180° Sud, partie 11 : le cas Phoenix

À peine le sauvetage des Predators acquis, la Ligue nationale de hockey a été confrontée à une nouvelle situation inextricable dont elle se serait bien passée. La situation des Coyotes de Phoenix n’a cessé de s’aggraver depuis la venue de la franchise dans l’Arizona, jusqu’à atteindre le point de non-retour.

Lorsque les Jets de Winnipeg furent transférés à Phoenix en 1996, une incrédulité totale prévalait dans le milieu ; exporter le hockey sur glace dans le sud n’était un secret pour personne et ne constitua pas une grande surprise, mais pas au point d’aller implanter une franchise en plein milieu du désert de l’Arizona. Les craintes s’amplifièrent avant même le premier match des Coyotes dans leur antre. Les débuts de l’équipe furent pourtant prometteurs, avec cinq qualifications pour les séries lors des six premières saisons. Au niveau du stade par contre, l’America West Arena n’était pas du tout faite pour accueillir des rencontres de hockey sur glace. L’espace était trop étroit et il n’était pas possible de voir l’intégralité de la surface de glace dans certaines sections. Pour remédier à ce problème, la capacité avait dû être réduite de 18’000 à 16’000 places. Dès lors, les choses commencèrent à se gâter…

Le retour du Great One

En 2001, le mythique Wayne Gretzky entra dans la propriété de la concession en compagnie de Steve Ellman, un développeur local, dans le but de donner un coup de fouet à une équipe stagnante et de donner un gros coup de pub à l’affaire. C’était aussi l’opportunité rêvée pour Wayne Gretzky de commencer une seconde carrière dans le milieu. Sur la glace, cela ne se traduisit pas vraiment par des progrès probants ; les Coyotes continuèrent à sombrer et cumulèrent les saisons misérables. Suite aux pertes engendrées par les mauvais résultats et une affluence en chute libre, Steve Ellman tenta de nombreuses actions liées à l’amphithéâtre dans le but de stopper l’hémorragie mais rien ne déboucha sur du concret. De plus, le contrat de location était complètement moisi et les Coyotes perdirent une quantité phénoménale d’argent – un montant de 40 millions de dollars par saison fut même articulé. La seule option viable était alors de construire une nouvelle enceinte.


La Jobing.com Arena de Glendale, un petit bijou perdu en plein désert.

Contre toute attente, ce projet se réalisa et l’arène fut achevée en 2003 à Glendale, au nord-ouest de Phoenix, sous le nom de Glendale Arena, nommée actuellement Jobing.com Arena. D’un coût total de 180 millions de dollars et d’une capacité de 17’125 places, l’enceinte est une réussite totale et est reconnue comme l’une des arènes la plus belle et la plus fonctionnelle de la Ligue nationale de hockey. Elle a cependant un gros défaut : l’arène est située à une quinzaine de kilomètres du centre-ville de Phoenix et il faut parfois compter plus d’une heure pour s’y rendre en tenant compte du trafic gigantesque que génère la métropole de l’Arizona. Déjà que le public de se déplaçait pas lorsque les Coyotes jouaient à Phoenix, qu’en allait-il être à Glendale ?
Sportivement parlant, la nouvelle maison des «Yotes» ne va pas non plus jouer le rôle de détonateur. L’équipe se traîne toujours dans les bas-fonds du classement et même si l’affluence moyenne décolla sensiblement, la moyenne reste aux alentours des 15’000 spectateurs. Deux ans après avoir pris ses quartiers à Glendale, les Coyotes changent finalement d’entraîneur et pas des moindres : Wayne Gretzky lui-même se nomme à ce poste. Cependant, avoir été un brillant joueur ne veut pas forcément dire que cela va automatiquement se traduire par un grand succès en tant que coach. Sous la houlette de Gretzky, l’équipe ne va montrer aucun signe de progrès et réalisera même la pire saison de son histoire en 2006/2007 avec seulement 67 points. La franchise continue de plonger et de subir d’importances pertes financières. Tout ce marasme fera surface dès l’année 2009 avec le début d’une saga aussi grotesque que consternante.

