Sacha Opinel : «J’ai cravaché toute ma vie» (partie I)

Formé à l’AS Cannes, juste après les générations Zidane et Micoud, Sacha Opinel n’a pas connu une carrière tranquille. En décembre 1999, il rejoint les Raith Rovers en D2 écossaise. Le début de l’aventure britannique pour le latéral, qui enchaînera les clubs et les essais pendant une dizaine d’années, de la D3 à la D7 anglaise. Une aventure atypique, poignante où se mêlent la galère et la réussite de décrocher un simple contrat pour survivre dans son rêve. Retraité du professionnalisme, Opinel raconte son histoire et les dessous du football. Entretien en deux volets.

Sa formation à Cannes

«Des jeunes qui chient dans le duvet des autres»
Cannes, ça a été parfait. J’ai joué avec Patrick Barul, Sébastien Chabbert, Jonathan Zebina, Romain Ferrier et plein d’autres. Je suis arrivé à 12 ans, j’y ai fait toutes mes classes. Certains joueurs ne passaient pas le BAC, moi j’ai fait toutes mes études avec mes copains au cours cannois. Quand tu es adolescent, à 16-17 ans, tu te noies parfois dans les gonzesses, la fête, ça dépend. Tu te cherches un petit peu. J’ai eu mon bac. Guy Lacombe m’a donné mon contrat car j’ai réussi mon bac, c’est clair. Je suis tombé au bon moment au bon endroit. Si j’étais de la génération Zidane, je ne serais peut-être pas passé. A l’époque, il fallait vraiment être fort pour devenir professionnel. Aujourd’hui, tous les jeunes passent professionnels dès qu’ils jouent cinq ou six fois en équipe première et marquent un but. Tous les clubs se les arrachent. A mon époque, il y avait un joueur qui passait pro par an. T’avais Pascal Bédrossian et Johan Micoud et ça s’arrêtait là ! J’en ai vu des vertes et des pas mûres au centre. Des jeunes qui chient dans le duvet des autres, qui rasent les couilles de gamins pendant le bizutage, j’ai tout vu ! J’ai connu des gamins qui pleuraient parce qu’ils n’en pouvaient plus et rentraient finalement chez eux alors qu’ils étaient hyper talentueux.
«J’ai eu des problèmes de bouffe, vraiment»
95% des joueurs qui étaient avec moi pendant les études n’ont pas signé, ils n’étaient pas assez bons. Je me suis retrouvé avec le groupe professionnel à 17 ans. Je vois mes copains qui allaient à la fac, d’autres me dire : «C’est génial t’as eu ton bac et t’es avec les pros, tu vas exploser et arrêter tes études.» J’ai travaillé comme un malade pour avoir mon bac, je n’ai pas eu de vacances pour reprendre avec les pros. C’est comme si j’étais maintenant avec un jeune de 17 ans. On n’a pas les mêmes trucs, j’ai deux enfants, une femme. Tout le monde pensait que j’allais éclater mais j’étais fatigué. Vraiment fatigué. Guy Lacombe et les autres ne l’ont pas compris. Richard Bettoni, qui me connait depuis que j’ai neuf ans, arrive un jour et me dit : «Sacha, qu’est-ce qui se passe ? Tu n’avances pas.» J’avais pourtant super bien commencé ma première saison avec les pros et j’ai eu un coup de blues. Pourtant, je suis fort dans la tête. Attention, je ne suis pas exceptionnel mais solide.
Guy Lacombe m’a dit que j’étais un peu gros. Ce sont des confessions que je fais à 34 ans car je peux en parler (il marque une pause). Seules ma mère et ma sœur sont au courant. Ça m’a fait un choc psychologique. J’ai commencé à moins manger. Je me regardais : «Est-ce que je suis vraiment gros ?» J’arrivais chez mes parents le week-end, je ne mangeais pas. Ça m’a vraiment tué. J’ai eu des problèmes de bouffe, vraiment. Est-ce que j’étais anorexique ? Peut-être. Dans la tête, j’ai pété un peu les plombs. Je n’avais plus la flamme, plus d’énergie. Tu rentres dans un engrenage. Tu ne bouffes pas, tu n’avances pas. Pourquoi tu n’avances pas ? Car tu ne bouffes pas mais quand tu es jeune, tu crois que c’est parce que tu es gros. Ça a mis du temps avant que je reparte.

