Momie : championnat de La Baume-de-Transit

Jeudi 8 novembre 2007, un marathon d’un autre genre est au programme de votre chroniqueur. A l’affiche, une journée entière dédiée au Pastis. Un sport, un vrai, pour les durs, pour lequel un entraînement intensif, une endurance sans faille et un engagement de tous les instants sont nécessaires pour survivre et rester parmi les meilleurs de la discipline.

Après vous avoir fait vivre une rencontre de PHB, obscure ligue inférieure du championnat de France de football, avant de pouvoir vous conter la prochaine fois un match de motor-ball (sorte de football sur des motos de 125cm3), voici donc une journée type faite d’exploits sportifs à répétition et de levés de coudes au plus haut niveau. Exploit typique et emblématique de cette superbe région qu’est la Drôme provençale.Il est 10h43. Votre serviteur se lève, les yeux encore collés et le foie enrhumé après avoir dégusté le soir précédent nombre de verres de gros rouge, issu d’un cubitainer de 10 litres à 20 euros, devant une soirée de Ligue des Champions. Après un café et un Coca qui agissent tel un produit dopant sur mon organisme et qui provoque quelques remous à l’étage de mes intestins (ou plutôt ce qu’il en reste), il est l’heure de se mettre en selle pour le bar du village afin de repartir d’un bon pied sans nécessairement avoir dessaoulé de la veille.
11h28, arrivage au «Bar le Transit», tenu depuis quelques années par des Belges qui commencent à devenir un peu francophone avec le temps. Achat de l’Equipe – geste technique très particulier qui consiste à poser 85 centimes d’euro sur le comptoir et à dribbler toutes les pages de branlettes pro-lyonnaises, puis réflexion quant à la boisson à absorber. Petit conciliabule tactique familial et après s’être rendu compte que cela ne faisait pas une heure que j’étais réveillé: commande d’une momie.
La momie est le sport le plus répandu dans cette contrée reculée de la France, juste devant le boc de bière (1dl de blonde) et le petit rosé. Ce breuvage consiste en un verre à ballon d’un déci, dans lequel vous plongez dans l’ordre : un glaçon, une rasade de Pastis (Ricard ou 51, selon si vous êtes un Taliban de l’un ou de l’autre) et que vous complétez à votre guise avec un liquide qu’on nomme de l’«eau» (hein, quoi?). La tradition veut qu’un volume de Pastis soit agrémenté de 5 volumes d’eau.

Afin de ne pas rouiller et de sentir tout de même un tant soit peu le bon goût anisé de l’apéro, il est de bon ton de limiter l’apport d’H2O pour de ne pas dénaturer la spécialité locale et de ne pas apparaître comme, ce qui est convenu d’appeler, «une putaing’ de tapette». Donc, c’est avec un mélange muni en moyenne entre 15 et 20% d’alcool que la journée débute enfin réellement. Il est 11h34, nous sommes en infériorité numérique, juste affublés des retraités et autres RMIstes.
Le temps de s’étirer le gosier, de faire quelques génuflexions des artères et de se stretcher le foie, les premiers travailleurs font leur entrée. Nous n’en sommes qu’à deux tournées, le vrai sport peut commencer. Et tiens que je paye une tournée, et vas-y que je fais celle d’après, nous étions une dizaine au bar et 54 minutes après le début des hostilités, v’là t’y pas que c’est de nouveau à moi de mettre la compresse.
Tout bien calculé, entre 11h34 et 12h30 environ (la notion de temps est extensible et aléatoire dès l’ingurgitation de 10 momies), ce ne sont pas moins de 12 verres qui ont transité par ma gorge. Les premiers effets de l’ivresse se font sentir. Mais de l’analyse du dernier match de l’OM (qui joueuh à 9 de touteuh façong’, avé Nasri qui est à 40% et cetteuh pécaireuh de Cissé) au mistral qui souffle tant et plus sur la Vallée du Rhône (oh putaing’, au moins on a le beau temps, hein?), le temps semble passer à une vitesse défiant toute concurrence.
Il est 13h40, et nous quittons le bar cahin-caha, en quête de quelque nourriture à se mettre derrière la cravate. Affublé d’un taux d’alcoolémie à faire pâlir un Sarkoflic, mon géniteur nous conduit à bon port et la tambouille peut commencer à frémir. «Pas de chance», à peine nous nous asseyons au tour de la table que débarque un ami perdu de vue depuis bien longtemps. Bien heureux de se voir offrir le couvert, nous voici partis dans une dégustation de vin blanc dont ce dernier comptait bien s’offrir un carton.