Le début de l’imbroglio juridique

Tout commence donc en cette année 2009 avec la faillite des Coyotes demandée par le propriétaire d’alors, Jerry Moyes – lequel avait entretemps remplacé Wayne Gretzky et Steve Ellman. À ce moment, la LNH avait déjà repris le contrôle officieux de la franchise ; comme mentionné précédemment dans le cas de Nashville, le but de la Ligue nationale de hockey n’est en aucun cas de procéder à une relocalisation des Coyotes sous peine de voir sa position affaiblie par rapport à sa politique de développement. La LNH va donc s’impliquer directement dans ce sac de nœuds et tout faire pour que la concession évite la relocalisation. Cette ingérence, nous le verrons, va prendre des proportions inimaginables.
Le premier problème est que Jerry Moyes prononça la faillite des Coyotes sans même en avertir la LNH. Circonstance aggravante, il tenta de vendre subrepticement la franchise au désormais bien connu Jim Balsillie en mode vautour et toujours en quête frénétique d’une franchise. Cette fois, le bon Jim n’allait pas s’en cacher, il avait bien l’intention d’acquérir la concession dans le but de la transférer sans délai à Hamilton. Ô surprise, cela ne fut pas du tout du goût de la Ligue nationale de hockey, d’autant plus que ce procédé enfreint les règles de la Ligue au sujet de la relocalisation de franchises. La LNH prit alors le contrôle de la franchise et ôta toute compétence à Jerry Moyes sur ce dossier. Dans le même temps, un groupe de Chicago mené par Jerry Reinsdorf transmit une offre de rachat à la Ligue avec le plan de garder la franchise dans l’Arizona, contrairement à Jim Balsillie. En offrant 212.5 millions de dollars, l’offre du milliardaire canadien fut cependant bien plus généreuse.


Gary Bettman en mode ingérence complète.

Tout ce beau monde va alors se retrouver au Tribunal des Faillites de Phoenix où le juge Baum devra statuer sur la vente des Coyotes. Les casseroles misent à jour lors des auditions sont accablantes pour la franchise : la perte cumulée au cours des trois dernières saisons atteint 73 millions de dollars (dont 45 millions budgétés au cours de la saison 2009/2010) et la concession n’est parvenue à vendre que 5’450 abonnements annuels en moyenne depuis 2005. La situation des Coyotes est bien pire qu’imaginée. Dans un premier temps, le juge impose une médiation entre la Ligue et Moyes pour fixer le sort de la propriété de la franchise, mais elle n’aura jamais lieu. En juin 2009, la première offre de Balsillie est rejetée en raison du plan de relocation prévu pour la saison 2009/2010 ; Hamilton n’est pas considéré comme une alternative acceptable dans la mesure où la ville de l’Ontario empiète sur le marché de Toronto et de Buffalo. Le juge Baum n’exclut pas Balsillie du processus, mais il accorde à la LNH le droit de fixer une taxe de relocation d’une part, ainsi qu’une autre taxe que toucheraient les Maple Leafs et le Sabres si Hamilton venait à recevoir une équipe de la Ligue, autrement dit si aucune autre issue que la relocalisation n’est trouvée.
Le Tribunal promet alors de prendre en considération toute offre de la part de repreneurs désireux de conserver l’équipe dans l’Arizona. En cas d’échec d’ici au mois de septembre 2009, les solutions incluant la relocalisation de la concession allaient pouvoir être prises en compte. Jim Balsillie revit son offre en garantissant qu’il allait rester à Phoenix durant la saison 2009/2010. La LNH considéra cette nouvelle proposition en la soumettant au vote du Conseil de Gouverneurs de la Ligue. Le Canadien prit une baffe monumentale avec 29 votes contre, 1 abstention (Jerry Moyes) et 0 vote pour. Jim Balsillie paya donc son impatience et sa volonté d’aller à l’encontre des règles de la Ligue. En théorie, Balsillie a été victime de l’article 35 de la Constitution de la LNH qui stipule que toute vente doit être refusée à un acheteur qui «n’offrirait pas toutes les garanties en terme de personnalité et d’intégrité». Cette défaite cinglante n’ébranle pas Balsillie qui est toujours en lice après le retrait de Jerry Reinsdorf. «Mr Blackberry» a même considéré l’option de jouer la première moitié de saison à Glendale avant de déménager à Hamilton pour la seconde partie.

Jim Balsillie : 0 sur 3 !

La Ligue nationale organise la riposte en fixant la taxe de relocation à un montant exorbitant (entre 101 et 195 millions de dollars) dans le but de définitivement dissuader Balsillie d’acquérir la franchise. Le Canadien essaya de marchander en proposant un prix se situant entre 40 et 50 millions. À la fin du mois de septembre, le juge Baum rejeta les deux offres toujours en lice ; celle de la NHL et celle de Balsillie. L’offre de la Ligue présentait l’inconvénient de ne pas couvrir la totalité des créances, dont celles de Moyes et de Gretzky. De l’autre côté, cette décision écarta  définitivement Jim Balsillie de la course. En octobre 2009, la Ligue nationale de hockey parvint enfin à un accord avec Jerry Moyes et la LNH lui racheta la franchise pour un montant de 140 millions de dollars.
Une fois la vente entérinée, l’objectif de la Ligue nationale de hockey est de stabiliser la situation financière de la franchise tout en cherchant le plus vite possible un propriétaire s’engageant à garder l’équipe à Phoenix. Comme prévu, les acheteurs potentiels ne se pressent pas au portillon. L’éconduit Jerry Reinsdorf revient à la charge, de même qu’un autre homme d’affaires de Chicago, Matthew Hulsizer. Les offres des deux hommes inclurent toutefois la participation du contribuable de la ville de Glendale afin de prévenir toute perte, générant un tollé monumental parmi une frange de la population de la ville. En plus de cela, un institut indépendant de surveillance dont le but est de réduire toute participation étatique, le Goldwater Institute, entra dans la bataille afin de combattre la réalisation de l’un ou l’autre de ces plans. Cette situation créa un interminable imbroglio judiciaire qui empêchera toute vente des Coyotes.


