De la faiblesse mentale de Roger Federer

Je ne peux m’empêcher de nourrir craintes et inquiétudes lorsque je songe, depuis quelques mois, à Roger Federer. Rien à voir cependant avec ce que certains appellent, à tort ou à raison, son déclin. Inévitable, inexorable, répondant à la simple loi du temps qui pèse peu à peu sur les rouages physiques et psychologiques d’une mécanique ô combien performante des années durant. Cette gêne que je ressens naît en fait de l’entêtement du Bâlois dans une ligne de conduite bientôt indéfendable.

Il y a eu deux Roger Federer. L’adolescent nerveux, pétri de talent sans avoir encore totalement conscience de ce qu’exige la conquête – puis la défense – du trône tennistique. Après est arrivé l’homme, le roi, le maître, celui qui a, par certains aspects, réinventé le tennis, dominateur de ses propres impulsions, calculateur des moindres détails, obnubilé par un seul objectif : celui d’être le meilleur.Et si le Bâlois amorçait actuellement une nouvelle mue ? Champion surdoué, modèle à tous les sens du terme, peu à peu dépassé, surpassé même, par la meute des jeunes loups plus guère tétanisés à l’idée de croiser leur raquette avec lui. Roger Federer, dans les faits, dans son corps, a quitté le monde de la rationalité, géniale et inouïe, qui a fait rêver tant de personnes à travers le monde. Il ne semble pourtant pas s’en être encore rendu compte. Ou du moins l’avoir accepté.

J’ai vraiment mal quand j’entends l’esthète, depuis le début de la saison, faire de la reconquête de la première place mondiale son objectif principal en 2011. Méthode Coué, mensonge à soi-même, cécité intellectuelle, refus de vieillir, quel que soit le ressort qui pousse le Bâlois à tenir ce discours, il ne rend service ni à celui qui prononce de telles paroles, ni à son image d’Epinal, celle qui lui survivra bien des années après sa retraite, celle qui perdurera dans les livres d’histoire du tennis et du sport en général.
Federer n’a plus rien à prouver. Des années durant, il a emmené sa discipline dans des sphères jamais atteintes avant lui. Grâce à cette faculté, en plus d’un bras droit en or, d’être professionnel en toutes circonstances. Mais cessons de nous leurrer. La probabilité de revoir le Bâlois numéro 1 mondial est extrêmement faible.
Tenir alors un discours assurant du contraire, au risque d’au mieux devenir la cible de moqueries qu’il ne mérite pas et, au pire, de susciter un agacement certain du public, pourrait bien ainsi se retourner contre lui. Que reste-t-il au champion déchu de son titre, plus au niveau physique des meilleurs de la planète mais possédant toujours quelques illuminations dans sa raquette ? Le panache, l’orgueil, l’émotion.
Roger Federer devrait opérer rapidement ce basculement dans l’émotionnel. Peu importe désormais son bilan sur une saison entière. Le monde attend de lui des coups d’éclat, des moments de grâce, des instants magiques. Assez de marteler des objectifs irréalistes. «Rafael et Novak sont clairement au-dessus du lot maintenant. Et d’autres semblent en meilleure position que moi pour remporter ce tournoi. Mais que tous se méfient ! J’ai le tennis dans le sang et, dans un bon jour, je peux leur faire vivre un enfer…» Voilà bien ce que j’aimerais entendre dans la bouche du Bâlois.
Mais en est-il capable ? D’une dévotion totale à son sport et à sa carrière, Federer n’a longtemps vécu que dans l’absolue nécessité des sacrifices et du calcul des plus petits détails, réquisit indissociable de l’excellence qui conduit à la précellence. Il y est parvenu en construisant une bulle autour de lui, imperméable à toute distraction. Federer est un faux créatif, incapable d’inventer son tennis sans une base rigide et immuable sur laquelle reposer, et sans une épouse rigoureuse favorisant, en prenant sur elle la gestion globale de l’entreprise, les conditions propices au succès.

Peut-il alors sortir de ce carcan codifié pour, enfin, laisser respirer ses sensations ? Je ne le crois pas. Le Bâlois est peut-être obligé de se placer sous un joug pour se sentir libre. Paradoxe de la servitude volontaire déjà pointé par Etienne de La Boétie en 1549 ou encore besoin de s’en remettre à une autorité supérieure pour accomplir n’importe quelle besogne, comme montré dans les écrits d’Hannah Arendt (1951). Et si la force mentale de Federer, qui lui a permis de conquérir tant de trophées, s’appuyait en fait sur une réelle faiblesse mentale ?
L’heure n’est plus à tout peser, tout penser, tout jauger. Qu’il vive, qu’il rit, qu’il pleure, qu’il chute et se relève, qu’il crie sa rage et qu’il hurle son bonheur. Qu’il nous rappelle à tous que, malgré les titres, l’argent, les contrats publicitaires et les consignes de l’ATP, il n’est en somme qu’un homme. Le Bâlois, l’être humain, n’en ressortirait que grandi. Sa légende aussi.

