Peut-on encore sauver la Ligue des Champions ? (1/5)

Audiences en chute libre, stades qui se vident, désengagement massif des diffuseurs historiques : la Ligue des Champions ne fait plus rêver personne et paraît à relativement brève échéance condamnée, du moins dans sa formule actuelle. Quelques jours après la finale de Munich, état des lieux (partie 1+ 2), tentatives d’explications (partie 3+4) et esquisses de solutions (partie 5).

La nouvelle a été dévoilée il y a quelques mois : à partir de la saison prochaine, TF1 renoncera purement et simplement à diffuser les matchs de Ligue des Champions. Les motifs invoqués ? La baisse drastique des audiences et les coûts trop élevés, n’importe quelle série américaine fait mieux à l’audimat pour beaucoup moins cher. L’info n’a pas vraiment surpris, tant la chaîne française avait réduit sa voilure depuis quelques années. Souviens-toi : lorsque la Coupe des Champions est devenue la Ligue des Champions, une soirée de C1 sur TF1 c’était un plateau en direct et en public, Roger Zabel en maître de cérémonie, Guy Roux entouré d’accortes créatures pour les théories fumeuses et les calembours foireux, un match en direct et des résumés exhaustifs des autres parties de la soirée. Bref, plus de quatre heures d’émission à répéter en boucle à quel point la Ligue des Champions c’est magique. Puis la chaîne privée a réduit la voilure, exit Guy Roux et Roger Zabel, exit le plateau en direct, exit les résumés des autres rencontres de la soirée. A la fin, de la C1 sur TF1, il ne restait plus qu’une prise d’antenne deux minutes avant le coup d’envoi, la 1ère mi-temps, 42 secondes d’interview avant quinze minutes de pub, la 2e mi-temps, 57 secondes d’interview et une reddition de l’antenne sans même donner les autres résultats de la soirée, en annonçant la série américaine à venir et en s’excusant presque d’avoir monopolisé l’antenne aussi longtemps. Il était donc assez logique qu’après le service minimum, l’étape suivante ce soit plus de service du tout.

On aurait pu penser que Canal+ s’engouffrerait dans la brèche pour devenir seule détentrice des droits de la Ligue des Champions en France. Il n’en a rien été : la chaîne cryptée a également fait ses comptes et constaté la baisse d’attractivité de la compétition, elle s’est contentée de récupérer le lot de TF1, soit le premier choix par journée et la finale (à diffuser en clair sur la chaîne partenaire… Direct 8, selon l’exigence de l’UEFA). Par contre, Canal+ a abandonné tous les autres matchs, qu’elle détenait jusque-là, à la nouvelle venue Al-Jazeera. 

En Allemagne aussi

Le phénomène n’est pas propre à la France : en Allemagne, quelques années après RTL, l’autre diffuseur historique de matchs de Ligue des Champions en libre accès, SAT 1, s’est retiré, invoquant des motifs similaires à TF1 : trop cher et trop peu d’audience. Du coup, c’est la chaîne publique ZDF qui a récupéré les droits en libre accès de la C1, qui rejoindra ainsi le patinage de vitesse et la luge dans le catalogue des compétitions diffusées par la chaîne. A quand un Milan – Barcelone sur Eurosport 2, entre du bûcheronnage et des fléchettes ?

Au niveau des chaînes payantes, l’excellente Sky a conservé la faculté de diffuser tous les matchs, ce qui est une très bonne nouvelle : cela nous permettra de continuer à regarder les meilleures affiches ou le mode Konferenz et de ne plus avoir à subir les choix moisis et le pénible spectacle d’une soirée de Ligue des Champions sur la TSR (surtout si l’invité est Michel Pont). Sky n’a pas eu à beaucoup batailler pour conserver les droits de la C1, contrairement à ce qui s’est passé pour la renégociation des droits de la Bundesliga où Sky et Telekom se sont livrés une bataille à coup de milliards, finalement remportée à 2,5 milliards d’euros jusqu’en 2017 par la première nommée. Même les résumés de matchs du samedi soir et les vidéos sur Natel des buts de la Buli ont fait l’objet de plus de convoitises que les directs de la Champions League…

