Die Unabsteigbaren I : la naissance du mythe

Cher lecteur, je te dois quelques explications, toi qui as choisi d’ouvrir cet article malgré son titre un peu barbare. Die Unabsteigbaren, ça peut plus ou moins se traduire par «les irreléguables» et c’est le slogan figurant sur les t-shirts portés par les joueurs du FC Aarau fêtant leur maintien à Lloret del Mar, où deux de mes amis les ont rencontré il y a quelques semaines.

Unabsteigbar, c’est aussi le surnom traditionnellement donné outre-Sarine au FC Aarau. Car le présent article parle du FC Aarau mais je ne l’ai pas mis dans le titre, personne ne va aller regarder un texte dont il apparaît d’emblée qu’il traite du FC Aarau. Ce qui est une grave erreur car le petit club argovien est un phénomène probablement unique en Europe par sa capacité à aligner les saisons dans les profondeurs du classement sans jamais connaître la relégation. Grasshopper excepté, le FC Aarau est le plus ancien club en Ligue Nationale A : promus au terme de la saison 1980-1981, après 45 ans de LNB et de 1ère ligue, les Argoviens vont entamer dans quelques jours leur vingt-septième saison consécutive dans l’élite du football suisse. Pourtant cette année, on pensait que c’était la bonne, qu’enfin le FC Aarau, scotché à la dernière place du classement une grande partie du championnat, allait couler et que les supporters de LNA pourraient s’épargner le déplacement de l’affreux Brügglifeld.


Les Unabsteigbaren en vacances à Lloret del Mar

Imagine : Sven Christ capitaine, Ivan Benito dans les buts, Admir Bilibani titulaire, la chute du FCA semblait programmée. On pensait que les Argoviens avaient définitivement creusé leur tombe à trois journées de la fin en remplaçant leur entraîneur Ryszard Komornicki, après une série de cinq défaites sans inscrire le moindre but, par Gilbert Gress. Alors que ton équipe est au bord du gouffre, il faut quand même avoir une sacrée dose d’inconscience pour engager un entraîneur qui a déclaré un jour, au soir d’une défaite à Copenhague qui éloignait la Nati de l’Euro 2000 : «Si seulement j’avais eu onze Patrick Bühlmann dans l’équipe…». Je m’étais dit, cette fois, Aarau est cuit, Gilbert Gress, avec sa conception un peu éculée du football, ses ailiers, n’est pas du tout l’homme de la situation, il n’arrivera pas à mettre en place l’opération commando qui permet généralement aux Argoviens de sauver leur peau au dernier moment.
Et pourtant, la magie des Unabsteigbaren a une nouvelle fois fonctionné : Aarau va remporter le match à douze points lors de l’avant-dernière journée sur le terrain de Schaffhouse (2-0), et profite d’une improbable défaite des Schaffhousois à Thoune lors de l’ultime ronde pour arracher une place en barrage. Les Argoviens ne se montrent pas vraiment meilleurs que leur adversaire dans ce barrage, l’AC Bellinzone, mais profitent de deux grosses bourdes du gardien tessinois, une au match aller, une au retour, pour rafler la mise et assurer un nouveau maintien. Le FC Aarau avait tout d’un relégué en puissance mais le mythe a été le plus fort et le Brügglifeld sera toujours au menu de la LNA la saison prochain. Pour que tu saisisses bien à quel point la présence du FC Aarau au plus niveau de la hiérarchie du football suisse tient du miracle permanent, je te dresse un petit historique des sauvetages sur le fil du club des bords de l’Aar depuis son retour en LNA en 1981. Tu le constateras par toi-même, la liste est très longue.


Le vétuste mais mythique Brügglifeld  

1982/1983 : Premier non relégué, une fois !

Après une entrée en matière en LNA encourageante (7e sur 16 en 1982), Aarau connaît ses premières difficultés lors de sa deuxième année dans l’élite. Le club finit 14e et premier non relégué. Les Argoviens conservent toutefois une marge confortable sur les deux derniers, Bulle et Winterthour. On ne peut donc pas parler de sauvetage miraculeux mais Aarau a pris position à cette fameuse place de «premier non relégué» qu’il occupera si souvent. Bon, quand tu vois la formation de l’équipe de l’époque, avec le fantasque Böckli aux buts, le futur joueur du LS Kaltaveridis en défense, l’avocat Hegi ou encore le moustachu Allemand Herberth au milieu,  tu te dis que c’était déjà un bel exploit de ne pas couler.

