Le sumo pour les nuls : voyage au pays des rikishi ! (3/5)

Après deux premières parties plutôt «techniques», notre petite introduction se concentre dans ce troisième volet sur la vie quotidienne du lutteur et son univers on ne peut plus particulier : l’écurie !

Je n’ai jamais compris pourquoi, mais on appelle en français «écurie» le club auquel le lutteur sumo appartient et sous la bannière duquel il dispute ses matches. Apparemment, ça vient de l’anglais «stable» mais ça ne nous avance pas beaucoup plus étant donné qu’en japonais, on utilise le terme «heya» qui signifie «chambre» et qui n’a donc absolument rien à voir avec des chevaux. Mais bon, comme vous conviendrez qu’il est nettement plus rigolo d’imaginer ces gros types en train de tirer une charrue que posés tranquillement sur leur pieu en regardant la télé, nous continuerons d’appeler «écurie» ce lieu absolument central de leur existence.Chaque écurie est dirigée par un «oyakata», qui a dû devenir au préalable un «ancien» de l’Association japonaise de Sumo (toshiyori) une fois sa carrière de lutteur terminée. Il est très difficile et coûteux d’obtenir le titre de toshiyori. Tout d’abord, il faut avoir été un rikishi de première catégorie : l’adage qui dit souvent dans le monde du football qu’un bon joueur ne fera pas forcément un bon entraîneur n’est donc pas en vigueur dans celui du sumo, ce qui est bien dommage comme vous allez le voir ci-après. Ensuite, il faut qu’une place se libère, car l’Association japonaise de Sumo ne tolère que 105 toshiyori. Enfin, il faut pouvoir se la payer : on estime qu’un titre de toshiyori peut se négocier jusqu’à 500 millions de yen (environ six millions de francs suisses), et c’est la raison pour laquelle il est très important de savoir réunir derrière soi des supporters/mécènes. En fait, ces groupes de supporters accompagnent le lutteur depuis ses premiers pas sur le dohyo, finançant ses luxueuses tenues ou des repas plus copieux que ce qui lui est servi dans son écurie. Le titre de toshiyori peut également être reçu comme cadeau ou héritage, sous certaines conditions. A 65 ans, un toshiyori doit prendre sa retraite.

Une organisation hiérarchique moyenâgeuse

Si l’on associe souvent et à raison à la culture japonaise une certaine organisation hiérarchique où le plus jeune doit exprimer un certain respect à l’ancien, le monde du sumo peut être vu comme une version extrême de ce rapport entre êtres humains. En effet, l’écurie est régie par un système quasi féodal où l’oyakata est le seigneur et l’aspirant lutteur le dernier des serfs assigné aux besognes les plus basses. Une écurie est une sorte de monde à part vivant en quasi autarcie grâce à une allocation mensuelle octroyée par l’Association japonaise de Sumo. Les jeunes lutteurs sont souvent recrutés par des chasseurs de tête sur la base de leur physique et dans les quatre coins du pays. Même s’il existe des clubs scolaires de sumo où les jeunes peuvent se faire remarquer, il est très fréquent que l’adolescent qui rejoint le quartier tokyoïte de Ryogoku où se trouvent la plupart des écuries ne possède aucune expérience du sport auquel il se destine à consacrer sa vie. Arrivés généralement entre l’âge de 15 et 18 ans, ces jeunes sont certes nourris, logés et blanchis, mais soumis en contrepartie à un rythme de vie infernal : les plus inexpérimentés se lèvent le plus tôt, généralement à cinq heures, ne mangent que les restes et, entre deux brimades, sont astreints à diverses corvées alors que leurs aînés se reposent.
Si l’extrême rudesse des entrainements a toujours été tolérée et la sévérité des aînés envers leurs novices considérée comme un mal nécessaire, plusieurs cas où les brimades ont largement dépassé les bornes ont été récemment révélées au grand jour par la presse japonaise. Ainsi, en 2007, le jeune aspirant Takashi Saito, 17 ans et entré dans l’écurie Tokitsukaze depuis trois mois à peine, a été battu à mort par deux de ses supérieurs à coups de bouteilles de bière et de batte de baseball en métal. Le maître d’écurie avait donné l’ordre. Selon son témoignage au procès, c’était pour lui apprendre le respect, à ce sale gamin.

