Totem et Tabous

Ainsi les Jeux Olympiques de Vancouver sont déclarés ouverts. S’il n’y avait pas à attendre qu’une ville portuaire nous livre un spectacle qui évoque par les senteurs le sapin, le feu de bois et la neige, on aura pu assister à une cérémonie dont le mot d’ordre fut probablement le respect.

Lors d’une cérémonie d’ouverture se déroulant pour la première fois à l’intérieur, les festivités de la nuit dernière resteront probablement dans l’histoire comme la première des Jeux d’hiver de la modernité : sans neige et sans en espérer. En effet, plutôt de devoir compter sur la capricieuse précipitation qui peut bien trop facilement se décliner en pluie de tous les calibres, les organisateurs auront misé sur des valeurs sûres. Chaque spectateur aura été habilement transformé en un élément du décor en revêtant un habit blanc reflétant les couleurs des projecteurs et en acteur, grâce à un tambour, malin vecteur ludique de profanation de la tradition chamanique.Façon plutôt habile d’introduire les populations autochtones comme les véritables hôtes de ces Jeux pour les athlètes et les futures compétitions. Un psychanalyste, même s’il n’est pas chantre de la suprématie du christianisme et politicien peu raisonnable à ses heures, n’aura pas pu passer à côté de ces totems fièrement dressés et tendant vers une sorte de vulve suspendue qui s’avérera plus tard être une aurore boréale. Belle initiative de la part des organisateurs de mettre une dimension érotique à la cérémonie. Aux petites heures de la nuit, RTL9 est effectivement un concurrent sérieux du point de vue de l’audimat.
Dans ce grand exercice d’exposition de l’identité canadienne dans toute sa diversité, sa tolérance, son multiculturalisme et sa société civile aux ramifications internationales (presque pas insisté), il n’était pas compliqué de voir quelques traces de révisionnisme. Ainsi, si l’on en croit la symbolique, les Amérindiens se seraient faits plus rares et plus discrets sur leur territoire car ils auraient exposé leurs oreilles aux voix conjuguées de Bryan Adams et Nelly Furtado. Il est clair que quelques lampées de cette dangereuse potion ont de quoi rendre gravement malade plus d’un mélomane, mais il faut bien constater qu’il est difficile de parler du destin des Amérindiens avec vérité sans tomber dans le devoir de mémoire et ces autres choses pas très agréables.


C’est ça, foutez-vous le feu…

 

La tentative de valorisation de cette culture comme une immense ressource trahit encore l’hypocrisie qui règne au Canada. C’est sûr que l’on accepte bien volontiers ces populations tant qu’elles se sont converties à la modernité et qu’elles voient leur culture comme une tradition. Mais lorsque cette règle tacite est outrepassée, ces gens ont la même aura que le Gitan ou le Juif de temps bien obscurs de l’un de nos voisins nordiques. De toute manière, on aura bien veillé à transformer suffisamment leur mode de vie pour les éloigner de ce qui anime leur manière d’être : la nature.

 

Cette même nature qui sera vénérée après coup dans la cérémonie par le biais du tout synthétique. On aura pu observer des baleines en bien meilleure forme que celles qui crèvent du cancer, criblées par les métaux lourds dans le St-Laurent. On aura pu voir une forêt, source de vie, dont les arbres si hauts, se présentent comme séculaires et ne semblent pas tronçonnés dès que possible pour se retrouver dans votre boîte aux lettres sous forme de publicité. Ce qui est dur, c’est que ces hypocrisies sont satisfaisantes pour tous. Car le Canada, en plus de sa ferveur populaire pour le hockey, de son esprit moderne d’ouverture et d’accueil, de ses grands humoristes et de ses paysages sublimes serait un véritable pays de cocagne sans ces quelques travers. Et les organisateurs auront payé assez cher pour avoir le droit de s’acheter un droit de bonne conscience pour deux semaines. D’autant plus que c’était pour une fois assez beau, bien orchestré et les chorégraphies n’auront pas eu à souffrir d’une sortie de piste, directement du moins.

 

Le décor est ainsi posé pour les athlètes. Leur cortège aura permis à l’observateur averti de passer en revue les différentes délégations tout en se délectant des quelques curiosités telles le Léopard des neiges et les Coréens du Nord agrippés à leur badge all access. Et n’oublions pas les valeurs sûres : le mauvais goût balte, l’efficacité allemande qui se fait toujours au détriment de quelque chose et le couronnement du training comme tenue de cérémonie.


Que c’est beau ces cimes enneigées…

Tout en prenant connaissance du message toujours aussi universaliste et sain des garants du Panthéon et en attendant le bouquet final, on aura pu connaître l’immense surprise de voir Gretzky s’être déplacé par des moyens fort efficaces de Denver où il coachait ses (bip bip) Coyotes à Vancouver pour venir allumer la flamme. Il a arrêté Fignon ?

 

Enfin, nous nous devons d’adresser une pensée aux absents. Le lugeur tragiquement décédé des suites d’une terrible chute à l’entraînement pour qui une minute de silence a été respectée. Et comment ne pas adresser une pensée à Robert Pickton, retenu contre sa volonté et qui aurait pu apporter énormément au half-pipe féminin s’il avait pu officier à titre de membre du jury.

 

Les Jeux déclarés ouverts, les totems déjà à l’intérieur, il ne reste plus qu’à nos compatriotes à se livrer à notre sport national : ramasser le plus de médailles avant de rentrer en vitesse au pays. Faites vos jeux…

 

NDLR : chez CartonRouge.ch, vu qu’on est bénévoles, ça ne coûte rien de faire le boulot à presque double. Tu l’aurais peut-être remarqué…

Écrit par Jean-Boris Cochet-Lamouche

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