La Grèce prise à son propre jeu

Ce que l’équipe nationale de football grec a accompli hier soir face à la Suède au stade Wals Siezenheim de Salzburg aura été ce que je craignais inconsciemment, sans pour autant avoir été assez lucide pour l’envisager en tant que tel : qu’elle reproduise l’attitude qui fut la sienne en 2004, sans être pour autant capable de marquer des buts comme alors, ou, c’est selon, sans avoir eu la chance de le faire. Car c’est bien d’un miracle dont il avait été question à ce moment-là de l’histoire du football, au Portugal.

Scénario catastrophe. Désolation nationale probablement, tristesse dans les foyers, réveil pénible en ce nouveau matin. Il faut recommencer, toujours et encore, mais l’espoir est toujours là, il suffit d’y croire, c’est simple. Car cette soirée n’est que le premier acte d’un drame qui n’est pas encore résolu ; reparlons-en d’abord après le match de samedi face aux Russes, et ensuite, mercredi prochain, aux prises avec l’Espagne. «La où croît le danger, croît aussi ce qui sauve», c’est Hölderlin qui nous apporte la pensée du jour. Puisse Otto Rehhagel la faire sienne.C’est urgent. Une véritable crise s’est produite, il s’agit d’en prendre la mesure, de l’assumer en la digérant au mieux, de la transformer en une expérience décisive, porteuse de signes, ceux qu’il s’agira de prendre en compte pour que ne se reproduise pas cette honteuse suffisance dont la Grèce a cru qu’elle pouvait se satisfaire, telle une vieille donneuse de leçons, aigrie, sûre de son sujet, mais en fait tellement égarée ; ridicule aussi, du moins aux yeux de certains consultants de la TSR, avides de spectacle, de goals en rafales, incapables de prendre en compte le drame qui était véritablement en train de se jouer.


Les supporters grecs au début du match…

Fabrice Jaton a parlé d’une «vilaine première mi-temps», Gérard Castella a employé le mot «pathétique» pour qualifier l’état d’esprit des Grecs, j’ai entendu aussi un «on veut des goals !» de je ne sais plus qui – leurs visages finissent par se confondre -, autant d’assertions qui ont résonné en moi comme la marque de l’impatience, de la volonté orientée à l’aune du besoin incessant de sensations fortes, directes, immédiates : consommer de la perfection sur commande, au lieu de se laisser surprendre par son surgissement inopiné. Trait caractéristique d’un certain état d’esprit propre à notre civilisation occidentale qui exige que spectacle et performances soient partout et à tout moment, que ce qui est laid, et apparemment ennuyeux, soit privé de la lumière de la scène.
Les commentaires couvrant le France-Roumanie de lundi avaient déjà bien illustré ce phénomène, hier soir une nouvelle couche de verbes acerbes a été étalée dans ce sens. Jean-François Develey a certes eu un grand moment d’inspiration en affirmant que «pour apprécier de grands matchs de football, il faut passer par d’autres comme celui-ci» ou qu’ «il faut de tout pour faire un monde», mais le ton général de ses commentaires ne l’ont pas fait échapper à la tendance du footballistiquement correct qui, vous l’aurez compris, m’insupporte.


La joie des Suédois ! 

Quoi ? Vous non plus n’avez pas apprécié ce match, suis-je donc le seul à vivre et à lire un match de football autrement que comme un produit sur mesure, qui contiendrait toujours déjà en lui les ingrédients prêts à assouvir ma soif d’émotions? N’y avait-il pas aussi quelque intérêt à observer Suédois et Grecs se craindre, se jaugeant sans trop prendre d’initiatives ? Ne peut-on pas trouver un certain charme à observer deux dispositifs tactiques se contenir l’un l’autre ? N’avez-vous pas aussi éprouvé quelque plaisir à voir la Grèce se faire prendre ainsi à son propre jeu, et quelque curiosité devant le fait de savoir comment elle sera capable de réagir à partir de là, ou ce match se réduit-t-il uniquement dans vos yeux à l’opposition du beau et du laid, à ce magnifique but de l’extérieur du pied droit de Ibrahimovic (probablement un des plus beaux de cet Euro jusqu’à présent) face à la naïveté (constatable sur le cafouillage amenant le goal de Hansson) et la médiocrité hellénique ?   
 