Cette tragédie a eu le mérite de lever le voile sur un tabou dont souffraient de nombreux lutteurs depuis des années. Plusieurs rikishi ont eu le courage de témoigner, le gouvernement japonais a adressé des reproches à l’Association japonaise de Sumo ; bref, on pouvait espérer que les choses allaient enfin commencer à bouger. Malheureusement, il semble que les mentalités peinent à réellement évoluer et les affaires de brimades continuent à faire les choux gras des médias nippons. Pire, on dirait bien que ce genre de comportement est toujours considéré comme adéquat pour inculquer les valeurs de ce sport aux jeunes. Même si, en cherchant bien, on pourrait y voir quelques progrès : en octobre passé, un maître d’écurie a tout de même admis «y avoir peut-être été un peu fort» après qu’il ait été arrêté par la police pour avoir frappé trois novices qui n’avaient pas respecté le couvre-feu à coup de clubs de golf. L’Association japonaise de Sumo a elle aussi tenu à réagir avec fermeté en infligeant une réprimande officielle au brave maître d’écurie…

Prendre du poids, envers et contre tout !

Mais la vie à l’écurie ne rime heureusement pas qu’avec le mot bizutage qui, à vrai dire, apparaît plus ou moins toujours lorsqu’on confine plusieurs personnes de sexe masculin dans un espace clos. Alors centrons-nous à présent sur un aspect absolument indissociable du quotidien du lutteur sumo : la bouffe ! Contrairement à des sports comme le judo ou la boxe, il n’existe pas de catégories de poids dans le sumo. Tout le monde combat donc dans la même arène, et c’est aussi ce qui rend ce sport intéressant : les lutteurs les plus «fluets» vont devoir développer des techniques pour se défaire des rikishi les plus balourds. La légendaire rivalité entre le Japonais Kirishima et l’énorme Hawaïen Konishiki dans les années 1980-1990 est révélatrice du fait que la victoire ne se résume pas à une simple question de poids. Cependant, il faut bien admettre que la prise de poids est un objectif fondamental de chaque rikishi et, comme vous en avez déjà certainement fait la cruelle expérience, il y a des gens qui peuvent manger n’importe quoi en n’importe quelle quantité sans prendre un pet de graisse. Dans le monde du sumo, ce sont ces personnes qui sont les plus malchanceuses !

Autant casser le mythe tout de suite, l’alimentation traditionnelle du rikishi ne se constitue pas de burgers, frites et coca à profusion. Elle est en fait basée sur le chanko, qui est une énorme marmite avec plein de trucs dedans et accompagnée de nombreux autres plats encore. Plus concrètement, on y trouve pas mal de poulet, de poisson, de légumes et de féculents. Le lutteur classique consomme entre 8’000 et 10’000 calories par jour à travers deux chanko, à midi et le soir. Cependant, les rikishi qui peinent à prendre du poids doivent manger plus et rivaliser d’ingéniosité pour parvenir à grossir. En conséquence, le lutteur sumo a tendance à avoir une espérance de vie plus faible que celle de la population normale, développe souvent diabète et hypertension, et a aussi pas mal de problèmes de foie, car la bière – boisson très calorique – est plutôt recommandée pour le régime très particulier de ce sportif de haut niveau !
Il n’empêche que le gros monde du sumo a commencé à s’inquiéter lorsque, en 1999, le poids moyen des 40 lutteurs de la division d’élite makuuchi a dépassé les 150 kg pour la première fois. En effet, aussi contradictoire que cela peut paraître pour un sport où la prise de poids est un enjeu fondamental, l’Association japonaise de Sumo s’est vivement inquiétée de ce trop de graisse. Un surpoids trop conséquent peut en effet conduire à une fatigue musculaire propice aux blessures, en particuliers chez les rikishi qui passent plus de temps au réfectoire qu’à la salle de musculation. Ainsi, de nombreux jeunes loups aux dents longues ont dû revoir leurs ambitions à la baisse suite à des blessures imputées en grande partie à une mauvaise maîtrise de leur poids.
De plus, la tendance à vouloir grossir à tout prix a contribué à un début de désintérêt du public pour ce sport. En effet, la plupart des lutteurs étant dans une même fourchette de poids, ces derniers ont adopté des styles de combat similaires, basés sur la force plus que sur la technique. Cette dégénérescence du sumo s’est traduite dans un changement assez radical des habitudes de certains rikishi qui ont commencé à fréquenter les fast food plus que de raison, voire même de certaines écuries qui sont passées de deux à trois repas par jour. De même, on a observé que les dénicheurs de talent choisissaient leurs poulains de plus en plus en tenant principalement compte des dispositions physiques naturelles, ce qui ne favorise pas non plus l’éclosion de lutteurs au style atypique. Bref, la noble image du sumo a commencé à s’écorner à partir du tournant du troisième millénaire, avant de prendre coup sur coup suite à plusieurs scandales et surtout à travers une énorme affaire de corruption. Mais ça, ce sera pour la prochaine fois !

Écrit par Marc Baertschi

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