer. Enterrés avec leurs belles idées et leur beau jeu à l’heure du froid réalisme libéral. Petit cours d’histoire appliquée.

Dimanche dernier, peu avant Monaco – Marseille avait lieu un événement qui n’a probablement pas empêché Serge Dassault de dormir : Ségolène Royal s’est ramassée avec moins de 47% des voix lors du second tour des Présidentielles. Vous savez sûrement que le sémillant industriel de l’armement, sénateur-maire UMP d’Évry, est également le parton de Socpresse, la société qui dirige le Football Club de Nantes Atlantique. Or, ce même Dassault (patron du Figaro) vous le dira la mort dans l’âme : s’il est un football politique, le «jeu à la nantaise» labellisé beau jeu par excellence – à une touche de balle – est le symbole vivant du partage et donc des valeurs socialistes (allez donc voir le site www.SoFoot.fr, sur lequel vous trouverez de belles analyses sur le bord politique supposé du football). Il se trouve par ailleurs que la mort des canaris, définitivement déplumés cette semaine, coïncide avec l’arrivée au pouvoir en France d’une droite plutôt dure représentée par le bonapartiste Nicolas S. Un genre de Ricardo de la politique apôtre du régime :
1) immigration choisie (Brésil – Espagne de préférence)
2) valeur du travail
3) défense archi sécurisée…
Quelle conclusion tirer de cette collusion d’événements qui met l’Hexagone sans dessus-dessous et le foot français, j’te dis pas ?Tout d’abord, revenons sur l’histoire plus ou moins récente de ces deux entités que sont le PS et le FCNA. Même s’ils ont un vécu bien plus ancien, la gauche française et le FC Nantes sont nés aux yeux du monde contemporain autour de Mai 68. Le PS y voyait une libéralisation des moeurs et des codes sociaux qui allaient se traduire par une large gauchisation des esprits là où le club de la Loire Atlantique connut ses premières heures de gloire avec l’accession en première division (début 60’s) suivi par ses premiers titres (1965, 66 et 73). Les verrous de son football rigoureux ont aussi sauté à cette période où, emmené par l’arrière central Budzynski, Nantes laisse présager la pratique d’un foot «total» ou «champagne» (comme vous voulez mais ça pétille) qui sera sa marque de fabrique dans la décennie suivante. Seule la Coupe de France lui résiste encore. Le Congrès d’Épinay, juin 1971, qui consacre l’union de la gauche et l’intégration de la jeune pousse François Mitterrand, et de certains espoirs tels que Michel Rocard ou Jean-Pierre Chevènement, coïncide de façon troublante avec une période de gestation de l’esprit nantais, où les jeunes s’aguerrissent.


François Mitterrand avait été élu Président en 1981

Ils ont ensuite connu un grand leader charismatique au début des années 80 qui les a porté pendant la décennie sur ses épaules. A n’en pas douter, le bien nommé «Coco» Suaudeau est le Mitterand du FCNA. Il arrive en 1960 au club (comme Tonton, sur le tard) mais consacre 60 ans de sa vie à la ville de son coeur. En 83, deux ans après l’élection de François, Jean-Claude conquiert le titre avec dix points d’avance, la meilleure attaque et la meilleure défense (+48 de différence de buts !). Comme on peut le lire sur le site internet du club : «au début des années 80 et alors que le football français est entré en mutation, fidèle à ses valeurs humanistes des débuts, le FCNA garde sa ligne de conduite». Si c’est pas beau, ça ? Ça vous fait penser à quoi, si ce n’est à la rupture de 1983 et le gouvernement Mauroy II, qui décrète une pause des réformes. Bien sûr, au contraire de Mitterrand, Suaudeau veut mettre un coup de fouet à l’économie sportive de son club, plaçant notamment Denoueix à la formation, là où le président à la rose renie tout simplement son programme de 1981 qui, je vous le rappelle, avait pour base la rupture avec le capitalisme. Le parallèle s’arrête donc là pour les 80’s, années phare des roses plus que des jaunes.
Les années 90 inversent la tendance. Alors que les premiers éléphants pointent le bout de leur trompe à gauche, les canaris nantais font cui-cui de bonheur. Le club est champion en 1995 (génération Pedros, Loko, N’Doram) et se lance dans une grande campagne européenne (jusqu’en demi de LDC !) quelques années après Maastricht. Mitterrand passe le sceptre à Chirac la même année, ce qui peut être considéré comme une (petite) victoire tant sa fin de septennat est poussive et marquée par les affaires (Mazarine, Vichy…). Deux ans plus tard, le club est retrouvé sans vie, vidé de ses stars comme le PS, amorphe et sans leader. Le virage de la fin de siècle a été mal amorcé par les deux partis. Il sera difficile de s’en remettre.