1986/1987 : Aarau trop fort pour Chappi

L’arrivée d’un jeune entraîneur prometteur nommé Othmar Hitzfeld fait connaître des heures de gloire au FC Aarau, vice-champion suisse en 1985 et vainqueur de la Coupe cette même année (1-0 contre le Neuchâtel Xamax de Gress). Il faut attendre la saison 1986-1987 pour retrouver Aarau à la lutte contre la relégation. Cette année-là, le foot suisse fait sa révolution, Freddy Rumo vient d’inventer la barre et il faut réduire le nombre d’équipe en LNA de 16 à 12. Aarau termine 11e et doit passer par des barrages pour sauver sa place dans l’élite : les Argoviens s’imposent 3-1 au Bois-Gentil contre l’ES Malley de Stéphane Chapuisat dont le but est insuffisant pour contrer les deux réussites d’un autre futur vainqueur de Coupe d’Europe, Wynton Rufer (vainqueur de la Coupe des Coupes 1992 avec le Werder Brême contre Monaco). Les Argoviens remportent le match retour 6-0, avec quatre buts de l’affreux allemand Uwe Wassmer. Au tour suivant, Aarau perd le match aller 1-0 à Lugano mais gagne 5-0 au retour avec deux doublés pour ses Allemands Herberth et Wassmer et assure ainsi son maintien.


Hitzfeld a fait rêver toute l’Argovie !

1988/1989 : Quatre victoires et un nul pour un sauvetage

Troisième du championnat en 1988, les Argoviens découvrent les joies du tour de promotion/ relégation la saison suivante. Ils finissent le championnat en trombe (5 matches / 9 points avec la victoire à deux points) et se maintiennent haut la main avec une avance confortable sur Locarno et Baden mais leur 2e place est une nouvelle fois celle de «premier non relégué», puisqu’à l’époque il y avait deux groupes de promotion/relégation. Dans cette équipe, aux côtés des vieux grognards Rolf Osterwalder, Bernd Kilian, Thomas Tschuppert et Roberto Böckli, sévissaient le buteur Christian Matthey, le surcoté hollandais René Van der Gijp (que Facchinetti avait présenté comme une star lors de son arrivée à la Maladière), le génial meneur de jeu Thomas Wyss, ainsi que deux grands espoirs du football suisse, Adrian Knup et Ciriaco Sforza ; lesquels ne pourront empêcher la défaite de leur équipe en finale de Coupe contre GC, qui l’emporte 2-1 avec un doublé de l’international Andy Halter, qui aurait pu devenir une grande star du football suisse sans des blessures récurrentes. C’est également lors de cette saison que s’était révélé un jeune gardien du FC Sion, Marco Pascolo, qui avait marqué un but sur un dégagement lors d’un Aarau – Sion au Brügglifeld. Les reptations du portier Böckli pour tenter vainement de rattraper le ballon après une glissade avaient fait le délice des bêtisiers du monde entier.


Sforza a explosé au FC Aarau

1989/1990 : Un maintien tranquille

Modeste onzième du tour qualificatif, Aarau assure son maintien sans trop d’histoire en terminant premier de son groupe de promotion/relégation, avec cinq longueurs d’avance sur le premier non promu, le FC Bulle.

1990/1991 : Victoire salvatrice à Schaffhouse I

Aarau est longtemps malmené dans le tour de promotion/relégation. Les joueurs du poète Roger Wehrli, après une série de quatre matches/trois points contre les modestes UGS et Locarno, se remettent sur le bon chemin à cinq journées de la fin grâce à une victoire 1-0 à Schaffhouse sur un but du Polonais Ryszard Komornicky (l’histoire du foot suisse est un éternel recommencement). Deux larges victoires sur Old Boys et Zoug lors des deux dernières journées permettent à Aarau de finir 2e derrière le FC Zurich, et donc «premier non relégué», avec deux petits points d’avance sur Schaffhouse (soit un de plus que la saison écoulée).

