Le drame à la 89e minute

La Liga 2006-2007 s’est sans doute jouée à la 89e minute de la 37e et avant-dernière journée de la saison. Jusqu’alors, le FC Barcelone menait 2-1 dans le derby contre le RCD Espanyol alors que le Real s’inclinait sur le même score à Saragosse. Ces résultats permettaient aux Blaugrana d’aborder l’ultime journée avec trois points d’avance sur les Merengue et de se contenter d’un point lors de leur déplacement chez le voisin Nastic Tarragone, lanterne rouge d’ores et déjà reléguée.

C’est dire que la situation était extrêmement favorable aux Catalans : même ce Barça un peu à bout de souffle de fin de saison semblait avoir les moyens de ramener un match nul de Tarragone. Mais un double événement s’est produit à la 89e minute de jeu qui allait bouleverser la face de cette Liga 2006-2007. Vu que l’on était au Camp Nou, la première catastrophe dont on a eu connaissance, c’est l’égalisation de Tamudo pour l’Espanyol. Mais il semble bien que chronologiquement le premier drame s’est produit du côté de la Romareda de Saragosse avec l’égalisation madrilène de l’inévitable Ruud Van Nistelrooy. Trente secondes plus tard, le capitaine de l’Espanyol Raul Tamudo profite d’un service de Rufete et d’un mauvais alignement de la défense du Barça, en particulier d’Oleguer, pour égaliser. A ce moment-là, on n’était pas encore au courant de l’égalisation madrilène, on se disait que tout n’était pas encore perdu, que ce point permettait quand même au Barça de rester maître de son destin. Les sociétaires du stade de Montjuic étaient encore en train de célébrer leur but que l’on s’enquiert du résultat du Real auprès d’un supporter muni d’une radio. Catastrophe, on apprend l’égalisation merengue et le monde s’écroule. Un silence de mort d’abat sur le Camp Nou, les mines sont longues. Le Real et le Barça sont toujours à égalité avant l’ultime ronde mais, en cas d’égalité, c’est la confrontation directe qui est déterminante et celle-ci est favorable aux Merengue, vainqueur 2-0 à Bernabeu et auteur d’un nul 3-3 au Camp Nou. Comme le Real accueille Majorque lors de la dernière journée, un ultime renversement de situation paraît utopique.

En crise pendant la majeure partie de la saison, le Real va donc selon toute vraisemblance cueillir un titre miraculeux, tant il est vrai que les Madrilènes ont gagné énormément de points dans les dernières minutes. Ce sacre, le Real le devra aussi en grande partie à son buteur providentiel Ruud Van Nistelrooy, auteur à Saragosse de ses 24e et 25e buts de la saison. Beaucoup avaient ricané en voyant le joueur batave débarquer au Real, le considérant comme un joueur fini, qui avait même été mis sous l’éteignoir par Patrick Müller à Gerland. Personnellement, j’avais été consterné par ce transfert, je voulais voir Ruud débarquer au Barça, pour perpétuer la légende hollandaise au Camp Nou. A la place, les dirigeants barcelonais ont préféré faire les yeux doux, comme chaque année (c’est d’ailleurs reparti cette saison) à Thierry Henry, dont je doute qu’il puisse se mettre au service et s’intégrer dans le collectif du Barça. En plus, Ronald Koeman n’est plus là pour donner au Français les longues balles sans lesquelles il a quelques difficultés à s’illustrer. Cela ne m’empêche pas de ramener un maillot floqué du nom du buteur de la finale 1992 de la Ligue des Champions. Bref, Van Nistelrooy n’est pas venu au Barça et aujourd’hui il offre le titre à son nouveau club, parvenant même par ses buts à effacer les énormes carences de la défense madrilène et de son ballon d’Or 2006 (interdiction de rigoler) Cannavaro.
Le Barça rêvait il y a quelques mois de triplé Coupe – Championnat – Ligue des Champions, il risque bien de vivre une saison blanche. Et pourtant, l’équipe était sur le papier plus forte que celle qui avait réussi le doublé Liga – Champion’s League en 2005-2006. Le seul départ de Larsson aurait dû être largement compensé par les arrivées de Thuram, Zambrotta et Gudjohnsen, ainsi que le retour de Saviola. Sans compter que Rijkaard récupérait Messi et Xavi, qui avaient raté une bonne partie de la saison dernière pour blessure. Mais le jeu du Barça s’est peu à peu détérioré, Ronaldinho est resté sur la lancée de sa Coupe du Monde en demie teinte, Eto’o, après sa blessure, n’est jamais revenu au niveau qui en avait fait le meilleur joueur du monde en 2006, la défense s’est remise à faire des bourdes… Après avoir frisé la correctionnelle en phase de poule contre le Werder, le Barça a été éliminé sans gloire par Liverpool en Champion’s League, s’est ridiculisé en Coupe du Roi en étant éliminé par Getafe après avoir gagné le match aller 5-2 et a raté une kyrielle d’occasions de prendre le large en tête du championnat. Jusqu’à cette dernière déconvenue à la 89e contre Espanyol qui survient quelques semaines après une autre égalisation encaissée à cette même maudite 89e minute contre le Bétis Séville.

