Le triomphe total de Dominique Warluzel

C’est malheureusement assez révélateur de ce qu’a été la saison 2011-2012 de football en Suisse : c’est un avocat qui remporte le Pigeon d’Or de mars. Dominique Warluzel obtient ainsi le triomphe total qu’il avait promis au FC Sion dans sa croisade contre l’UEFA. Et pourtant, il y croyait aussi peu qu’aux chances de survie du Servette FC.

On s’est interrogé sur l’opportunité de nommer un avocat dans une élection normalement réservée au monde du sport. Mais finalement, on s’est dit que c’était finalement la conséquence logique d’une saison de football suisse où les délires de trois présidents mégalomanes ont éloigné notre football des terrains pour le pousser dans les tribunaux. Car, depuis douze mois, dans le petit microcosme de la LNA helvétique, particulièrement romande,  on a bien davantage entendu parler de mesures superprovisionnelles, ajournement de faillite ou faux dans les titres que de hors-jeu, défense en ligne ou coup franc indirect.

Et puis, Dominique Warluzel n’est pas complètement inconnu du monde du football. Certes, sa présidence du Servette FC en 1989-1990 n’avait pas laissé des souvenirs impérissables, loin s’en faut. Mais cela n’empêche pas l’avocat genevois de revenir régulièrement faire part de son expertise sur tous les sujets brûlants du foot romand, surtout si ça lui permet d’augmenter son omniprésence dans les médias.

«La cause est entendue»

C’est ainsi que Me Warluzel est intervenu dans divers médias en octobre dernier pour commenter les mesures provisionnelles prise par le Tribunal Cantonal Vaudois dans le litige entre le FC Sion et l’UEFA, demandant la réintégration du jouet de Christian Constantin en Europa League. L’ancien président du Servette avait pris fait et cause pour la noble croisade octodurienne contre le méchant et puissant reste du monde. Cela tombait bien, c’est ce qu’avaient envie entendre Le Matin et la TSR, lesquels soutenaient aveuglément le FC Sion en se contentant généralement de reprendre la propagande constantinienne, sans jamais aller regarder le fond du dossier. Dominique Warluzel a ainsi parlé de «triomphe total pour le FC Sion», de tribunal «qui a déjà tranché le fond du sujet», de «cause entendue», de «déroute plus noire pour l’UEFA», de «Berezina définitive pour ces braves gens de l’UEFA» et de condamnation pour l’UEFA (Le Matin du 6 octobre 2011 et Sport Dimanche du 2 octobre 2011).

Le triomphe total de l’UEFA

Bien sûr, la saga FC Sion est suffisamment touffue pour que les différents verdicts des tribunaux donnent lieu à des lectures différentes. D’ailleurs, je me suis moi-même fourvoyé sur le tout récent et très étrange verdict du Tribunal Arbitral du Sport sur la question des éventuels forfaits lors des matchs disputés par Sion contre Lausanne, Thoune et Lucerne (j’attends avec impatience les considérants). Il n’empêche, on ne voit pas comment Dominique Warluzel avait pu parvenir à des conclusions aussi péremptoires sur la base d’un jugement sur mesures provisionnelles qui posait beaucoup plus de question qu’il n’en résolvait, surtout si l’on prenait la peine d’aller lire les règlements de l’UEFA. Au final, le jugement de fond a d’ailleurs pris le contre-pied du Tribunal Cantonal et a conclu à une défaite totale du FC Sion quant à sa participation à l’Europa League. Même si l’affaire est loin d’être terminée et que de nouveaux rebondissements ne sont pas à exclure, notamment sur le retrait de points, je pense que sur la question spécifique FC Sion – Celtic – UEFA, la cause est entendue, pour reprendre la terminologie de Me Warluzel. A l’avantage de l’UEFA qui devrait être la seule partie à sortir complètement indemne du conflit, ce qui récompense la ligne de conduite claire et strictement légaliste menée depuis le début par l’institution nyonnaise.

Pas viable, vraiment ?

On a retrouvé Dominique Warluzel dans le cadre de la quasi faillite du Servette FC. Là aussi, il a multiplié les interventions dans Le Matin et à la TSR. Déjà mandaté en 2005 après la débâcle Marc Roger, l’avocat genevois a au moins le mérite d’une certaine constance dans ses propos. D’après lui, Majid Pishyar n’est pas plus responsable du dépôt de bilan du club grenat que ne l’était Marc Roger à l’époque (Sport Dimanche du 5 mars 2012) ; le problème est structurel et le foot professionnel en Suisse n’est pas viable. Alors même que des bonnes âmes s’agitaient dans l’ombre pour tenter de sauver Servette, Dominique Warluzel, pourtant chargé de la reprise du club, alignait les interviews pour expliquer que toute tentative de relance du foot d’élite à Genève était vouée à l’échec, déclarant notamment dans Le Matin du 1er mars dernier ne pas croire une seconde aux projets de reprise…

Ce qui n’est pas viable, c’est le professionnalisme tel qu’il est conçu à Genève depuis vingt ans : personne ne veut rien payer mais tout le monde espère qu’un claquement de doigts fera apparaître les fonds permettant d’acquérir les joueurs de prestige qui iront faire rayonner la grandeur planétaire du Servette de Genèèèèèève dans les plus beaux stades d’Europe. Il semble qu’entre les ambitions grandiloquentes de Marc Roger ou Majid Pishyar et l’amateurisme pur, il devrait y avoir un juste milieu permettant à un club professionnel de subsister dans une ville de la taille de Genève. Heureusement que certains sont arrivés à la même conclusion et n’ont pas suivi les théories de Dominique Warluzel, sinon le Servette ne serait sans doute plus à l’heure actuelle.

Nous sommes donc heureux de décerner le

Pigeon d’Or de mars 2012

à l’oracle de la presse romande, lequel devance le malheureux John Van Boxmeer qui, à part des tours préliminaires, n’arrivera décidément jamais à rien gagner en Suisse. Faute d’avoir choisir lui-même les arbitres, Angel Maria Villar échoue à la troisième place, devant Jean-Michel Aulas, Julien Sprunger et Christian Gross.   

Election du Pigeon d’Or de mars 2012 – résultat final :

1.    Dominique Warluzel : 211 votes – 35%
2.    John Van Boxmeer : 151 votes – 25%
3.    Angel Maria Villar : 82 votes – 13,6%
4.    Jean-Michel Aulas 62 votes – 10,3%
5.    Julien Sprunger 58 votes – 9,6%
6.    Christian Gross 39 votes – 6,5%

Total des votes : 603

Écrit par Julien Mouquin (texte) et Robert Johanson (dessin)