Le retour de la Louve

Le suspense pour le titre en Serie A, ces dernières saisons, confinait à l’inexistant. Aussi prévisiblement dominée par l’Inter que le sprint mondial est écrasé par un extraterrestre jamaïcain, aussi passionnante qu’une rediff’ de Joséphine Ange Gardien, aussi palpitante qu’une partie de Scrabble entre neurasthéniques, la Serie A était un vrai miracle soporifique, à croire qu’elle sortait tout droit d’un labo pharma bâlois. Mais cette saison, foin de tout ça ! Le mérite en revient autant à une Inter totalement obsédée par la C1, à juste titre peut-être (même si la montagne barcelonaise paraît difficile à gravir), qu’à une équipe qui fait un retour aussi fulgurant qu’inattendu : l’AS Roma.

Improbable, impensable voire même impossible après dix journées (les «Giallorossi» avaient déjà perdu 5 fois à ce moment-là), la Roma a bel et bien viré en tête du classement de Serie A le week-end dernier, après une courte victoire 2-1 sur l’Atalanta. La clique de Totti profitait du demi faux-pas de l’Inter à Florence (2-2) et du vrai faux-pas du Milan à domicile face à Catane (2-2) pour porter son butin à 68 points et prendre une unité d’avance sur les gars de Mourinho et 4 sur ceux de Leonardo. Du plus bel effet, à 5 journées de la fin, sachant qu’il n’y aura plus de confrontations directes entre les trois ténors. De quoi contribuer à crisper encore plus les mâchoires d’un Mourinho toujours plus en rupture avec les médias et le football transalpin, et à carrément mettre en danger la prochaine tronche du sieur Berlusconi – il est en effet déconseillé de trop tirer la gueule juste après un lifting, sous peine de se faire sauter les jointures…Pour les nantis lombards, la pilule doit être dure à avaler. Se faire doubler par un club africain à budget et vestiaire limités (par rapport à eux, s’entend), ce n’est pas vraiment reluisant – rappelons ici que pour les Nordistes italiens, l’Afrique commence au sud de Bologne. Mais la prise de pouvoir de la Roma doit forcer l’admiration, également. C’est sûr, l’Inter a faibli en championnat en pensant surtout à la Ligue des Champions, mais expliquer le retour romain par ce seul argument serait aussi honnête que de voir Marc Rosset affirmer à un gendarme que non non, il n’a rien picolé ce soir.

Car l’AS Roma vient d’aligner 23 matches sans défaite – série en cours, donc. Et surtout, avec l’apport du coach né à Rome, Claudio Ranieri (est-il utile de rappeler ici que c’est lui qui a posé les bases de l’actuel Chelsea, avant de se faire jeter comme un malpropre ?), les «Romanisti» se sont acheté une réelle assise défensive. Le jeu romain est moins flamboyant et intuitif qu’auparavant, mais a clairement gagné en cervelle et en efficacité. Et surtout, il semble bien que les «Giallorossi» aient trouvé le moyen de sortir de leur Totti-dépendance passée. Attention, en aucun cas le Dieu vivant de Rome n’est fini, il a toujours le talon facile et des yeux derrière la tête – dimanche encore, il inventait un assist superbe pour le 2-0 de Cassetti, montrant sa finesse technique et la qualité de son coup d’oeil. Il en est tout de même à 10 buts cette saison, cela même alors qu’il ne joue plus comme la saison dernière en pointe, mais plutôt à son poste naturel, en soutien de l’attaque.
Car voici une autre explication du renouveau romain : cette équipe a désormais de vrais buteurs, qui permettent à Totti de mieux s’exprimer et gérer ses efforts. Mirko Vucinic semble avoir décidé de ne plus se blesser, et du coup, il cartonne. Et en plus, en grand attaquant en forme, il a la baraka (voir son ouverture du score dimanche). Cerise sur le gâteau : l’arrivée de Luca Toni au mercato hivernal – l’avant-centre de poids et d’expérience qui manquait à cette équipe dotée souvent de gabarits de fillettes (Menez par exemple est tout sauf un monstre physique)… Cinq buts pour l’ancien Munichois, qui semble ressusciter et qui joue avec un plaisir retrouvé.
Autre point fort de cette Roma new-look : le déboulonnage en défense de Philippe Mexès, qui a introduit une saine émulation avec un autre ressuscité, le champion du monde brésilien de 2002, Juan, et avec une affirmation inattendue, l’Argentin Burdisso (l’Inter doit se demander s’il s’agit bien du même joueur qui végétait chez eux en fond de banc, à couper les citrons).
Mais il est impossible ici de passer sous silence une autre affirmation, quoique moins inattendue : Daniele De Rossi a pris une dimension supplémentaire. Le gamin teigneux de Rome n’est plus un gamin. Il gueule toujours comme un dératé, court 30 kilomètres à chaque match, se crache dans les mains, aboie sur l’arbitre, tacle dans les genoux, se relève et fait des scandales en prenant des cartons, la face aussi rouge que son maillot. Il récupère un nombre incalculable de ballons, sait les rendre propres, sait peser sur l’adversaire au milieu, lui induire la terreur – quand tu joues 90 minutes avec un souffle chaud chargé de sang sur la nuque, et que tu finis le match épuisé et avec des bleus partout, tu as peur, point. Même le Gattuso de la grande époque aurait été terrorisé par ce De Rossi-là. Un vrai leader, une vraie idole pour les tifosi romains, un vrai moteur pour l’équipe : quand tu joues à côté d’un malade de ce genre, tu as intérêt à te défoncer et à tout donner à 200%, sinon il te tacle dans la jugulaire. Un bon capitaine qui donne l’exemple, quoi.

