C’est la guerre, tabarnak !

«Engagez-vous, rengagez-vous, qu’ils disaient !» Oui, bien me voilà à nouveau devant l’éventualité critique de devoir rédiger un mauvais papier concernant le hockey suisse. Enfin, c’est ce que je croyais jusqu’à ce que l’outil situé sous ma calotte se mette en branle.

Car à bien y réfléchir, la mission que m’a confié l’infâme QTS * la semaine passée ne pouvait être qu’une punition, au mieux un encouragement à continuer à descendre vos hockeyeurs en flamme. Je sens poindre l’ineffable question qui mettrait un terme à ce suspense maudit que mes doigts ont vaillamment créé. Bien. On m’a assigné à aller voir un match à Rapperswil et à en commenter la substantifique moelle.
Après avoir révélé le fond de ma pensée à l’infâme QTS (Davos-Lugano, Berne-Zoug, Zurich-Fribourg ou même Kloten-Genève me semblait plus excitant) (enfin, peut-être pas le dernier cité), me voilà donc dans mon char, direction «Rappi», pour assister à l’immense affiche que représente Rapperswil versus Ambri-Piotta. Après un très long voyage, me voilà parqué à quelques encablures de la Diners-Club Arena, toujours en train de faire la baboune. Un voyage dans la Suisse Primitive a souvent cet effet sur mes humeurs et il se multiplie lorsque je sais que je vais assister à un grand moment de sport. Par ailleurs, ultime brimade, l’infâme QTS n’avait pas jugé utile de munir son employé bénévole du sésame indispensable que s’arrachaient les fans de Suisse entière : le billet d’entrée pour cette affiche inégalable.
Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, je décidais d’essayer de m’amuser la moindre et entreprit d’acheter un billet visiteur, au milieu des supporters du club suisse italien.

Quelle erreur !