L’intérieur vide de la Jobing.com Arena un jour de match.

Dans cette optique, la LNH négocia en parallèle avec le groupe de Winnipeg TNSE (True North Sports and Entertainement), lequel ramènerait la franchise dans le Manitoba au cas où aucune solution n’est trouvée pour conserver la concession dans l’Arizona d’ici la fin de l’année 2010. Dans le même temps, la ville de Glendale accepta un plan de financement devisé à 25 millions de dollars dans le but de couvrir les pertes de la saison 2010/2011, ce qui ne fait, finalement, que repousser le problème. D’un point de vue sportif, les Coyotes contredirent tous les spécialistes et docteurs en réalisant une incroyable saison 2009/2010, décrochant la quatrième place de la Conférence Ouest, suivie par une nouvelle qualification en séries la saison suivante. Malgré ce succès, le public continuera à snober la Jobing.com Arena, même si le prix des places varie entre 5 et 10 dollars l’unité ! L’enceinte possède en outre la nouvelle particularité d’être majoritairement remplie par les supporters de l’équipe adverse, quel que soit l’opposant. Sentant le parfum du déménagement planer sur leur équipe, les rares fans des Coyotes montrèrent leur inquiétude via quelques ridicules pancartes, mais sans créer la moindre mobilisation. Certains eurent même le culot d’y inscrire des messages hostiles à Winnipeg alors que leur équipe leur a (in)justement été volée à la base !
L’entêtement de la Ligue nationale de hockey suscita de nombreuses critiques acerbes, tout comme le fait de racheter une franchise dans le but de la conserver dans une région où elle ne pourra jamais être viable. Depuis le transfert des Jets dans le désert, la concession a continuellement perdu de l’argent. En se voilant la face et refusant de reconnaître que l’installation d’une équipe à Phoenix ne pouvait jamais marcher, la LNH a encore perdu de sa crédibilité. Alors que Gary Bettman n’avait strictement rien fait pour prévenir et empêcher la disparition des North Stars, des Nordiques, et des Jets entre autres, le voilà qui s’implique directement dans le maintien d’une franchise se trouvant dans un insondable gouffre financier. Cela a rendu beaucoup de gens amers et tout le monde se demande actuellement quand est-ce que la LNH va ouvrir les yeux et stopper de jeter l’argent par les fenêtres via ce monumental fiasco, et il est clair que la ville de Glendale ne va pas indéfiniment jouer les pompiers. Actuellement, deux options sont possibles : soit les Coyotes déménageront à court/moyen terme, soit un gentil mécène rachète la franchise, la maintient dans l’Arizona jusqu’au jour où il en aura marre de voir sa fortune fondre comme neige au soleil.
En mai de cette année 2011, le groupe TSNE fut à deux doigts de racheter la franchise, faute de combattants prêts à rester à Glendale. Quelques minutes avant le délai, la ville de Glendale accepta de nouveau de payer 25 millions de dollars pour que les Coyotes restent à Glendale lors de la saison 2011/2012. Le groupe canadien se tournera alors vers une autre franchise en sale état : les Thrashers d’Atlanta.
À suivre : 180° Sud, partie 12 : la mort des moqueurs roux
Si tu as raté le début : 180° Sud, partie 1 : prélude à l’avènement ;180° Sud, partie 2 : le lancement ;180° Sud, partie 3 : l’Étoile du Nord ;180° Sud, partie 4 : entre esbroufe et couardise ;180° Sud, partie 5 : un univers impitoyable ;180° Sud, partie 6 : erreur corrigée ;180° Sud, partie 7 : au revoir Québec ;180° Sud, partie 8 : le déclin ;180° Sud, partie 9 : un espoir nouveau ;180° Sud, partie 10 : la nouvelle vague ;

Écrit par Mathieu Nicolet

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3 Commentaires

  1. ‘En plus de cela, un institut indépendant de surveillance dont de but est de réduire toute participation étatique, le Goldwater Institute’

    le but et non de but. Juste quelques lignes au-dessus de la dernière photo.

    Sinon toujours aussi intéressant 🙂

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