La Ligue des Champions, une fraude…

On pourrait expliquer ce désengagement par le fait que les clubs français ne font plus que de la figuration en Ligue des Champions et que les Allemands ne l’ont plus gagnée depuis 2001. Mais le phénomène est plus général. Un coup d’œil sur le site de l’UEFA  permet de constater qu’en Espagne, en Italie, en Belgique, dans les Balkans et ailleurs, même en Amérique du Sud ou en Asie, les diffuseurs historiques jettent l’éponge. En Grèce, le parquet vient tout récemment d’intenter des poursuites pénales contre deux dirigeants de la chaîne publique, dont le Massimo Lorenzi local. Leur crime (véridique) ? Avoir acheté les droits de la Ligue des Champions pour un montant supérieur à l’offre faite par les chaînes privées et jugé exorbitant (10,8 millions d’euros pour la période 2012-2015) dans un contexte d’austérité pour une compétition qui n’en valait pas la peine !

L’UEFA a pris conscience de l’érosion de l’intérêt pour sa compétition phare. Elle a tenté une première mesure de relance voici deux ans en déplaçant sa plus belle vitrine, la finale, du mercredi au samedi. Résultat : 20% d’audience perdue à travers l’Europe entre la finale de 2009 et celle de 2011. Pourtant, l’affiche était identique… Un retour de la finale au mercredi serait d’ailleurs à l’étude.

Dans les stades aussi

Il n’y a pas que les téléspectateurs qui désertent la Ligue des Champions : les spectateurs ont également de plus en plus de peine à suivre. On ne va pas trop se fier aux chiffres d’affluence mais plutôt à une impression générale car l’affluence moyenne peut considérablement varier en fonction des 32 clubs qualifiés et de la capacité de leur stade. Dans les phases de groupe, on voit énormément de sièges vides, notamment lorsque les grands clubs d’Europe reçoivent des adversaires plus modestes. Plus inquiétant, en huitièmes et même en quarts de finales, des stades ont été loin de faire le plein à Madrid, Milan, Barcelone ou Marseille. En fait, c’est surtout dans les clubs qui n’ont pas l’habitude d’être à pareille fête que l’on a ressenti un véritable engouement, à Nicosie, Naples ou Bâle (et encore, beaucoup moins qu’en 2002-2003).

Toute personne qui a déjà tenté d’acheter des billets dans un grand club anglais sait qu’il est beaucoup plus facile de se procurer un sésame pour une rencontre de Champions League que pour un match de Premier League, même si l’adversaire s’appelle Wigan ou Wolverhampton. Les adversaires européens capables de remplir les enceintes romaines ou milanaises de 80’000 places se comptent sur les doigts d’une main. En Allemagne, des stades qui affichent complets tous les week-ends en Bundesliga n’arrivent pas à faire le plein en C1, malgré une capacité réduite par l’interdiction des places debout. Le Vélodrome de Marseille n’a accueilli que 31’683 spectateurs pour le 1/4 de finale aller contre le Bayern Munich contre 40’445 pour la venue du prestigieux Dijon dans un match de championnat sans grand enjeu dix jours plus tôt. Et l’on pourrait multiplier les exemples à l’infini.

Le rejet des fans

De plus en plus souvent, dans un budget football limité, le fan de base va laisser tomber la Ligue des Champions pour privilégier le match à domicile ou même un déplacement le week-end suivant en championnat. Dans la Königsklasse, les abonnements ne sont pas toujours valables, les prix souvent majorés et les matchs ont lieu en semaine. Et aujourd’hui, force est de constater que, pour de nombreux supporters, les affiches de C1 jugées suffisamment attractives pour compenser ces désavantages sont de plus en plus rares.