Positionné en ligne pour pénétrer dans la patinoire, les briquets commençaient à pleuvoir sur nos têtes et une bonne centaine d’individus s’exprimant dans un langage agressif (sorte de mélange abrasif de dialogues de la «Guerre du Feu», d’interviews de Brigitte Fontaine et de discours de Mahmoud Ahmadinejad) cherchaient à encercler la centaine de visiteurs dont je faisais malheureusement partie. Je contrôlais relativement bien mes nerfs jusqu’à ce que les briquets fussent jugés ineffectifs et immédiatement remplacés par des bières bien fraîches. C’est le moment que je choisis pour capoter et m’exprimer, à mon grand désarroi, en français. Trois fans d’Ambri me saisirent par le collet en baragouinant quelque chose ressemblant, à mes oreilles impies, à  «werrrchü kkkrrrome uuf grenf ?». Première surprise de la soirée ; on parle un italien très germanisé, du côté d’Ambri-Piotta. Je suis tout pour les rapprochements des peuples mais l’union de Germains et de Latins me fait toujours craindre une résurgence des forces de Laax, voyez-vous. C’est peut-être dû à la présence proche du Canton des Grisons. Peut-être pas. Peu importe, reste que j’avais bien capté le mot «grenf» et qu’après m’être justifié vigoureusement et avoir rassuré mes amis du moment, ils entendirent mon accent québécois et parurent soulagés, m’expliquant être heureux de n’avoir pas un Genevois parmi leurs rangs. Après avoir sympathisé quelque peu et être enfin entré à l’abri des voyous saint-gallois, j’appris que mon ami d’Ambri était en fait un ami de Zoug, qui préférait nettement suivre cette équipe à celle de sa ville.
«Tzoug, ils zont fraiment nüüüüls, tu fois ? Moi, che aime le Ambri plus que toute.» Loin de moi l’idée de le contredire (règle de survie : éviter de fâcher un type de 7 pieds de haut, large comme un frigidaire et imbibé des cuticules jusqu’au rectum), je dirigeais toutefois la conversation vers un sujet qui m’inquiétait sérieusement à ce moment-là.
«Ah, ok. Moi c’est la première fois que je viens ici. C’est toujours comme ça avec les fans de Rapperswil ?»
«Noooon, là, c’était kalm encore. Le dernier fois c’était des Stein ils lançaient sur mon kopf.»
«Hein  »
«Des Stein, des rochers, c’est ça en français ? Regarte, j’ai la mark sur le kopf.»
Il pointa son doigt boudiné et jauni par le goudron et la nicotine vers une cicatrice couvrant la largeur de son front. Je vous rassure, ce dernier n’était ni très large, ni très haut, plutôt néanderthalien ; bas, les yeux bien enfoncés dans le crâne. Ceux qui ont lu «Astérix aux Jeux Olympiques» peuvent imaginer ce gaillard en se souvenant simplement des deux frères jumeaux férus de lutte gréco-romaine.
«C’était ici ? Et tu continues à venir ?»
«Vouaie, c’est pour ça che viens ici seulement ! Ce soir, che vais tuer un rappi fan ! Huh uhu uhu.»
«Ok, euh… Excuse-moi, je dois aller aux toilettes.»
Fuite peu élégante, je vous l’accorde, mais on ne peut plus efficace.
Quelques minutes plus tard, je me rendis à l’emplacement désigné pour les supporters du club visiteur en prenant bien garde de me poster à l’arrière de la meute afin d’éviter de retrouver mon nouvel ami. Constatation amère ; il pleut aussi du houblon à l’intérieur de la patinoire, à un rythme relativement soutenu. .J’ai calculé la somme de précipitations à cinq décilitres par minute malgré un ciel plutôt clément et des embellies sous les plateaux, statistique à prendre avec des pincettes puisque j’étais par moments affairé à regarder une vague parodie d’un match de hockey. Bien évidemment, j’ai de la peine à raconter la partie tellement celle-ci fut reléguée au second plan par les évitements et autres parades nécessaires à garantir mon petit confort personnel. En quelques mots, voici à quoi s’est résumée cette manche de play-out ; évitement de verres de bière pleins pendant le premier tiers, de bananes et autres fruits et légumes pendant le deuxième (fruits et légumes qui ne sont ni indigènes, ni de saison ! Ces voyous ne respectent ni l’agriculteur suisse, ni l’omniprésent souci du bio. Bon sang, soutenez l’économie de votre pays et la santé de vos concitoyens en catapultant au moins des produits suisses et bio !), et des piles, briquets et autres téléphones portables** pendant le troisième tiers.
Sitôt la sirène finale entendue, je me réjouissais de courir à mon char et de rentrer dans ma maison de rondins pour prendre un bon bain de sirop d’érable afin de laver les divers affronts que mon corps d’éphèbe avait subi durant cette partie quand mon collet fut saisi par une pogne d’ours qui m’attira de toutes ses forces contre le visage de son propriétaire et son haleine d’orignal vérolé. A mon grand effroi, je reconnus mon nouvel ami d’Ambri Tzougois.
«Héï, c’est moi, c’est Urs ! Viens, maintenant on fa taper les Rappi ! On fa rigoler !»
Urs. Quel joli nom emprunt de toute la sensibilité de l’homme qui le portait, en la circonstance. «Heu… C’est que j’ai beaucoup de kilomètres à faire, faut que je me dépêche de rentrer» essayais-je de protester mollement.
«Après, tu seras plus rilaxe, weisch ? Allez ils sont là.»
Après m’avoir fortement lancé dans sa direction, il desserra son étreinte et je pouvais enfin respirer l’air embaumé de gaz d’échappements en lieu et place des effluves liés à l’haleine d’Urs, que j’ai décrite plus haut comme émanant d’un orignal vérolé. Réflexion faite, greffez des pieds à un hareng, faites le courir un marathon dans des bottes de caoutchouc, avec un nez de clown***, et vous obtenez l’odeur à laquelle j’ai été soumis au moyen de la bouche de mon nouvel ami ; les pieds de hareng. 
Deuxième surprise de la soirée ; notre cerveau a l’incroyable capacité de ne pas nous laisser oublier les odeurs nauséabondes malgré l’impact d’une grosse pierre sur notre crâne moyennement velu.
Voilà toute l’étendue de mon combat contre les fans de Rappi, que l’Urs espérait probablement plus conquérant. Me restaient uniquement les capacités de sentir ce chaud filet de sang couler dans mes narines, ma bouche, et de regarder le combat se mener, impuissant, allongé sur le parking de la Diners Club Arena, comme dans un nuage d’éther, le corps incontrôlable mais l’esprit vif. Contre ma volonté, j’étais entré dans une tempête de mârde avec la bouche grande ouverte.
J’eus donc tout loisir d’observer la bagarre depuis mon emplacement privilégié et ce que je vis me glaça d’effroi (à moins que ce ne fût simplement la température). Urs prit son élan et se lança jambes en l’air et en avant sur le premier groupe de Saint-Gallois, celui qui lançait des cailloux, suivi par plusieurs de ses congénères. S’ensuivit une échauffourée durant laquelle Urs permit à plusieurs de ses adversaires de se rappeler la couleur de leur propre sang ainsi que le bruit sinistre que l’on entend intérieurement lorsque son propre nez est brisé en plusieurs morceaux. Puis la police décida enfin d’agir et je me retrouvais non seulement assommé et saignant sur la chaussée, mais de surcroît pleurant grâce aux gaz lacrymogènes qui se répandaient rapidement alentour. Comme cela n’interrompit aucunement les con-battants, une méthode plus musclée fut employée par les forces de l’ordre et les balles de caoutchouc commençaient à pleuvoir sur tout ce beau monde amateur de sport et de fair-play. Urs tomba au sol et semblait se tordre de douleur tandis que d’autres l’imitaient ou partaient à grandes enjambées, suivant le fameux adage Perroniste qui veut que pour sauvegarder sa tête, il faut parfois prendre ses jambes à son cou, mais sans serrer trop fort. Dans la confusion qui s’ensuivit, un pied vint se poser sur ma nuque et m’aplatit le visage contre l’asphalte glacé et humide de mon sang refroidi.  Je vis du coin de l’œil qu’il s’agissait d’un policier et me demandais furtivement si je devais me sentir rassuré ou non. Après quelques minutes dans cette position quelque peu inconfortable, on m’installa dans une ambulance, suivi d’une salle d’hôpital, puis un poste de police dans lequel on m’établit une amende pour troubles sur la voie publique, pour finalement me renvoyer illico-presto à mon véhicule en me demandant gentiment de partir et de ne plus jamais revenir dans cette prestigieuse Cité. Soit.
Rapperswil a battu Ambri-Piotta par deux buts à un.
Frank LeDoublon
* QTS ? Qui Tu Sais, c’est le démon personnifié, le rédac’ chef  de CartonRouge.ch.
**
J’ai trois iPhone, deux Samsung et un HTC à revendre, me contacter au travers de la rédaction du site.
*** accessoire dispensable, je vous l’accorde, mais l’image est plus agréable.
Photos Pascal Muller, copyright www.mediasports.ch