Après une bonne dizaine de pichets «pour la route», celui-ci la prend enfin, nous laissant aux alentours de 16h42 nous dire qu’il était temps d’aller boire l’apéro au bar. Cela tombait bien, puisque nous devions y attendre des amis afin de les conduire dans nos pénates un peu plus tard dans la soirée. Il est 17h, la seconde manche de momies-à-gogos pouvait débuter. Nos connaissances attendues vers 18h30, il nous a fallu un courage hors du commun pour ne pas relâcher notre effort quand nous avons su que ceux-ci ne débarquerait pas avant 20h.
Du coup, tout le monde était là. Le Belge Guillaume, grand argentier du bar et Yesse son beau-fils qui fait office de patron. Jean-Claude était descendu de son échafaudage pour parler foot, Jacques avait retraversé la place afin de deviser derechef, le patron de la discothèque a aussi fait le déplacement, deux-trois Arabes du coin pour la forme ainsi que le Slovaque sans-papier qui fait désormais partie du décor et d’autres caricatures de ce qui se fait de mieux dans ce coin de pays.
Tournées après tournées, les langues se délient, les blagues fusent. Tantôt avec l’accent belge, puis avec un bon mot de vaudois et dans l’enchaînement une phrase avec une ponctuation du Sud (virgule = putaing’, point = cong’, point-virgule = putaing’-cong’). Le mot revenant le plus souvent venait toutefois de David, le barman, qui intimait à ses ouailles de «creuser» plus rapidement tant les verres ne suivaient pas le débit des tournées. Vers 19h47, alors que votre serviteur ne s’était pas dévissé les fesses de son tabouret de bar, il était temps de quitter l’établissement afin d’aller dîner (ou souper, ça dépend si on le dit en français ou en suisse…).

C’est alors que le phénomène bien connu des alcooliques refait surface. Le cas typique de vertige doublé d’une irrépressible envie d’aller se soulager doublé du célèbre refrain bien connu: «Oulah!». En guise de décrassage, il nous est ensuite proposé de manger une fondue. Vu le temps (beau mais un Mistral à décorner les cocus), cela est une grande idée, d’autant plus que les invités débarquent munis de nombreuses bouteilles de vin blanc. Je vous passe les détails de ce met venu de nos latitudes. Puis, en guise de digestif, v’là t’y pas que mon vieux a la bonne idée de nous sortir la verveine et la menthe qu’il a lui-même fabriqué. Un nectar, très simple à réaliser.
Prenez une bouteille. Mettez-y 50 feuilles de menthe, 30 sucres et de l’alcool de fruits pur à 40%. Laissez reposer 40 jours, passez le liquide dans une passoire… Et dégustez! Juste de quoi ne plus sentir le goût de votre dentifrice qui ne tarde pas à s’imposer à vous, tant cette journée fut longue et éprouvante. Voici une journée type de vacances comme on devrait en faire plus. Je comprends mieux pourquoi les Français travaillent 35 heures. Travailler moins pour boire plus, j’adore ce concept…
Ah oui, en fait, où en est-on avec le concours de «buvage de momies» ? Euh… On va dire qu’on s’en fout, puisque comme l’a très bien dit le baron Pierre de Coubertin : «l’important c’est de participer».

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