Essais à Auxerre, Nice, expériences avortées à Lille et Ajaccio

«T’as joué dix matchs en L1 et tu crois avoir tout réussi»
Guy Lacombe et Richard Bettoni sont partis, Eric Goiran est arrivé. Bettoni est parti à Auxerre et voulait prendre tous les joueurs formés à Cannes. C’est un peu mon deuxième père. Il me disait «viens-là, il ne te donne pas un bon contrat.» Je n’ai pas écouté les autres, même pas mon père. J’ai fait un peu le mac. T’as joué dix matchs en L1 et tu crois avoir tout réussi. Je vais voir Goiran : «C’est Bettoni qui s’occupe de moi.» Entre Bettoni et Goiran c’est la guerre. J’étais jeune, je ne savais pas. Il me dit : «Dégage, je ne veux plus de toi.» Si j’étais Eric Cantona, j’aurais pu le faire, mais je n’étais pas un grand joueur. J’aurais dû rester à Cannes. Je fais un bon essai à Auxerre mais Guy Roux voulait me remettre au centre de formation. Je lui ai dit : «Mais ça va pas ou quoi ?» J’ai encore fait le mac.  Quand t’es amoureux, que t’as un appartement à Cannes, tu n’as pas envie d’aller dans le centre de formation d’Auxerre sans ta gonzesse, alors que tu l’as fait pendant huit ans.
Ensuite, j’ai eu d’autres essais et j’ai finalement atterri à Lille (L2), avec Pierre Dréossi. J’avais ma petite copine qui venait de Cannes mais j’avais le mal du pays. Je suis reparti à Nice à l’essai, ça n’a pas marché. Puis je suis arrivé à Ajaccio (L2). La première année fut bonne, la deuxième, un peu moins. Bettoni m’a dit : «Pourquoi n’irais-tu pas en Angleterre ? Tu mets ta tête là où les gens ne mettraient pas leur pied.»

Appelé en équipe de France -17 ans sans suite

«Gérard Houllier m’a pris pour un fou»
J’étais devant Sagnol, Gérard Houllier était le sélectionneur. Lors d’un match d’entraînement, j’ai taclé l’attaquant d’en face et le ballon revient sur l’arrière gauche. J’étais arrière droit mais j’ai couru pour essayer de récupérer le ballon. J’ai taclé l’arrière gauche. Le ballon est arrivé au gardien et je suis allé le tacler ! Tout ça pour prouver que j’étais physique et que j’en voulais. Houllier m’a pris pour un fou et m’a sorti direct. Je n’ai jamais remis les pieds à Clairefontaine. Si j’avais été différent à ce moment spécifique, j’aurais joué le championnat du monde en Malaisie. Mais j’ai voulu faire voir que j’étais un combattant. Je n’ai pas commis d’attentats mais j’ai couru autour du terrain pour récupérer le ballon. Ce n’est pas ce qu’on demande à un latéral (il rigole).

Découverte de l’Angleterre à Sheffield United

«T’es sûr que c’est de la D2 ?»
Je suis allé à Sheffield United (D2) à l’essai. J’étais avec Laurent D’Jaffo (ndlr, ancien attaquant formé à Montpellier, qui a évolué ensuite à Aberdeen, Bury et Sheffield United notamment). Ils jouaient contre Wolverhampton. Je n’étais jamais allé en Angleterre, je ne parlais pas un mot. Je vais au match et me dis : «D2 française, D2 anglaise, ça se vaut.» Dans le stade, 40’000 personnes, écrans géants de tous les côtés, l’attaquant de Wolverhampton fait près de 2 mètres, va à 2’000 à l’heure et marque trois buts dans le match ! «Qu’est-ce qui se passe ? T’es sûr que c’est la D2 ?» Laurent me dit oui et encore c’est un petit club. C’était impressionnant. Je cherche à savoir pourquoi Paris ou Marseille ne recrute pas ce joueur. Laurent m’explique qu’il gagne 35’000 plaques par semaine, en D2 ! Il n’a pas besoin de partir, tout le monde crie son nom. A l’essai, je n’ai pas été terrible. Le rythme était vraiment très élevé. Laurent, qui avait commencé en Ecosse, me conseille d’aller là-bas, car le rythme est moins rapide et moins intensif.