Écrit par Frank LeDoublon

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14 Commentaires

  1. Je ne sais pas si cela est vrai, ou si c’est un condensé de ce qu’il se passe durant le championnat pour les fans se déplaçant à Rappi….

    Mais quoiqu’il en soit, cette équipe et ses sinistres supporters mériteraient quelques sanctions.

    Installons des caméras filmant les supporters, et sanctionnons ces personnes avec des interdictions de patinoires, des peines de prison avec sursis, ou des peines fermes! Le problème se règlera assez rapidement….

    Et pendant que nous y sommes, on peut y inclure les quelques supporters de Lugano qui ont brisés un plexiglass à Davos. En faisant un package avec ceux qui sont descendus sur la glace….

    Il n’y a plus de raison pour les laisser agir car ce n’est pas la première fois que ces personnes agissent, ni la dernière.

    Petite mention pour le gardien genevois qui s’était pris des pièces durant une bonne partie du match à Lugano sans que personne n’agisse, ni pendant, ni après…

    La mauvaise nouvelle dans cette histoire est que les Zurich Lions n’affronteront pas Lugano cette saison…. Cela aurait permis à cette partie des supporters des deux équipes de s’éliminer une fois pour toute à coup de bar de fer… C’eut été un bien pour le hockey suisse…

  2. J adore…. Quels sympatique lurons ces St-Gallois… Ils ne changerons jamais ! Très très bon article et le coup du: » s’exprimant dans un langage agressif (sorte de mélange abrasif de dialogues de la «Guerre du Feu», d’interviews de Brigitte Fontaine et de discours de Mahmoud Ahmadinejad)  » !!! SUPERBE !!!

  3. Quel superbe article! Je serais curieux de savoir si tout cela t’est vraiment arrivé… En tout cas je me suis marré du haut en bas! Félicitations! 😉

  4. Même si c’est inventé de toutes pièces, me suis bien fendu la gueule ! C’est ce genre de délire qu’on aime lire ici…

  5. Super drôle, bonne plume pleine d’humour à la graisse d’Urus, bravo !
    Bien rigolé.

    Olive

    PS: Comme j’habite ZH, j’y suis allé à Rapperswil et c’est effectivement souvent la castagne entre fan-atiks. Domage que le hockey suive le football. C’est moche.

  6. EXCELLENT !
    … on m’a souvent demandé de décrire le suisse allemand – je parle de la langue – la définition (sorte de mélange abrasif de dialogues de la «Guerre du Feu», d’interviews de Brigitte Fontaine et de discours de Mahmoud Ahmadinejad) est à intégrer dans tous les dictionnaires.
    J’en veux encore des articles comme ça.

  7. Juste magnifique l’article. Mais j’aimerais savoir si cela est un délire de l’auteur ou bien cela lui est vraiment arrivé. Dans le second cas cela est vraiment grave. En tout cas je me suis bien marrer !

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