Auprès des franges les plus radicales des supporters, la Pognon’$ League provoque même un rejet viscéral puisqu’elle incarne, davantage que toute autre compétition, toutes les tares du football moderne : interdiction de l’alcool et des places debout, prix élevés, ambiances aseptisées, affiches formatées, perte d’identité des clubs, enjeux plus financiers que sportifs… D’ailleurs, moi qui fréquente assez assidument les milieux footballistiques, je constate aussi un désintérêt croissant pour la compétition vedette de l’UEFA. Il y a quelques années, tu te retrouvais dans une buvette ou dans le vestiaire autour de la caisse de bières après un match de foot régional, tu parlais du dernier choc de Ligue des Champions, sur dix footeux, tu en avais huit qui avaient vu le match et ça partait pour des discussions enflammées. Aujourd’hui, même contexte, sauf que sur dix footeux, cinq n’auront pas vu le match, deux auront zappé en cours pour faire plaisir à Madame, un se sera endormi (je plaide coupable), seuls deux courageux auront vu la rencontre dans son intégralité et la discussion passe rapidement à autre chose. A ce niveau-là, reconnaissons des qualités de visionnaire à notre collègue Timothée Guillemin qui, en 2007 déjà, alors que la Ligue des Champions était encore au sommet de sa gloire, avait déjà annoncé son déclin.

Qui regarde encore la Ligue des Champions ?

En fait, j’ai l’impression que ceux qui restent les plus fidèles à la Ligue des Champions, ce sont ceux dont les soirées européennes du mardi et du mercredi constituent peu ou prou leur seul contact avec le football, ceux qui ne se rendent pas le week-end dans les stades ou au bord des terrains, ceux qui ne s’entraînent pas deux, trois ou quatre soirs par semaine, ceux qui ne sont pas assez passionnés pour avoir un abonnement Canal+ ou Teleclub qui permet de s’envoyer 53 matchs chaque fin de semaine. En revanche, aux deux extrémités de la chaîne, la Ligue des Champions fascine de moins en moins. D’un côté, le spectateur événementiel et occasionnel, celui qui permet aux audiences télés de prendre l’ascenseur, va trouver de moins en moins souvent d’événements en Ligue des Champions, qui justifieront qu’il daigne y consacrer sa soirée ; de l’autre, le fan de base, qui vit le foot jour après jour, va trouver de plus en plus d’échéances plus intéressantes que le grand raout du mardi et du mercredi soir et zapper la Ligue des Champions pour ses deux jours de sevrage footballistique de la semaine. Résultat, tant à la télévision que dans les stades, la C1 ne fait plus recette. 
A suivre…

Écrit par Julien Mouquin

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8 Commentaires

  1. Y a 20 ans en arrière, mon père, grand passionné de foot, disait déjà: « y a trop de foot à la télé maintenant ».

    J’étais môme, j’aimais le foot et donc, je comprenais pas trop pourquoi il disait cela.

    A posteriori, je ne peux que lui donner raison. Trop de foot tue le foot. C’est une évidence.

    La CL avec 4 clubs d’une même nation a tué la C2 (c’est un fait) et la C3 (qui oserait prétendre le contraire?). Et elle implose désormais.

    Une grande compèt’, pour qu’elle soit prestigieuse, doit être rare. Les JO tous les 4 ans, la Coupe du Monde tous les 4 ans; contre-exemple: le CM de hockey chaque année… Je ne vois guère que les GC en tennis – et éventuellement les GP pour ceux qui aiment ça – qui ont su rester prestigieux malgré leur non-rareté.

    Bref, il faut revenir à l’ancienne formule: il y a des championnats nationaux et c’est la base; les champions nationaux s’affrontent par élimination directe pour devenir champion d’Europe – c’est une forme de super bonus pour eux. Ainsi, on n’aura pas chaque année les mêmes clubs; du coup, quand notre club y participe, on a la sensation de vivre qqch d’unique, une grande aventure.