Écrit par Psyko Franco

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10 Commentaires

  1. Entièrement d’accord… mais ne penses-tu pas que c’est une réaction à toutes ces « critiques » et contre toutes les personnes qui annoncent justement son déclin…
    Le dernier souffle, celui qui tente de « prouver » qu’il n’est pas encore mort !!

  2. «Rafael et Novak sont clairement au-dessus du lot maintenant. Et d’autres semblent en meilleure position que moi pour remporter ce tournoi. Mais que tous se méfient ! J’ai le tennis dans le sang et, dans un bon jour, je peux leur faire vivre un enfer…» C’est vrai que ça sonnerait bien! Mais pour ça, il faut accepter de redescendre du piédestal sur lequel il a été mis.

  3. Faiblesse mentale ou morale?? Il y a contradiction entre le titre et l’avant-dernier paragraphe. Sinon, j’adhère entièrement au propos!

  4. Il arrive la même chose à Federer qu’il est arrivé à Schumi.
    Federer joue vite, précis, en quelques coups de raquettes. La pluparts des tournois, depuis une dizaine d’année, se sont ralenti, surtout les tournois du grand chelem. Du coup, ces surfaces conviennent moins au style de jeu de Rodgeur, il doit plus se battre pour gagner des points et il tient moins la distance contre des « jeunes » qui ont cinq ans de moins que lui.
    Schumi c’était pareil, il tappait dans les pneus et dans son moteur comme personne d’autre alors ils ont introduit des règles pour contrer sa domination et ramener de la concurrence.
    Mettez Federer en indoor sur surface rapide (Masters par exemple) et il toujours le meilleur. Mettez Federer à Wimbledon sur un gazon qui est de plus en plus long, donc plus lent, et il est moins dominateur, c’est ça l’explication.
    A noter également qu’il n’y a pas photo entre les joueurs de la génération Federer (Safin sur dur, Roddick sur gazon, Coria sur terre-battue) et les joueurs de la génération suivante qui ont été entraîné « pour battre Federer » et son jeu complet.
    L’article n’est pas faux, mais ce n’est pas que de la volonté de Federer de redevenir le meilleur, c’est aussi de la volonté des organisateurs de garder plusieurs surfaces différentes et surtout garder des surfaces rapides.
    Bon week-end!

  5. Excuse-moi Psyko Franco, mais malgré ta maîtrise de la langue française, tu ne m’as pas convaincu du tout… Le fait de citer La Boétie n’y change rien et d’ailleurs le lien avec son « Discours De La Servitude Volontaire » est assez flou… Désolé mais j’ai lu ce chef-d’oeuvre et je ne vois pas bien le rapport… Mais bon ça fait toujours bien de citer des grands auteurs…
    Alors comme ça, Federer est prisonnier de sa méthode: sa bulle donc, son souci des petits détails et sa gestion (ou non-gestion) de son argent. Désolé mais je ne vois pas où est le problème: cette méthode a toujours porté ses fruits…
    Alors oui, les temps changent. Federer, comme tout être humain, prend de l’âge alors que ses rivaux, 5 ans plus jeunes au minimum sont à leur apogée. Et alors? Tu l’as dit, on ne peut parler de déclin. Federer est numéro 3 et non pas numéro 20 et au point de vue du tennis, on voit qu’il est parfaitement dans le coup. Perdre plusieurs fois contre un Djokovic simplement injouable n’y change rien. Ce dernier n’est pas surhumain et va descendre de son nuage, tôt ou tard.

    Selon toi, il faudrait un revirement, un changement de méthode, un « aveu de faiblesse » en quelque sorte. Personnellement, je soutiens son entêtement dans sa méthode. Le jour où Roger dira cette phrase que tu as suggéré, alors on parlera de déclin. Il est normal de viser le sommet lorsque l’on a toujours été en haut. Pour ma part, je n’admets pas que Federer est en-dessous et qu’on attende un « coup d’éclat, un moment magique ». On est en droit d’attendre plus, comme la conquête de grands chelem par exemple.
    Federer est toujours là et je pense qu’il faut arrêter toutes ces polémiques à son égard, car il ne le mérite pas…

    J’espère au moins que le jour où Federer gagnera son prochain grand-chelem où qu’il pourra, qui sait, lorgner la place de numéro un, tu auras la décence de reconnaître ton tort, Psyko Franco, toi qui n’attend plus grand-chose de Roger… Mais malheureusement, j’en doute et je pense que tu es comme tous ces fans du dimanche qui pointent du doigt quand ça va moins bien, mais qui crient de joie quand tout va mieux, oubliant du même coup leurs critiques passées et célébrant la victoire.

    A bon entendeur!

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