La Suisse fait rêver Wembley

En dominant successivement Israël et la Russie sur le score de 3-0 dans son nouveau temple de Wembley, l’Angleterre a redressé une situation qui paraissait compromise après la défaite en Croatie et les matches nuls en Israël et contre la Macédoine à Manchester. Le chemin qui mène à l’Euro 2008 est encore parsemé d’embûches mais l’Angleterre et le public de Wembley peuvent plus que jamais rêver à la Suisse.

Cette fois on ne se laisse pas arnaquer avec l’achat d’un programme de match à 6 pounds mais on se fait remettre gratuitement le fanzine des fédérations de supporters. A priori, en Angleterre on ne doute de rien : alors qu’avant le coup d’envoi de cet Angleterre – Russie, l’équipe de Steve McClaren n’occupe que la 3e place du classement et est donc en l’état non qualifiée, la magasine en question consacre de larges pages à la présentation du futur hôte de l’Euro 2008, la Suisse, avec présentation des villes hôtes, informations touristiques et calendrier des matches. L’Autriche n’a pas droit à tant d’honneur puisqu’il y est juste mentionné qu’il s’y jouera aussi des rencontres.La présentation de la ville de Zurich n’échappe pas aux traditionnels clichés sur la Bahnhofstrasse et l’achat des coucous, chocolat et couteaux suisses, alors que pour Berne il est insisté sur ce phénomène inconcevable pour un Anglais : l’équipe de hockey sur glace y attire plus du monde que celle de football. Mais ce qui nous ravit le plus, c’est la présentation de Genève et de son stade, dont les Anglais se moquent allégrement : en gros, il est dit que le meilleur match jamais disputé à la Praille, c’était l’amical Angleterre – Argentine mais que ce n’est pas très difficile vu qu’il ne se passe jamais rien dans ce stade de 30’000 places qui accueille une équipe 14e sur 18 en 2e division et dont l’affluence ne dépasse pas les 2’000 spectateurs. Ajouté à une bonne préparation de match dans les pubs londoniens, cela suffit à nous mettre d’excellente humeur. La soirée s’annonce bien !
Cette impression positive sera confirmée dès la 7e minute de jeu : après un premier renvoi de la défense russe sur un corner de Barry, la balle revient à l’expéditeur dont le deuxième centre trouve Owen, oublié par les défenseurs adverses, qui ouvre le score avec l’aide du poteau. La défense russe n’avait plié qu’une fois en huit matches, elle cède déjà après moins de dix minutes. Au passage, Gareth Barry réussit son troisième assist en deux matches. Je suis en compagnie d’un ami qui vit dans la région de Londres et dont le père de la copine a entraîné ledit Barry en juniors. Du coup, je suis gratifié du panégyrique du joueur d’Aston Villa à chacune de ses interventions. Incontestablement, Barry a marqué des points lors de ces deux rencontres face à Israël et la Russie. Face aux Hébreux, l’Angleterre avait surtout fait la différence sur les côtés, grâce notamment à Joe Cole et Shaun Wright-Phillips. Ceux-ci seront plus discrets contre la Russie et le danger viendra plutôt dans l’axe, comme à la 10e, lorsque, au terme d’une action à une touche de balle, Gerrard lance admirablement Heskey qui se brise sur le gardien Malafeev.