1991/1992 : L’occasion ratée d’Yverdon

Aarau va passer tout près de la relégation en 1992 : lors des sept premiers matches du tour de promotion/relégation, les Argoviens ne gagnent que deux fois. L’ascension semble promise à Lugano et Yverdon. Mais les Vaudois abandonnent bêtement un point dans un derby sans but au Bois-Gentil contre Malley, alors qu’Aarau termine comme d’habitude en trombe, n’égarant qu’un seul point dans les cinq derniers matches, sur la pelouse du leader Lugano. Lors de l’avant-dernière journée, Aarau s’impose 4-2 dans l’ancien Saint-Jacques et enterre les espoirs de retour en LNA du FC Bâle, avec notamment un but pour l’international Marcel Heldmann et un pour le Bulgare Petar Alexandrov. Néanmoins, l’Yverdon de Challandes, Béguin, Vialatte, Chatelan et Taillet aborde la dernière journée en position de force, puisqu’il lui suffit d’une victoire, voire peut-être même d’un nul, à domicile contre des Bâlois que l’on pourrait penser démobilisés, pour être promu et reléguer le FC Aarau. Mais le FCB joue ce match comme si sa survie en dépendait (comme quoi Wil n’a rien inventé…) et un doublé du Hollandais Sitek prive Yverdon d’ascension (1-2). Petit vainqueur de Locarno sur un but de l’inusable Wassmer (1-0), Aarau vient coiffer Yverdon au poteau mais a senti passer le vent du boulet puisque les Vaudois avaient eu une balle d’égalisation dans les arrêts de jeu (par le stoppeur Laurent Wicht sauf erreur), qui leur aurait permis de prendre la place des Argoviens. Le mythe des Unabsteigbaren commence à prendre forme. Douze mois après avoir flirté avec la relégation, le FC Aarau est sacré champion de suisse sous la houlette d’un jeune entraîneur autrichien, Rolf Fringer (1992/1993).


Un entraîneur qui n’a rien gagné… sauf à Aarau
(Photo Pascal Muller) 

1993/1994 : De San Siro aux portes du tour de relégation

Aarau est passé tout proche de l’exploit au premier tour de la Ligue des Champions contre le grand Milan AC, futur vainqueur de l’épreuve (le fameux 4-0 en finale contre Barcelone) : défaite 1-0 à Zurich (but de Papin) et 0-0 au retour à San Siro, avec un fort sentiment d’injustice puisque les Argoviens s’étaient vu annulés… quatre buts sur l’ensemble des deux matches, dont en tout cas deux paraissaient parfaitement valables. Cette même année, les Argoviens ne friseront pas la relégation mais une place sous la barre à Noël, ce qui aurait tout de même fait un peu tache pour le champion en titre : les joueurs de Rolf Fringer sa qualifient pour le tour final en 8e position, avec une seule longueur d’avance sur le FC Zurich de Kurt Jara. Il aurait suffit d’un point au FCZ dans le derby zurichois pour propulser les champions en titre dans le tour de promotion/relégation… Il n’y avait pas de danger immédiat de relégation mais c’est quand même un sauvetage miraculeux de plus à mettre au crédit des pensionnaires du Brügglifeld.


JPP au Milan AC : ça date…

1995/1996 : Trümpler, la bête noire du Lausanne Sports

Comme en 1993/1994, les Argoviens ne flirtent pas avec la relégation cette année-là mais avec une place dans le tour de promotion/relégation : les Argoviens finissent 7e à Noël, à égalité de points avec Saint-Gall et Lausanne, qui finit sous la barre en raison d’une moins bonne différence de buts. Les Argoviens étaient très mal barrés à deux journées de la fin du tour qualificatif : mais le Aarau de Martin Trümpler domine le LS de Georges Bregy 3-0 (buts d’Allenspach, Ratinho et Pavlicevic) lors de l’avant-dernière ronde et va arracher un 0-0 à Saint-Gall alors que dans le même temps les Vaudois ne parvenaient pas à battre Neuchâtel Xamax sous les flocons de la Pontaise (1-1).

Cher lecteur, je ne vais pas te retenir plus longtemps avec les pérégrinations du FC Aarau. Mais rassure-toi, tu pourras lire prochainement la suite des aventures des Unabsteigbaren sur CartonRouge.ch, avec les sauvetages répétés de ces dix dernières années, aussi extravagants les uns que les autres.

Écrit par Julien Mouquin

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3 Commentaires

  1. Yep, me rappelle bien de ce fameux match à Yverdon et « 24 Heures » qui titre « Bâle de match ».

    Ben non, mon premier traumatisme footballistique, à 10 ans ça marque…

  2. De toutes façons une équipe dont les supporters vont en vacances à Lloret del Mar mérite dêtre relégable au tournoi en salle de Poliez-Pittet

  3. Ptite info concernant Andy Halter…qui est prof de fitness dans un 5 étoiles à Gstaad maintenant…comme quoi, même foutu pour le foot, on peut toujours se débrouiller.

    Par contre, concernant Aarau…cest vrai que ce club fais peur à voir.

    Et que dire du Brügglifeld…..à part que chaque déplacement là bas ressemble plus à un retour dans mes souvenirs…les Petar Alexandrov et Cie…

    Longue vie au FC Aarau….en LNB…..par pitié

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