TSR sports, le feuilleton : 4. Piège de cristal

Bonjour à vous chers lecteurs de CartonRouge !

Les deux dernières semaines auraient pu s’avérer d’un ennui mortifère si le rédacteur en chef n’avait pas eu la bonne idée de partir ce vendredi en Thaïlande pour des vacances. Son successeur – non seulement à la tête du département mais aussi dans le cœur de Pascale qui vit mal le retrait de Lambiel – a profité de l’occasion pour faire connaissance avec la nouvelle équipe qu’il allait devoir diriger, sitôt qu’elle aura récupéré de la traditionnelle cuite de la St-Sylvestre.

Les chefs de rubrique, pour éviter tout débordement durant cet affaiblissement du pouvoir central avaient pris leurs responsabilités. Pierre-Alain patrouillait dans les couloirs avec Thierry Henry, son berger allemand muni d’une muselière d’un style très cuir ; Jean-François s’était entendu avec le speaker de la Pontaise pour lui emprunter son matériel sono et, grâce à ses annonces régulières, nous étions tenus au courant des mises à jour de nos tâches ; Laurent avait mis un gilet fluo et faisait la circulation près de l’ascenseur.Dans ces conditions, l’arrivée de l’irrésistible quadragénaire accompagné d’un service traiteur en a décontenancé plus d’un. Si nous étions censés lui obéir au doigt et à l’œil sous peu, il montrait cependant un certain toupet de se présenter ainsi dans une zone stratégique, armé d’autocuiseurs et de couverts luxueux.
Et nombreux étaient ceux qui se demandaient s’il avait fait son service militaire, comme on est en droit de l’attendre de tout bon cadre… Les mauvaises langues doutaient qu’un tel concentré de charme méridional eut pu supporter plus d’une demi-journée les fanfaronnades pétomanes de Singinois imbibés de schnaps ainsi que toutes les autres spécificités qui rendaient l’atmosphère de l’armée si virile, authentique et qui faisait d’elle une école de vie indiscutable capable de transformer un adolescent retardé dans son développement affectif en un adulte pour lequel il n’y a plus d’espoir.
Massimo nous expliqua qu’il voulait nous rendre une visite surprise car, depuis toujours, il appréciait la spontanéité du service des sports. Contrairement à ce que des rumeurs crasses laissaient penser, il n’avait pas été choisi pour apporter un réel changement, mais plutôt nous orienter vers des pistes qui devraient nous permettre de faire notre travail avec plus d’autosatisfaction ; que la population reconnaisse le dur labeur qui était le nôtre et toute la considération à laquelle nous avions droit.
Ce discours paraissait habile à certains, qui continuèrent à se méfier d’une démarche qui ferait penser à celle que l’on emploie pour capturer un jeune chaton et l’emmener loin de sa mère. Pour d’autres le ton compréhensif et juste de ce discours teinté d’idéologie « schelchtennienne » avait touché juste. Qu’étaient-ils d’autre que des personnes en recherche de reconnaissance ? Pourquoi seraient-ils pareillement prêts à tout, même à se mettre dans le champ de la caméra malgré une allure franchement négligée si ce n’était pour que nous, téléspectateurs, leur manifestions de l’admiration ?
Massimo, dont la candidature recalée pour présenter « Al Dente » était un secret de polichinelle dans la Tour, nous expliqua que, maintenant que nous étions tous assis à cette table, nous devions nous mettre à la place du cuisinier qui avait préparé ces mets. Depuis des ingrédients simples, sans valeur si l’on ne sait les associer entre eux, il avait réussi à créer un système cohérent d’émotion en jouant avec les différentes saveurs. C’était cette démarche associée à  l’originalité et au caractère de chacun qui allait donner toute la saveur et la valeur ajoutée au service des sports.
Cette belle mise en perspective, en avait convaincu certains, mais d’autres pour qui l’allégorie tenait plus du cri de soutien à un boxeur très poilu qu’à une figure de style commençaient à trouver le temps long. Laurent Bastardoz et Jean-Marc Rossier étaient parmi les moins convaincus par la tournure des événements. C’est pourquoi ils avaient décidé de passer le temps avec des amusements certes un peu primitifs mais dont le rapport avec le sport était moins douteux que ces théories à la mords-moi le nœud.
Comme en témoignaient peut-être leurs poignées d’amour, les deux compères avaient développé certaines habiletés pour envoyer avec la précision d’un sniper des échanges fournis de projectiles alimentaires. Il était de convention que les pièces d’artillerie ne devaient pas dépasser la taille d’une balle de ping-pong.
Mais plus le temps avançait et plus le discours s’enfonçait dans ce qu’ils n’auraient jamais voulu imager par une caverne, tant leur dégoût pour le métaphorique était proche par l’intensité de celui de Nabokov. Pour faire passer le temps, Laurent suggéra à Jean-Marc que l’on attache les soutiens-gorge de Marie-Laure et de Pascale à deux chaises pour réaliser une catapulte artisanale. Avec une telle arme, on pourrait loger un melon dans le plus grand orifice facial de l’orateur. Pascal, qui écoutait d’une oreille, ajouta qu’il fallait bien s’assurer que le projectile soit aux dimensions réglementaires. Selon lui, il fallait une pastèque pour un Genevois.
Cette dernière remarque provoqua l’hilarité des trois collègues.