«Coco» Suaudeau, entraîneur mythique du FC Nantes

Et puis bon, il y a 1997-2002, la lente agonie, avec toutefois un chant du cygne de chaque côté, le titre de 2001 pour les uns, la CMU et les 35 heures pour les autres. Le reste, on le connaît. On se sauve à la dernière journée en 2004, on fait la grève contre la loi Fillon sur les retraites, tout cela sent le pâté. La gauche fait plusieurs pas vers la droite pour séduire à nouveau. Nantes est repris en main par Dassault. Gripond en Royal, bref le sauveur venu d’ailleurs, qui avoue bien volontiers qu’il (ou elle) ne connaît pas les dossiers. Mais bon, on met un peu devant quelques alibis, Chevènement, Delors, Roussillon, voilà avec quoi on écope. Bref, on rigole nettement moins des deux côtés et, quand l’heure des résultats vient, on n’y croit déjà plus depuis longtemps.
2007 : les luttes intestines tuent le club et le parti de l’intérieur au moment le plus décisif. Les vrais-faux come-back de Jospin et Barthez font «pschiiiiit» comme on dit et le bestiaire (éléphant-canaris) tire la gueule. Nantes vote à gauche (57%), normal, mais c’est trop tard. Trop tard comme la victoire 1-0 à Bordeaux mercredi.
Restent les belles intentions de la gauche dans les idées. Les belles intentions de Nantes dans le jeu. Les belles intentions… Le temps est à l’ultra-réalisme, au capitalisme, au libéralisme à outrance. Et on ne peut pas dire que, dans le désordre, Hollande, Diallo, Fabius, Keserü, Da Rocha, Montebourg aient vraiment le profil du sauveur. Rien qu’à voir : même en Europe, la gauche se sent seule. Les gros bras défensifs font la loi sur le vieux continent. Chelsea, la Juve ou Valence (meilleure défense d’Espagne depuis six ans) gagnent. Blair, Berlusconi et Aznar sont au pouvoir. Glazer achète Manchester United, Rotschild récupère «Libé». Le référendum sur la constitution ne passe pas alors qu’Arsenal fait une finale européenne en tenant sept matches sans prendre de buts. C’est la méga sinistrose.
Serge Dassault a soutenu avec fougue le nouveau président. Normal qu’il n’ait pas souhaité laisser vivre le représentant footballistique de son ennemie. Et puis, c’est bien connu, le monde sportif est de droite.  

Écrit par Etienne Ducroc

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3 Commentaires

  1. Vraiment pas mal fait. On décèle à la fois le connaisseur avisé des choses du football et lanalyste politique lucide et polémique. Jaime ça.

  2. La comparaison est bien évidemment pertinente – les idéaux du jeu à la nantaise sont bien de gauche – mais ce qui me chagrinne un petit peu dans cet article, et dans le traitement médiatique en général que lon subit en France au sujet de cette relégation, cest lutilisation de lidée selon laquelle les nantais « sont morts de navoir pas su se réformer ».

    Pourquoi aurait-il fallu se réformer ? Du moins à Nantes ?

    Ne vous y trompez pas, si Nantes est aujourdhui en Ligue 2 ORANGE, cest parce que les dirigeants lui ont fait prendre la nouvelle voie à la mode depuis déjà 20 ans.
    Jean-Luc Gripond (the dark president) clamait vouloir faire du FC Nantes le MU français, avec comme première idée fraîchement sortie de son cerveau si génial : « Le jeu, cest du pipeau ».

    La suite na été que destruction des valeurs et de ses possibles incarnations. Aujourdhui, Nicolas Savinaud et Frédéric Da Rocha, qui crèvent tous les deux denvie de rester au club, ne seront pas prolongés par la direction trop contente de voir deux contre exemple à leur incompétence quitter le club.

    Cette relégation nest pas celle du modèle nantais et de ses idéaux (qui ont vaincu la puissance financière marseillaise en finale de Coupe de France sous les traits sochaliens), mais celle de la froide brutalité économique qui sempare des réussites incompréhensibles (pour tout économiste) du passé pour leur botter le cul en les traitant dhérésie.

    Le point de vue dun de nos guides spirituels : http://www.dailymotion.com/relevance/search/denoueix/video/x19uh6_denoueix-specialiste

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