C’est un tournant – une magistrale Kehre – que le stratège allemand doit susciter d’ici samedi au sein de cette Ethniki dont il ne connaît pas assez bien la langue, ou qu’il n’a pas su marier assez bien à la sienne. L’équipe de Grèce version 2008 a des qualités indéniables qui n’ont pu hier soir être mises en œuvre car, c’est regrettable au plus haut point, option a été prise de recourir au même schéma tactique qu’en 2004. C’est en cela que sa performance peut être qualifiée de suffisante : ne pas avoir osé changer la formule sacrée, sous prétexte qu’elle fut hautement efficace il y a quatre ans, alors que les temps ont changé, que de nouveaux joueurs ont rallié le bataillon, que c’était surtout la Suède en face et qu’il y avait moyen d’aller la chercher avec les qualités offensives que présente la sélection grecque.


Le roi Otto a perdu une bataille…

Otto Rehhagel a perdu la partie tactique qui l’opposait hier à son homologue suédois Lars Lagerbäck et il semble bien qu’un remaniement soit en train de s’effectuer dans les rangs de l’Ethniki. Non pour que samedi le monde entier jouisse de concert devant le spectacle que l’équipe grecque nous proposera, uniquement pour que l’intelligence de cette équipe renaisse ne serait-ce que l’espace de ce match contre la Russie. Pour que s’exprime pleinement le caractère qui lui est propre : l’alliance entre une explosivité toute méditerranéenne et la rigueur venue du nord, imposée par le roi Otto, vacillant sur son trône, mais pas encore déchu de son statut.

Grèce – Suède 0-2 (0-0)

Stade Wals-Siezenheim, 31’063 spectateurs.
Arbitre : M. Busacca (Sui).
Buts : 67e Ibrahimovic 0-1, 72e Hansson 0-2.
Grèce : Nikopolidis; Kyrgiakos, Antzas, Dellas (70e Amanatidis); Seitaridis, Basinas, Katsouranis, Torosidis; Charisteas, Karagounis; Gekas (46e Samaras). Entraîneur : Rehhagel.
Suède : Isaksson; Alexandersson (74e Stoor), Mellberg, Hansson, Nilsson; Andersson, Svensson, Ljungberg; Wilhelmsson (78e Rosenberg); Ibrahimovic (71e Elmander), Larsson. Entraîneur : Lagerbäck.

Écrit par Philippe Verdan

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12 Commentaires

  1. On croirait lire un édito de Peter Rothenbühler. Prendre lavis exactement opposé à celui que lon attribue à « lopinion publique » pour se donner de grands airs. Supergeil.

    Au-delà de ça, le match nétait pas sans intérêt. Si lon aime le football, il va de soi quil est intéressant de se demander ce qui peut donner lieu à pareil affrontement. Mais ce nest pas une raison pour prétendre apprécier chaque système, chaque tactique, chaque conception du jeu.

    Alors, certes – je ne transigerai pas là-dessus – on peut aimer le football attentiste ou défensiste et trouver son compte dans ce genre de match. Mais on peut aussi ne pas aimer ça. Légitimement. Sans que soit mis en cause létat desprit occidental ou je ne sais quoi.

    Les passions ne se discutent pas. Aimer le football allègrement tactique, la défense par la contenance plutôt que par le pressing et les constructions de jeu lente est possible, comme on peut le vômir et aimer la vitesse, le jeu à une touche de balle et la prolifération didée.

    Mais prendre cette posture de « vous navez rien compris, voilà ce qui en est en réalité », cest pas terrible. Comme le jeu grec, finalement.