Premier contrat britannique aux Raith Rovers

«Le Celtic et les Rangers étaient sur moi»
Je suis allé aux Raith Rovers (D2 écossaise) à l’essai. Matchs de réserve, de l’équipe première, entraînements. J’ai eu un peu de chance et j’ai signé. Ils m’ont mis dans un bed & breakfast. Il y avait des joueurs français avec moi : Didier Agathe et Jean-Philippe Javary. Ça  commence super bien, j’enchaîne les matchs. Le Celtic et les Rangers sont d’ailleurs sur moi car j’avais tenu Larsson en coupe. Mais j’ai mauvais caractère (il rigole). Je n’ai pas été patient. Le club a eu des difficultés financières. Ils ont cassé les salaires de 25%, on ne prenait plus le bus pour aller au match, ils vendaient certains joueurs. Jean-Philippe part pour £ 150’000 à Brentford. A ce moment-là, l’arrière gauche de Brentford se casse la jambe. Jean-Philippe parle de moi à son président. Je vais à l’essai là-bas une semaine et ça se passe super bien. Mais le président ne voulait payer que 150’000 euros et les Rovers voulaient £ 150’000, soit 200’000 euros environ. J’ai commencé à m’énerver, il y a eu des histoires après. J’ai un peu picolé. Sur le terrain c’était carton rouge sur carton rouge. J’ai laissé passer ma chance, j’ai détruit ce que j’ai fais. Pourquoi ai-je pété les plombs ?

Plymouth, Bournemouth et Leyton Orient pour revenir à Castelnau Le Crès

«Ma femme était enceinte et elle voulait rester en Angleterre»
Paul Sturrock, qui entraînait Dundee, a repris le club de Plymouth (D4 anglaise) et m’a fait venir. La première semaine est excellente mais comme j’avais bu pendant au moins deux mois en Ecosse, c’était dur après. Je n’étais pas «fit». Paul Sturrock m’a dit non et je suis allé à Bournemouth (D3). Honnêtement, j’ai fait un super essai. Il y avait déjà des Français qui étaient là avant, comme Roger Boli. Vu que les Français n’avaient pas une super réputation, ça n’a pas marché. Mais j’avais joué un match de réserve contre celle de Leyton Orient (D4). J’avais assuré et ils se sont souvenus de moi. J’ai signé chez eux et j’ai enfin commencé à jouer un peu. J’ai fait 10 matchs, on était en play-off pour monter, mais on a raté la promotion. L’entraîneur s’est fait viré et je n’ai plus eu de contrat.
Du coup, je suis descendu à Montpellier pour jouer à Castelnau Le Crès, dans le club de mon cousin. Mais j’ai connu ma copine, qui est devenue ma femme, à Leyton Orient. Elle est anglaise. Elle est tombée enceinte et voulait rester en Angleterre. Je suis remonté pour les vacances et je ne suis jamais revenu.

Début d’une véritable carrière à 26 ans

«Les internautes ont acheté le club»
Tommy Taylor, mon ex-entraîneur à Leyton Orient, prend le club de Farnborough (D5). J’ai entendu ça donc je l’appelle parce que je l’adore. Il me dit : «Viens, on a besoin de joueurs.» Ma carrière en Angleterre a vraiment débuté ici. J’ai signé deux ans. Le club est parti un peu en vrille après mais ce fut une excellente expérience personnelle. J’ai été transféré à Crawley Town (D5). Encore une bonne saison mais le club part en «administration» ! J’étais obligé de partir car ils ne payaient plus pendant trois, quatre mois.
J’ai signé à Gravesend & Northfleet (D5), qui est devenu Ebbsfleet deux ans plus tard car il y avait une station de l’Eurostar du même nom là-bas. C’était vraiment une super période pour moi, j’ai été élu meilleur latéral du championnat. La même année (2007-2008), on gagnait le FA Trophy, qu’on peut comparer à la Coupe de France des amateurs, mais même mon père ne comprend pas tout (ndlr, cette compétition regroupe les clubs de D5 à D8). C’est un souvenir marquant, surtout pour les parents. T’es à Wembley, il y a l’hymne national, 45’000 spectateurs, c’est quelque chose.
Puis, le club a été acheté par des internautes. Ils s’étaient réuni à 40’000 sur MyFootballClub.com et avaient payé 25 ou 30 pounds d’inscription. Mais, ça n’a pas vraiment marché. C’était un peu une illusion, ils n’ont jamais fait une équipe. Ils n’ont pas concrétisé ce qu’ils voulaient faire, l’entraîneur décidait. J’ai refait encore un an. Je devenais un peu plus vieux et il y avait d’autres priorités désormais. J’ai eu des contacts en League Football, oui, mais qu’est-ce que tu fais ? Je n’étais pas vraiment connu, sauf en Conference League et parce que je venais de gagner le FA Trophy. En plus, je suis arrière gauche et beaucoup se disent que des jeunes de 17 ou 18 ans peuvent faire l’affaire à ce poste.