«Oirk ! Oirk ! Oirk !»
La sonorité soudaine et grave de ces rires mâles attira l’attention de celui que certains, envoûtés par le charme, surnomment assez imaginativement le Barak Obama de la SSR.
Au contact des plus habiles argumentateurs tels que Christian Levrat – et encore beaucoup d’autres dont Christian Levrat – lors des débats d’ «Infrarouge», l’ancien défenseur central avait accumulé suffisamment d’expérience pour ne pas se laisser impressionner par des railleurs, rupestres bourgeois certainement acquis à la cause du Grand Capital.
Puisque les fauteurs de troubles n’étaient certainement pas en train d’énoncer un point de vue intéressant et qu’il s’agissait selon toute vraisemblance de grossièretés, il n’y avait aucune raison de les interrompre comme la déontologie des journalistes de la TSR le suggère lorsque quelqu’un énonce un point de vue construit et intéressant.
Il lui restait encore la possibilité de montrer de l’index, avec autorité. Cette façon,  ressurgie d’un temps où le concept de nom talonnait celui de roue et d’écriture sur la grande liste des choses à inventer avait fait ses preuves lorsqu’elle était pratiquée par sa collègue dont je ne peux malheureusement pas mentionner le nom ici car je suis déjà à un point avancé de l’épisode en plus d’avoir déjà fait pas mal de détours jusqu’à maintenant et étant donné que la phrase dans laquelle je me trouve est déjà très longue et passablement alambiquée.
Mais le Materazzi du tube cathodique – comme l’appellent ses plus proches connaissances footballistiques – savait qu’il pouvait compter sur son sens de la petite phrase pour régler le problème. Et puis d’ailleurs son ego avait été assez bien nourri avec toutes ces années de présentation du TJ pour qu’il ne soit pas nécessaire de laisser entrevoir quelques meurtrissures. C’est pourquoi il réussit avec la grâce et l’élégance princière d’un cueilleur d’abricot lusitanien à ne pas découdre le fil de son propos mais à mentionner dans celui-ci, sous forme de pirouette, qu’il avait déjà en tête les personnes qui tiendraient la future rubrique satirique du dimanche sport : Laurent et Jean-Marc.
Ils avaient carte blanche.
Pascal, dont vous connaissez la répartie, s’est retourné vers les deux joyeux drilles pour leur dire : «Carte blanche, c’est nettement mieux que CartonRouge !»
On voyait bien que cette nomination rendait un peu jaloux Pierre-Alain. Déjà qu’il n’avait pas été pressenti pour remplacer M. Jeannet, malgré ses états de service impeccables et l’avis unanime des téléspectateurs à son sujet. Il se serait bien vu cumuler les privilèges en échange de sa fidélité au poste. Mais si les qualités techniques du commentateur étaient reconnues loin à la ronde, son sens de l’humour basé essentiellement sur l’autodérision n’était visiblement pas reconnu à sa juste valeur. Cela ne l’empêcha pas, très fair-play, de souhaiter bonne chance à ses collègues.
Laurent et Jean-Marc étaient pris au piège. Il sera difficile pour eux de ne pas relever le défi posé par leur futur chef s’ils voulaient continuer à avoir du poids au sein de la rédaction. Et puisque faire du satirique est le cœur de métier de CartonRouge.ch et que la menace est évidente, je vais suivre cela de très près, promis…
Photo 1: Thierry Henry en 1998, © Gendarmerie nationale.
Photo 2 : Nabokov, plus adepte du style papillon que du métaphorique.
Photo 4 : Massimo après une réplique assassine, © TSR

Écrit par Jean-Boris Cochet-Lamouche

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3 Commentaires

  1. Excellent ! j’aime « le berger allemand muni d’une muselière d’un style très cuir » et « l’élégance princière d’un cueilleur d’abricot[s] lusitanien ». De vraies trouvailles! La suite promise est attendue…

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