  2. Mon cher Philippe vous permettez que je vous tutoie. Ton article va tattirer les foudres célestes et toutes les autres. Exceptées celles de lOlympe. Et pour cause. Un match qui a débuté comme on devait sy attendre: une défense en béton armé qui, malheureusement, a fait ses preuves en 2004 et qui, au niveau football, est une honte pure et simple. Des Grecs qui nont strictement rien montré pour un champion en titre, en suivant simplement à la lettre les consignes dOtto le Soldeur. En comparaison, le catenaccio le plus classique reste un régal pour loeil. Et le but génial dIbrahimovic qui nous a tous réconcilié avec le foot, ou presque tous…. Je nai rien contre les Hellènes mais la sanction est tombée et les amoureux du beau spectacle, donc de loffensive, ne sen plaindront pas et ce ne sont pas ni Van Basten ni Aragones qui vont me contredire. Du moment que la Grèce na aucune chance contre lEspagne et que les Russes vont se racheter de leur gros couac, le titre 2008 senvolera sous dautres cieux. Nom de Zeus !!!

  3. Completement daccord avec lauteur. Pathétiques journalistes nourris de matchs de ligue des champions aussi incapables dapprécier un match déchec footballistique que massimo lorenzi de commenter une action.

    Le jeu défensif est la tendance actuelle du football en général et on ne peut pas en vouloir aux grecs, qui nont pas non plus les meilleurs joueurs offensifs de cet euro de jouer à leur facon (qui sommes nous pour leur exiger de jouer comme nous, spectateurs neutres qui plus est, le voulons.
    Apres tout, les grecs ont gagné en 2004 de facon parfaitement légitime, contrairement à dautres en 2006…

  4. Ce qui serait ennuyeux, cest 16 équipes qui jouent TOUTES de la même façon, non? Moi je suis amateur du foot avec défense solide, et du réalisme devant (Ok je suis italien, mais ce nest pas pour ça…), tout sauf du grand spectale au premeir abord. Je comprends par contre que lexplosion et le spectacle soit plus passionant à voir, du moins pour le commun des mortels du football, qui ne suivants que les grosses compétitions, et qui ne sintéressent pas vraiment aux schémas, tactiques et les règles plus subtiles…
    Chacun son truc et il faut le respecter!

    Ce qui me dérange chez les grecques, cest quils défendent autant, non pas par choix délibéré et envie, mais par limitation dans les autres domaines, ce qui est loin dêtre comparable au vieux « catenaccio » (que lItalie ne pratique plus de la sorte depuis un bon moment, merci dévoluer dans les vieux clichés certains…).

    Toutes les équipes nont pas la chance daligner des excellents joueurs dans toues les rôles et se permettre de choisir la tactique et le type de jeu qui lui fait envie…

    Lessentiel est gagner, le comment est secondaire, car les merveilleuses actions et le pressing à 200% ne paient pas forcément… :O)

  5. @ mes deux « détracteurs ». Chacun son opinion, cest tout à fait clair. Mais faut pas dépasser certaines bornes. Que le football défensif soit dactualité (ah bon et le catenaccio qui a un bon demi-siècle… on loublie) on ne peut pas le nier. Toutefois, lorsquon voit les Hollandais et les Espagnols, on a le droit de critiquer les équipes qui jouent une parodie du football. Et affirmer que les Grecs nont pas les moyens, voire sont limités dans loffensive, me laisse perplexe: ils se sont qualifiés comment pour lEuro, en jouant à 9 devant le gardien ? Nimporte quoi. Donc Otto le Soldeur peut déjà réserver les billets du retour en guise de grosse punition… Nom de Zeus !!!

  6. Je pense pas que lon puisse comparer Samaras-Charisteas à Torres-Villa ou Van Nistelrooy-Huntelaar ou peu importe qui…
    Je pense que la France serait plus critiquable de ce coté la vu le potentiel offensif de celle-ci.
    Quant aux qualifs, les grecs sont tombés dans le groupe le plus facile à mon sens et mais cela nenelve rien à leur mérite.

  7. @ IPI
    Ok je te rejoins totalement pour ce qui concerne la France. Le match était au-dessous de tout. Par contre, ce que je reproche à la Grèce cest son « refus » de jouer alors quelle a tout de même de très bon éléments dans tous les secteurs. Mais lorsquon sait quOtto était un joueur défensif très rugueux, on comprend le pourquoi du comment. Tu me diras que la Suisse a aussi perdu, mais dans un tout autre style car elle voulait absolument la victoire et cest la scoumoune qui sest abattue sur Bâle. Et tous les sifflets des Suédois et aussi des Grecs en disent long sur la physionomie de la rencontre. Heureusement que Zeus était absent et que Thor et Odin avaient fait le déplacement… Sans rancune.