Pourtant, la soirée avait bien commencé au Camp Nou. La plupart des championnats étant terminés et mon équipe de 5e ligue ayant joué en semaine, je voyais poindre le spectre d’un week-end sans foot. C’est avec plaisir que j’ai constaté que les Espagnols jouaient les prolongations, surtout que la Liga est le dernier des grands championnats que je n’avais pas encore visité cette saison. Nous voilà donc au Camp Nou pour le derby catalan, le troisième d’une série de quatre derbies consécutifs pour le Barça (victoire 4-3 contre Tarragone et aux penalties contre Espanyol en Coupe de Catalogne avec une équipe B, le derby de samedi contre Espanyol et la dernière journée à Tarragone). Il n’y a pas d’alcool au Camp Nou mais on s’arrête au bar des vétérans du Barça pour prendre quelques chopes que nous parvenons sans problème à faire rentrer dans le temple. Un litre de bières chacun devant soi, un stade copieusement garni, on se serait presque cru dans la Ruhr. On dit presque, parce qu’au niveau de l’ambiance, comme souvent à Barcelone, ce n’est pas transcendant. Après la sympathique et folklorique chanson du Barça, les chants et les encouragements sont plutôt timides et épars. Le Camp Nou, c’est assez impressionnant et le football qui y est proposé est souvent de bonne qualité mais, au niveau de l’ambiance, je te conseille plutôt Dortmund, Liverpool ou Francfort. Ou un derby romain.
Le derby catalan ne fait pas vraiment partie des grandes rivalités mythiques du football. Pour qu’un derby devienne légendaire, il faut que les deux équipes soient du même niveau et drainent plus ou moins le même nombre de supporters, coupant la ville en deux camps à peu près égaux, comme à Rome ou Glasgow. Rien de tel à Barcelone où le grand Barça écrase le petit Espanyol, même si cette année le seul club catalan à avoir disputé une finale de Coupe d’Europe n’est pas celui que l’on attendait. Le grand absent de ce derby, c’est Ronaldinho, suspendu. C’était le feuilleton de la semaine, le Barça ayant multiplié les recours pour lever la suspension de son Brésilien après son expulsion contre Getafe, arguant notamment que Cannavaro s’était vu retirer un carton rouge plus tôt dans la saison (on n’est pas sûr que c’était un cadeau pour le Real). Finalement, la suspension de Ronaldinho n’a pas été levée, ce qui est assez logique : même s’il avait été provoqué, le Brésilien n’avait pas à rendre le coup et il ne s’en sort déjà pas si mal en n’écopant que d’un match de suspension.

L’Espanyol n’a manifestement pas l’intention de faire de cadeaux à son grand voisin et plonge le stade dans l’incrédulité sur une ouverture millimétrée d’un ex-joueur du Barça De la Peña pour Tamudo qui conclut imparablement. On cherche vainement des supporters célébrant cette réussite : cela doit quand même être terrible pour un joueur de marquer un but dans sa ville et de constater que cela ne fait plaisir à personne. Deux minutes plus tard, Milito transforme un penalty obtenu par Aimar à Saragosse et l’on se dit que le Barça est vraiment en train de louper le coche. Lors de la victoire en Coupe contre Getafe, Lionel Messi avait marqué un but d’anthologie, rappelant étrangement le slalom réussi par Diego Maradona contre l’Angleterre à Mexico en 1986. Le petit Argentin a cette fois copié l’autre but du grand Diego contre l’Angleterre, la célèbre main de Dieu. Leo a égalisé à la 43e en reprenant de la main un centre de Zambrotta. Sur le moment, cela nous avait complètement échappé, comme à l’arbitre, on ne comprenait pas les protestations des joueurs d’Espanyol mais les images sont implacables et la presse s’en est donnée à coeur joie en rebaptisant le n° 19 du Barça Maradomessi. Cette égalisation permettait au Barça de prendre la tête du classement virtuel.