Autre point d’explication du renouveau romain, mais dans un autre registre, même s’il s’agit là aussi d’une affirmation : le rendement de Pizarro dans l’entrejeu. Le nain ne paie pas de mine – petit, pas puissant, pas très rapide. Mais ce type sait caresser le ballon et orienter le jeu comme personne, il a de l’or dans les pieds et du plomb dans la cervelle. Comme il semble vraiment en bonne forme (un régime, sûrement) et évite pour une fois les blessures, il montre à quel point il est régulier comme une horloge suisse. A ce propos, la Nati ferait bien de se méfier de son Chili – je vois déjà Inler lui courir après tout le match en juin et prendre deux jaunes, et franchement je la sens mal pour la Suisse – mais c’est une autre histoire…
Si on ajoute à tout ceci l’émergence carrément inattendue du gardien brésilien Julio Sergio, 3e pandore en début de saison mais devenu titulaire indiscutable, le retour au premier plan de Cassetti (indécrottable et dévoué), Taddei, Brighi (décisif à plus d’une reprise) et Riise (il ressemble vraiment à celui de 2005 sous le maillot de Liverpool, et marque des buts importants en fin de match), mais encore les progrès de Menez (encore trop inconstant toutefois) et du latéral Marco Motta (encore un gars formé au club), on se dit que la Roma aurait bien les moyens de blouser les Milanais et de remporter un Scudetto aussi inattendu que jubilatoire pour les fans romains – d’autant plus que si cela se concrétise, cela voudra sans doute dire que la troupe de Ranieri aura remporté le derby du Latium à venir ce week-end, possiblement décisif pour le titre quand on pense que dans le même temps se jouera le «Derby d’Italia» entre l’Inter et la Vieille Dame. De quoi provoquer quelques raideurs durables à l’entrejambe pour le peuple romaniste, qui après 10 journées, ne s’attendait pas à être à pareille fête…
Moi, perso, malgré leur effectif limité mais à cause de leur beau collectif et de la dynamique positive dans laquelle ils se trouvent, je mets une piécette (voire une liasse) sur les Romains… Et toi, ami lecteur ?

Écrit par Gian del Mulo

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9 Commentaires

  1. Article sympa et pourtant je suis tout sauf un fan du Calcio… le passage sur De Rossi m’a tout simplement mis de bonne humeur pour la journée !
    🙂

  2. La Roma mérite dix fois plus le titre que l’Inter juste pour récompenser des types comme Totti et De Rossi. C’est des mecs qui ont des couilles et qui savent respecter le club qui les a formé !

  3. Très bon article, marrant, qui met effectivement du soleil sur Cartonrouge qui avait tendance ces derniers temps à plus virer dans la provoc facile à 2 balles que dans ce genre d’article

  4. Oui, je crois bien qu’il a commencé à l’atalanta.
    Bravo pour l’article, très bon.
    A faire plus souvent, je trouve qu’il manque un peu d’articles sur le calcio sur ce site.

  5. très juste Francky et Sami41 – Motta a bel et bien été formé à l’Atalanta (même s’il ne l’a rejoint « qu’à » l’âge de 15 ans).
    Mea culpa… ça m’apprendra à écrire d’une traite 😉 merci.

  6. Ouais très sudiste comme exposé
    On dit terron et polenton
    Rome club de pauvres ?, va surement faire
    faillite s’il ne fait rien cette année, mais le propio n’est pas vraiment un crève la fin,
    juste le président de italpetroli, quand au championnat, il n’est pas fini, Totti va surement nous faire sa Primadonna avant la fin

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