Un mardi, Liverpool – Sunderland

Le picotement est bien là. Toujours là. Il ne m’a pas quitté depuis mon arrivée, depuis la descente de l’avion. La tête déjà ailleurs, dans un monde fantastique où les hurlements d’un ogre tapi dans sa grotte martèlent les oreilles, secouent le cerveau, poussent les globes oculaires vers la sortie. Une masse me frappe le poitrail. De l’intérieur. Elle ne faiblit pas. Pire encore, elle étale la plénitude de sa puissance au fil des heures, des minutes, des secondes. Le tout en accélérant. Le bonheur est parfois tellement douloureux.


When you walk through a storm
Hold your head up high,
And don’t be afraid of the dark.
Un taxi. Il pleut. Une pluie froide qui virevolte sous un vent tourbillonnant. Des vitres embuées, un chauffeur adepte du slalom et de l’accélération intempestive. Les routes ne sont pas bonnes. La ville défile sous mes yeux tel un tableau impressionniste. Je devine mais ne vois rien. Des rues agitées, des lumières et leurs traînées. Et cette eau qui chemine tranquillement sur le pare-brise.
At the end of a storm is a golden sky
And the sweet silver song of a lark.

Je suis arrivé. Je le sais car le taxi s’est arrêté et que j’imagine la foule rubiconde unie dans une marmelade informe en mouvement. Je descends. Le voilà, le Kop. Mon diaphragme grince à chacun de ses va-et-vient. Tout mon corps crie. Je pénètre dans le temple. Il a le charme froid d’une cathédrale protestante. Epuré, réduit à son plus simple appareil. Pas de fioriture. Il n’est que l’écrin. Le bijou adoré se trouve sur le rectangle vert. Et lui seul compte, pour cette armée magmatique écarlate prête à donner sa vie pour la juste cause.
Walk on through the wind,
Walk on through the rain,
Tho’ your dreams be tossed and blown.


Je ne me contrôle plus. Mes jambes me fuient, mes bras sont amorphes. Même au sec, ma vue est troublée par un flot humide et salé. Quelques respirations spasmodiques. J’essaie de reprendre mon souffle comme après une plongée en apnée. Impossible. Inutile. Le choeur repart de plus belle. Je vois Ian Rush et Kevin Keegan déclencher la furie de la foule. J’entends les chants à la gloire de Kenny Dalglish et Roger Hunt. Je vibre au tacle de Phil Neal et aux consignes de Bill Shankly. J’applaudis le solo de Steve McManaman servi par Graeme Souness et Ian Callaghan.
Walk on, walk on
With hope in your heart,

Je m’abandonne face à cet adversaire contre lequel je ne peux rien. Comment pourrais-je lutter ? La nuit a une totale emprise sur moi. La tension monte, le sang gonfle les artères à les faire céder. Le coeur ne sait plus son rythme. L’esprit est sous l’emprise de cette magie vaudoue et s’envole vers le ciel ébène. Le corps se noie déjà dans les eaux brunes de la Mersey.
And you’ll never walk alone,
You’ll never walk alone !

Dire que le match n’a pas encore commencé…

Écrit par Julien Pralong

Commentaires Facebook

18 Commentaires

  1. La première fois que je me suis rendu à Anfield m’a également fait cette même impression.

    J’étais aussi comme dans un rêve, incapable de chanter le you’ll never walk alone, que pourtant je connaissais par coeur… mais l’émotion avait pris le dessus.

    Tu verras par la suite, si tu as l’occasion de retourner au bord de la Mersey, que chacun des matches que tu verras à Anfield sont magiques!

    En tout cas merci beaucoup pour ce magnifique texte!

  2. tout bon en effet…
    je pensais que tu allais conclure par un:

    et patatra, c’est la que j’ai ouvert les yeux et que je me suis apercu que c’était Sunderland en face…

  3. Franchement, superbe.

    On attend maintenant la même chose avec l’hymne suivant:

    Avec leur maillot grenat, du football ils sont les rois, Allez Servette

    Ils n’ont qu’une seule passion c’est de shooter le ballon, Allez Servette

    Ils n’ont qu’une seule patrie oui c’est le Stade des Charmilles, Allez Servette

    Ils sont les rois du sport, les plus beaux les plus forts, Allez Servette

  4. Bravo pour ce bel article!!! Toute ma vie pour ce club et cet article me remet tout en mémoire avec tous les frissons que j’ai vécu!!! Merci beaucoup!!!!

  5. Merci, superbe article. En te lisant, je me remémore mes 1ère fois à Anfield. Un moment tous simplement magique, déjà en ville dans l’attente d’un bus ou d’un taxi…

  6. Extraordinaire cet article écrit le jour de mes 40 ans, le jour où je reçois un « week-end » à Liverpool. Un rêve qui va enfin se réaliser. J’en ai déjà les frissons.

    Quelle meilleure entrée en matière que ce magnifique texte pour mon futur baptême Anfieldien prévu dans deux semaines ?

    Merci frérot, c’est le plus beau des cadeaux !!

    Liverpool, liverpool, liverpool, liverpool, liverpool, liverpool …

  7. Oui bel article!! Tu aurais pu t’arrêter au Albert’s Pub tout de même 🙂

    Sympa ce petit voyage dans le passé avec l’évocation des joueurs….cependant le réveil et le retour à la réalité va être drolement brutal avec le 18ème (et donc égalisation) titre de votre pire ennemi…ehheheheheheh!!!

    Sportivement.

  8. Mon baptême d’Anfield date d’il y a déjà 2 ans et entre le superbe hymne à la fin de la démonstration des Reds, je tombe sur cet article et à chaque fois… les frissons !!

    Merci !!

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.