Messi a récidivé à la 56e en inscrivant le 2-1 après un relais avec Deco, un but parfaitement valable et limpide celui-là. Malgré l’égalisation de Van Nistelrooy à Saragosse, la situation restait très favorable au Barça, surtout que Milito, sur passe d’Aimar, a redonné l’avantage aux pensionnaires de la Romareda à la 62e. Un but qui provoquera une immense clameur dans le Camp Nou.
Mais le Barça joue petit bras, Rijkaard renforce sa défense en faisait rentrer Oleguer pour Van Bronckhorst (il est vrai que Gio flirtait dangereusement avec un deuxième avertissement) et Motta pour Gudjohnsen. Une tactique un peu suicidaire car, dans sa longue et glorieuse histoire, le Barça a très rarement gagné des matches grâce à sa défense. On aurait préféré voir un Barcelona continuant à attaquer pour marquer un 3-1 que l’on sentait à portée de main : tête de Gudjohnsen à côté (75e), cafouillage devant le but de l’Espanyol (83e) et intervention litigieuse de Kameni sur son compatriote Eto’o (87e), qui avait le poids d’un penalty selon la presse catalane. De notre place, cela ne nous a pas paru évident, d’ailleurs on ne s’est même pas levé en hurlant et en criant sur l’arbitre, malgré toute notre mauvaise foi de supporters. C’est néanmoins un nombre d’occasions un peu maigre pour une équipe qui a monopolisé le ballon pendant 68% du match et malheureusement la catastrophe que l’on redoutait, même si l’on n’y croyait pas trop tant l’Espanyol se montrait incapable de porter le danger devant Valdes, s’est produite.

C’était d’ailleurs un week-end bien décevant au niveau des résultats sportifs. Le dimanche, j’ai réussi à m’arracher de la playa pour aller voir Federer – Nadal dans un bar. Malgré mon maillot de l’équipe de Suisse et même si l’on a bu largement plus de bières qu’il y a eu de sets joués, cela n’a pas suffi pour une victoire de Rodgeur. Et l’on n’a même pas pu se consoler en fêtant la promotion du FC Jorat-Mézières dont on a rencontré le capitaine dans le bar. Sans  leur libéro, les Joratois ont concédé leur deuxième défaite de la saison et devront attendre le week-end prochain pour fêter leur ascension en 3e ligue. Note que, après une rentrée de boîte à 8 heures et demi du matin et une journée largement passée à tirer sur la bière pour soigner le mal par le mal, on n’avait plus vraiment l’énergie pour fêter quoi que ce soit. Même si notre week-end a été bien festif, on aurait préféré qu’il ne se passe strictement rien lors de cette cataclysmique 89e minute, ni au Camp Nou, ni à la Romareda, et que l’on puisse lever nos verres à la gloire du Barça, probable futur champion d’Espagne. Il n’en sera malheureusement rien.

FC Barcelone – RCD Espanyol 2-2 (1-1)

Camp Nou : 90’695 spectateurs.
Arbitre : M. Rodriguez Santiago.
Buts : 29e Tamudo (0-1), 43e Messi (1-1), 56e Messi (2-1), 89e Tamudo (2-2).
FC Barcelone : Valdes ; Zambrotta, Thuram, Puyol, Van Bronckhorst (46e Oleguer) ; Iniesta, Xavi, Deco ; Messi, Eto’o, Gudjohnsen (76e Motta).
Espanyol : Kameni ; Lacruz, Jarque, Torrejon, Chica ; Corominas (63e Jonatas), De la Peña, Moises (60e Ángel), Riera (41e Rufete) ; Luis Garcia ; Tamudo.
Cartons jaunes : 30e De la Peña, 38e Van Bronckhorst, 43e Luis Garcia, 43e Tamudo, 50e Deco, 51e Moises.
Notes : le Barça sans Edmilson ni Ronaldinho (suspendus). 

Écrit par Julien Mouquin

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2 Commentaires

  1. Un bon article, intéressant à lire quand cela concerne le foot, jai trouvé passionnant. Mais le bémol cest la bière et le problème daddiction à lalcool de lauteur, là cest lourd.

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