Pas la fin souhaitée

«J’en avais un peu plein les roubignoles»
J’ai arrêté le football. Un entraîneur qui me connaissait depuis que je suis en Conference League m’a demandé si je voulais revenir à Farnborough ? Le club était en Zamaretto League (D7). Il me payait très bien et c’était une belle histoire, puis j’avais vraiment commencé ma carrière ici. Il voulait monter et je me disais que si on montait, puis on remontait encore, je reviendrais au niveau où j’ai commencé. On est monté mais la deuxième année, les entraînements étaient trop loin et je ne pouvais plus assumer. Le club payait moins bien et j’en avais un peu plein les roubignoles. Donc j’ai arrêté en novembre. Je tiens un bar-restaurant à Greenwich, qui s’appelle River Bar et ça ne marche pas trop mal.

Argent : la survie à défaut de la fortune

«A Plymouth, ils me donnaient 200 pounds par mois»
C’est difficile de dire à un Français que, en gros, tu es en CFA et que tu es professionnel. J’étais quand même à près de 1’000 euros la semaine. C’est pour ça qu’il y a beaucoup de Français en Angleterre aussi, ils pensent qu’ils peuvent gagner beaucoup d’argent. Mais c’est une illusion. Surtout qu’avant, avoir un Français était à la mode. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il y a moins d’argent aussi. Ils croient qu’ils vont gagner 400-500 pounds par semaine et on leur propose un contrat où on ne les loge même pas. J’ai quand même galéré. A Plymouth, ils me donnaient 200 pounds (environ 225 euros) par mois et débrouille-toi Sacha ! Je n’ai pas fait fortune mais j’ai bien gagné ma vie, je suis allé au casino, j’ai un peu dépensé, j’en suis bien content. A Leyton Orient, je touchais 600 pounds (environ 680 euros) par semaine en étant logé dans un bel hôtel, avec la nourriture et tout ce qu’il faut. Ce n’est pas 20’000 ou 30’000 plaques par semaine mais c’est déjà beaucoup d’argent. J’ai cravaché pour pouvoir survivre dans le football. J’ai fait carrière mais je n’ai pas fait fortune. C’est comme si j’étais un musicien. Tu as Jean-Jacques Goldman à côté et Sacha qui vend 3,4 disques au marché de St-Tropez (il explose de rire).

Fiche d’identité

Sacha Opinel – Né le 09/04/1977
1m77 – Arrière gauche ou droit
Vainqueur du FA Trophy en 2008

1991/1997 : Cannes (L1)
1997/1998 : Lille (L2)
1998/1999 : Ajaccio (L2)
1999/2000 : Raith Rovers (D2 ECO) (à partir de décembre 99)
2000/2001 : Plymouth (D4 ANG)
2000/2001 : Bournemouth (D3 ANG)
2000/2001 : Leyton Orient (D4 ANG)
2001/2002 : Billericay Town (D7 ANG)
2002/2003 : Castelnau Le Crès (DH)
2003/2004 : Farnborough (D5 ANG)
2004/2005 : Farnborough (D5 ANG)
2004/2005 : Crawley Town (D5 ANG) (à partir de janvier 05)
2005/2006 : Crawley Town (D5 ANG)
2006/2007 : Gravesend & Northfleet (D5 ANG)
2007/2008 : Gravesend & Northfleet (D5 ANG)
2008/2009 : Ebbsfleet (D5 ANG)
2009/2010 : Farnborough (D7 ANG)
2010/2011 : Farnborough (D6 ANG) (+ quelques prêts)
La seconde partie de cet entretien réalisé par le magazine Sharkfoot en ligne dès demain !

Écrit par Romain Molina (Sharkfoot)

Commentaires Facebook

3 Commentaires

  1. Joli !

    Article qui sort de l’ordinaire !

    Faut vraiment aimer voyager…lol 3 clubs entre 2000-2001 !

    Vivement la 2ème partie !

  2. Ce Sacha Opinel ne me semble ne pas être un joueur très tranchant… Sûr que s’il s’était appelé Victorinox il aurait mieux réussi sa carrière!

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.