    Et puis, si vraiment le G20 ou je sais pas combien de clubs il y a maintenant dans cette histoire veulent un truc pour eux, qu’ils organisent tous les X ans un mondial ou un CE des clubs.

  2. Excellent article. Mais dernier paragraphe à supprimer, vite: juger le lecteur jusqu’à dénoncer son style de vie (j’exagère à peine), c’est une proscription importante dans le journalisme.

    Personnellement, je suis un fan/joueur/abonné-à-Canal/spectateur le week-end, et je ne rate pourtant pas un match de Ligue des Champions, passion oblige; je suis donc le contre-exemple parfait de ce dernier paragraphe, et je ne suis pas le seul.

    L’intérêt général se perd par contre, ça, c’est clair. Je me réjouis donc de la suite de la série!

  3. Du mal à comprendre l’article, surtout le dernier paragraphe, qui qualifie en gros les spectateurs de la CL de footix.

    J’avoue ne pas savoir d’où tu tires tes impressions, car en grand fan de foot, je me rend tous les week-end à la Pontaise (et pourtant dieu sait que le spectacle qui y a été proposé une partie de la saison aurait pu m’en dégouter) et ne raterai pour rien au monde une bonne affiche de Ligue des Champions. C’est d’ailleurs pareil dans mon entourage, le foot on l’aime à toutes les sauces.

    Alors c’est clair qu’elle a un côté plus « bling bling » puisqu’elle est plus médiatisée, mais je trouve qu’elle fait encore rêver, aussi dans les tribunes. Je vais peut-être tenter une explication tirée par les cheveux, mais la baisse d’affluence ces dernières années peut également s’expliquer par une baisse globale du pouvoir d’achat en Europe, et vu que les prix de ces places sont souvent exorbitant (sauf en Angleterre, p-e, où les stades font le plein), les fans choisissent en effet le championnat. Preuve en est cette saison à Naples, pourtant ville passionnée de foot, où le San Paolo n’a pas pu faire le plein pour la reception de Chelsea, car les places étaient beaucoup trop cher ! Mais au vu de la fête dans la rue après la victoire, ils auraient pu remplir 6 fois le stade si les fans avaient eu les moyens.

    Enfin quoiqu’il en soit, je constate toujours que les bars sont assez plein les soirs de CL, et les discussions dans les tribunes de la Pontaise avant le match tournaient souvent autour des matchs européens de la semaine.

    Moi en tout je me régale toujours des beaux matchs proposés (la double confrontation Naples-Cheslea, le très belle équipe de Benfica, la demi aller Bayern-Real, le stade bouillant de l’Apoel, les exploits du FC Bâle, etc.) et je ne constate pas dans ce que je vois un vrai désintérêt.

  4. Merci pour cet article pertinent.

    Un autre effet pervers de la CL, c’est la dégradation des coupes nationales à un rang secondaire. En effet, vu les enjeux financiers, une qualification pour la CL est plus importante que les la victoire de la coupe.

    Oui, trop de foot tue le foot. En fait Démocrite le savait déjà: Pour l’homme, la tranquillité de l’âme provient de la modération dans le plaisir et de la mesure dans le genre de vie.

  5. Je ne comprends pas pourquoi Chelsea a été, sur ce site, loué après avoir éliminé Barcelone et maintenant rejeté après avoir gagné la ligue des champions en jouant le même jeu.

    Ne serait-ce point parceque barcelone bouh ce n’est pas bien alors que Munich c’est le gentil club d’un des meilleurs chapionnat au monde ?

    Moi j’ai bien aimé cette finale et son vainquer m’a fait plaisir alors qu’au début je n’avait pas de favori.

  6. seul les matchs à élimination directe redonneront du tonus à cette compétition et de plus pourquoi payer, tout en streaming ou presque sur internet !! fini les abonnements arnaqueurs !!!

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