I voi rien et y vaut rien

Deux semaines de vacances en Côte d’Ivoire m’ont permis de constater à quel point ce pays – comme la majorité du continent africain – est mordu de football. Et lorsque ce pays possède en son sein, sève nourricière de petits Drogba, des talents à l’état brut, que peut-on rêver de mieux ? Rêver d’avoir une équipe peut-être…

Pays africain porteur des plus grands espoirs, les Eléphants ont déçu avec l’étiquette d’outsiders lors de la Coupe du Monde en Allemagne, et ont désillusionné tout un peuple avec le statut d’ultra-favori lors de la dernière Coupe d’Afrique des Nations. Depuis ce cinglant échec, plus personne ne miserait un franc CFA sur ces diamants bruts. Désormais pas favoris, ni même outsiders, la bande à Didier a déjà pris la bonne habitude de crever au poteau dans un groupe de la mort.  Pourquoi l’histoire s’écrira-t-elle différemment cette fois ?1) Pourquoi ai-je choisi de présenter ce pays ?
J’ai rapidement mis mon dévolu sur la Côte d’Ivoire pour plusieurs raisons, plus ou moins farfelues. Je ne voue pas, au contraire de Philippe Verdan pour ses Helléniques, un amour herculéen pour la science tactique des Eléphants roses, mais je le consacre – cet amour – à une Suissesse actuellement expatriée à Abidjan.
Il y a évidemment d’autres raisons à ce choix. Depuis mon court séjour là-bas, à chaque fois que je pratique du sport, j’arbore fièrement mon nouveau maillot orange avec un éléphant vert possédant une énorme trompe et un jaguar puma blanc. Je l’ai acheté dans un grand supermarché, propriété des Libanais, où seuls les Toubabou* dépensent leur argent. Une aide à ma manière pour le développement de l’Afrique…  La dernière logique de ce choix est que j’aime le personnage culte de Cubitus et qu’il est, à quelques jours du coup d’envoi, la vedette de tous les journaux ivoiriens et le sujet de conversation de tout un peuple.
* Les Blancs en dioula
2) A quoi sert ce pays ?
Ce pays a servi de lieu de tournage au mythique et inoubliable Les Bronzés à la plage, comédie qui a marqué notre jeunesse, tournée dans le Club Med d’Assinie, endroit à la mode dans les années 80 et désormais à l’abandon. Miroir édifiant de ce pays africain, naguère symbole de réussite et d’intégration, aujourd’hui en crise identitaire, politique et économique.  

Footballistiquement parlant, la Côte d’Ivoire produit et fournit le plus grand nombre de talents africains sur la scène internationale. Les meilleurs passent, tirent, marquent et plongent dans les championnats européens les plus prestigieux. Didier Drogba et Salomon Kalou à Chelsea, Didier Zokora au FC Séville, Yaya Touré au FC Barcelone,  Emmanuel Eboué à Arsenal et Kolo Touré à Manchester City sont les joueurs connus qui font la fierté du peuple ivoirien.
3) Comment se sont-ils qualifiés et surtout pourquoi ?
Ils se sont qualifiés haut la main sans connaître la moindre défaite ! Clair que dans une poule européenne, cette phrase pourrait en impressionner plus d’un. Mais quand vos adversaires ne sont autres que le terrible Malawi, la dangereuse Guinée – au propre comme au figuré – ou le redoutable voisin burkinabé, cela en jette un poil moins.
4) Pourquoi vont-ils gagner la Coupe du Monde ?
Parce que Didier Drogba alias Cubitus et «Coach Vahid». Voilà les deux raisons qui les amèneront à être champions du monde le soir du 11 juillet. La blessure de LA star de l’équipe est la meilleure nouvelle, après le licenciement de Vahid le tueur en série, pour les Eléphants.  Les chances de passer le premier tour sont désormais proportionnelles à l’égo surdimensionné de son joueur vedette. Rien de mieux pour souder des individualités talentueuses désormais à disposition, non pas d’un joueur, mais d’un collectif.
5) Pourquoi vont-ils se faire éliminer au premier tour ?
Car face aux habiles plongeuses portugaises, aux hermaphrodites danseuses brésiliennes et aux bombes nucléaires nord-coréennes, aucun gri-gri, fétiches ou jeunes sorciers ne pourront  les détourner de leur destin dans un groupe où la mort vous va si bien.
Alors, la vie quotidienne reviendra à la vitesse d’un boomerang argentin avec ses bonnes vielles habitudes : les Ivoiriens pures souches (de grands-parents ivoiriens) et Robert pourront blâmer Les Catapilas, ces ingrats à cause de cette élimination prématurée, et le président Gagbo devra s’employer pour trouver un autre subterfuge, lui qui misait tout sur une victoire en Coupe du Monde pour à nouveau repousser les élections ou mieux, les truquer.

6) Qui sont les joueurs à surveiller ?
Tous. Ils sont tous dangereux, surtout les défenseurs et le gardien mais pour d’autres raisons. Pour les arbitres, la blessure de Cubitus doit être un immense soulagement, ils auront le maître de la catégorie «plongeon de tous types dans la surface de réparation» en moins à surveiller, ce qui n’est pas négligeable. Reste plus qu’à jeter un œil sur ses émules, légions au sein de l’attaque ivoirienne. 
7) Qui sont les joueurs à ne pas surveiller, mais dont on peut éventuellement se moquer ?
Aucun. A la place de Sven-Göran Eriksson, je les surveillerai tous 24h sur 24 en mettant la priorité sur la surveillance des boîtes de nuit et table-dance de Port Elizabeth et Johannesburg. Sans oublier la ville de Nelspruit, où ils risquent de fêter la victoire face à la Corée du Nord comme s’ils avaient gagné la Coupe du Monde ! Bon, je vous l’accorde, on peut éventuellement se moquer de «Coach Vahid» qui suivra les Eléphants devant sa TV pour avoir perdu un seul match (contre l’Algérie), le match de trop.
8) Une bonne raison de les supporter ?
Il faut les supporter car c’est la première Coupe du Monde sur le sol africain et qu’ils en auront besoin. Qui ne rêverait pas de voir un pays africain bouleverser la hiérarchie mondiale avec les scènes de liesse et de joie démesurée que cela entrainerait ? Une nouvelle saison sèche en Afrique du Sud serait synonyme d’énième désillusion, surtout si au menu de la chasse les Eléphants sont en première ligne. Et, s’il y a bien une équipe capable de réaliser cet exploit et d’enflammer les maquis* de la rue Princesse à Yopougon (Abidjan), c’est bien la Côte d’Ivoire ! 
*Petits restaurants
9) Une bonne raison de ne pas les supporter ?
Car la Côte d’Ivoire est la preuve vivante qu’une somme d’individualités ne font pas une équipe de football pouvant espérer – ni même gagner – la Coupe du Monde. A quoi bon supporter une somme d’individualités aux égos surdimensionnés qui se prennent pour des divas ? Une deuxième bonne raison de ne pas les soutenir ? Didier Drogba bien sûr.

10) Bon d’accord, mais sinon ?
Assinie, sa lagune et son océan, c’est beau. Et surtout, Venance Konan, auteur ivoirien, a dépeint avec humour dans Les Catapilas, ces ingrats les maux qui divisent la société ivoirienne. Pour ceux qui peinent à lire des romans ou lire tout court (à part CartonRouge.ch), ils peuvent toujours se rabattre sur un bon vieux Cubitus, par exemple Tu nous fais marcher…
Photos Drogba et Eriksson de Pascal Muller, copyright www.mediasports.ch

Écrit par Daniel Corthésy, en direct de Goma – RDC