  8. Lorsque lon fait 16 passes entre défenseurs ce nest plus du spectacle. Une honte pour des champions dEurope. Du vent et hauss !!

  9. Cher Philippe, tu peux me dire quel plaisir auront retiré de ce match ?:
    a) les joueurs qui cravachent sec toute lannée pour arriver en sélection
    b) les fans grecs qui se sont deplacés pour supporter leur équipe favorite
    c) les amoureux du foot a travers lEurope qui se sont laissés charmer par léquipe grecque il y a 4 ans.

    Faut arreter de défendre lindéfendable (a moins que ce soit ds le Coin Polémique). Se faire 150 passes entre défenseurs a 0-0 a la 35eme minute….la honte totale. On aurais préféré voir les Irlandais du Nord voire les Féroens plutot que ces usurpateurs du privilege de jouer lEuro en Suisse…

  10. @ CC, vu que tu madresses une question : en aucune manière je nai fait lapologie du jeu présenté par la Grèce contre la Suède. Je ne défends pas la tactique mise en place par Otto. Jai parlé dans ce papier de « honteuse suffisance », de « naïveté » et de « médiocrité ».
    Par contre, il est vrai que je me dresse contre cet état desprit que je juge fascisant (!) qui veut que lon accepte pas lautre (en loccurence la sélection grecque et le jeu quelle a proposé) dans sa différence, alors que ça lui appartient.
    Je ne défends donc pas lindéfendable, je tiens seulement à privilégier la liberté dautrui qui a été attaquée par des propos déplacés.
    Vous pourrez me rétorquer que je ne respecte pas moi-même votre propre liberté de pensée, le fait dexiger que la Grèce soit boutée hors du tournoi,ou, même, exclue avant la fin sans avoir défendu son titre jusquau bout.
    Peut-être oui, mais parfois il faut se montrer ferme envers des bourreaux injustes, qui ne respectent pas que les choses soient tout simplement ce quelle sont, sans que les attentes des gens ne les orientent dune façon ou dune autre.
    P.S : « usurpateurs du privilège de jouer lEuro ». Ce nest point un privilège, mais un droit que de jouer lEuro. Et la Grèce la doublement mérité. En gagnant il y a quatre ans et en terminant première de son groupe en qualifications.

  11. Je ne trouve pas que cest défendre lindéfendable, les équipes sont avant tout là pour faire un résultat. La réalité est là. La Grèce sest fourvoyé, certes, avec sa tactique mais noublions pas quelle a gagné un titre en jouant presque de cette manière. attendons le 2ème match pour mieux juger cette équipe.

    Quant à ta remarque (usurpateur) totalement infondée & déplacée, faisant preuve dune belle ignorance – Tu nest pas Constantin pour rien, la Grèce a terminé 1ère de son groupe devant la Turquie (…) et a donc gagné le droit de disputer cette phase finale… Au contraire de lIrlande… (ou même de lAutriche et de la Suisse, privilégié en tant quorganisateur et tout deux éliminés au premier tour – janticipe un poil…).

    Sans rancune

    Jean de Morges

  12. Contrairement à OD je pense que ceux qui veule se la jouer ne sont pas ceux quil vise.M.Verdant critique le fait que beaucoup de choses sont stéréotypées et il a raison.
    Sinon je suis persuadé que les commentateurs grecs ont fait vivre ce match même si y se passait rien.Et je suis scandalisé de voir quà chaque crouille match dun grand tournoi(ben oui ça arrive et on le sait), nos redevance TV servent à payer voyages, match et défrayements de commentateurs qui disent ouvertement quils semmerdent à chaque fois que le score nest pas de 3à2 à la mi-temps.Au lieu peut-être dexpliquer deux trois trucs qui se passe en défense en dehors du  » y sont bien aligné »ou  » ah ouais le 2 y coupe! ».
    Quand au commentaire sur les honteuses 16 passes faut voir comment jouait ladversaire aussi. Y se seraient pas amusés à ça contre lAllemagne par exemple.

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