Si l’on regarde la composition de l’équipe de Russie, on se rend compte que celle-ci n’a rien d’un épouvantail, même si elle compte dans ses rangs quelques habiles techniciens, dont le virevoltant Andrei Arshavin. Mais la star de cette équipe russe, elle est sur le banc, avec le meilleur entraîneur actuellement en activité, l’exceptionnel Guus Hiddink. Après une modeste carrière de joueur, le technicien hollandais s’était révélé en emmenant le PSV Eindhoven de Koeman, Van Breukelen, Lerby, Vanenburg et autre Kieft au titre européen en 1988. Dix ans plus tard, la Hollande de Hiddink se révèle comme la meilleure équipe du Mondial français (souviens-toi du grandiose Hollande – Argentine et du but d’extraterrestre de Bergkamp à la 90e) mais doit baisser pavillon en demi finale, vaincue, plus que par ses adversaires, par un calendrier démentiel qui l’a obligée à aligner les matches sous le cagnard de Marseille pendant que d’autres restaient au frais à Paris.
Mais le mythe Hiddink prendra toute sa dimension en 2002, avec l’incroyable pari de réussir une bonne Coupe du Monde avec une équipe de Corée du Sud qui n’avait jamais gagné le moindre match en phase finale jusqu’alors. Le plus remarquable c’est que l’excellent parcours coréen n’a pas été accompli en montant une opération commando style Etats-Unis 1994 mais en proposant un football spectaculaire, offensif et généreux. Tour à tour, la Pologne, le Portugal, l’Italie et l’Espagne seront submergés par la marée rouge, avant que l’Allemagne de Kahn et Ballack ne brise le rêve de tout un peuple en demi-finale. Après être passé tout près d’une nouvelle finale européenne avec un Eindhoven pourtant régulièrement pillé par les grands clubs étrangers (2005, élimination en demi contre Milan sur un but d’Ambrosini à la 90e), Hiddink va réussir un miracle de plus en amenant l’Australie en 8e de finale de la Coupe du Monde 2006. Et une nouvelle demi-finale paraissait largement dans les cordes de Guus Hiddink si un vilain tricheur et un arbitre espagnol malhonnête n’avaient pas anéanti la merveilleuse aventure Aussie.
Avec l’équipe de Russie, Hiddink relève un nouveau défi, celui de redonner du lustre à une équipe qui n’a plus franchi le premier tour d’une grande compétition depuis… l’Euro 1988 et une finale perdue contre la Hollande. A l’époque, c’était encore l’URSS… A priori, Roman Abramovich ne doit pas avoir entendu parler des formidables qualités de motivateur d’Hiddink et ne trouve rien de plus intelligent que de d’offrir 40’000 pounds à chaque joueur russe en cas de succès à Wembley. L’homme le plus riche de Russie fait décidément la paire avec son entraîneur à Chelsea : deux tristes personnages.

Malmenés en début de match à Wembley, les Russes réagissent avec un tir dans le petit filet d’Arshavin (12e), un but de Zyrianov annulé pour une main pas franchement évidente (19e), une frappe de Bilyaletdinov magnifiquement détournée par Robinson (24e) et un centre de Bilyaletdinov dévié par Sychev et bloqué par Robinson (29e). Les Anglais ne sont pas en reste avec une reprise de la tête au-dessus de Wright-Phillips (20e) et une frappe déviée de Joe Cole qui permet à Malafeev d’effectuer un superbe arrêt (30e). L’ambiance est un ton en dessus du match contre Israël, même si ce n’est pas encore l’émeute, et le match est d’excellente facture. Mais le meilleur va venir à la 31e.
Sur un long dégagement de Ferdinand, Heskey dévie de la tête pour Owen qui arme une volée surpuissante imparable pour le 2-0. Un goal typiquement britannique. Voir un but de ce genre à Wembley, c’est tellement enthousiasmant ! Le foot anglais a subi pas mal de mutations ces dernières années, pas toutes dans le bon sens, mais tant qu’il y aura ce type de buts, avec la grande balle, un attaquant qui s’arrache pour gagner le duel aérien et un autre qui plonge dans l’espace, le football anglais restera unique, inimitable, le berceau du foot.
2-0 à la pause, l’Angleterre a fait un bout du chemin mais la méfiance reste de mise : je n’ai pas oublié un Suisse – Russie à Bâle où l’on menait aussi 2-0 mais où un doublé d’Ignashevich, avec la complicité du sinistre arbitre Dauden Ibanez, avait permis aux Russes de rétablir la parité. Les hommes d’Hiddink entament d’ailleurs la deuxième mi-temps tambour battant : un tir croisé de Sychev flirte avec le poteau de Robinson (47e), avant que l’ex-Marseillais ne soit juste trop court sur un centre de Zhirkov (48e). Mais ce n’était qu’un feu de paille et l’Angleterre va vite reprendre le contrôle d’un match moins exaltant qu’en première mi-temps. Gerrard se crée deux occasions (49e, arrêt Malafeev, et 60e, reprise raté), la Russie se montre une dernière fois dangereuse sur un tir de Bilyaletdinov difficilement renvoyé par Robinson (77e). On peine à comprendre pourquoi Hiddink a attendu la 80e pour introduire le Sévillan Kerzhakov. Dans la même minute, Heskey quitte le terrain et reçoit une ovation monstrueuse de Wembley. On en vient à souhaiter que McClaren sorte aussi Michael Owen, juste pour apprécier l’hommage du public anglais. Notre souhait sera exaucé mais trop tardivement : l’entraîneur anglais sort le héros du jour à la 91e, lorsque le stade est déjà à moitié vide, à cause de cette regrettable habitude du public très classe moyenne supérieure de Wembley de quitter l’enceinte dix minutes avant la fin pour s’éviter les bouchons monstres sur les routes ou à l’entrée des stations du Tube.

Auparavant, l’Angleterre a triplé la mise sur une passe de Barry pour Owen qui lance Ferdinand, lequel se fait l’auteur d’un étonnant coup de rein avant de battre Malafeev d’une frappe qui ne paraissait pas imparable (84e). Mais c’est une récompense méritée pour le défenseur de Manchester, énorme tant contre Israël que contre la Russie. Et Wembley de scander «Riiiiiiiiio, Riiiiiiiiiio».
L’Angleterre a parfaitement su déjouer les pièges russes et israéliens avec deux victoires convaincantes 3-0 malgré les absences de Rooney, Beckham, Hargreaves et Lampard. Et a entamé une idylle avec son nouveau temple de Wembley, idylle qui devrait connaître son apothéose, si tout va bien, en juillet 2018, dans ce même stade, avec une nouvelle finale de Coupe du Monde victorieuse. D’ici là, les Anglais se sont remis dans la course à la qualification pour l’Euro 2008, en reprenant la deuxième place du groupe E avec deux points d’avance sur les Russes et trois sur Israël et peuvent donc toujours rêver découvrir la Suisse en juin prochain. Mais après un match contre l’Estonie à Wembley qui ne devrait pas poser trop de problème, l’équipe de McClaren terminera par un déplacement à Moscou sur terrain synthétique et par la venue de la Croatie dans le temple lors de l’ultime journée. C’est dire que, si pour l’Angleterre le chemin de la Suisse et de l’Autriche s’est éclairci avec les victoires contre Israël et la Russie, il est encore parsemé d’embûches et nul ne peut aujourd’hui affirmer avec certitude que la perfide Albion sera bien présente dans nos contrées en juin prochain.

Angleterre – Russie 3-0 (2-0)

Wembley : 86’106 spectateurs.
Arbitre : M. Hansson (Suède).
Buts : 7e Owen (1-0), 31e Owen (2-0), 84e Ferdinand (3-0).
Angleterre : Robinson ; Richards, Ferdinand, Terry, A. Cole ; Wright-Phillips, Gerrard, Barry, J. Cole (88e P. Neville) ; Heskey (80e Crouch), Owen (91e Downing).
Russie : Malafeev ; V. Berezutskiy, Ignashevich, A. Berezutskiy ; Anyukov (80e Kerzhakov), Semshov (40e Bystrov), Zyrianov, Bilyaletdinov, Zhirkov ; Sychev (63e Pavlyuchenko), Arshavin.
Carton jaune : 78e J. Cole (jeu dur).

Écrit par Julien Mouquin

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