Un sarcophage pour le football

Entre l’assassinat de l’ancien international Ignacio Flores début août, le scandale lié aux internationaux juste avant la Copa América, le football mexicain n’est plus synonyme de jeu mais de faits divers. Il est devenu le reflet de cette société, qui n’en finit plus de sombrer vers le chaos. «Panem et Circenses», le vieux slogan des joutes romaines s’est modernisé avec deux autres mots : drogue et violence. L’exemple le plus frappant s’illustre à Tijuana, ville frontière avec les States : l’ancien maire, président du club de foot local, est mis en cause pour assassinat et détention d’armes.

A partir de 2006, le président de la République, Felipe Calderon, a lancé une grande offensive contre les cartels mexicains, provoquant plus de 41’000 morts. Victime collatérale, le football n’est pas épargné. En janvier dernier, sept jeunes sont retrouvés morts sur un terrain de foot dans la banlieue de Ciudad Juarez (ndlr, la police relèvera 180 impacts de balles). La presse mexicaine relate ainsi régulièrement ces faits divers qui touchent le football.Comme d’autres pans de la vie mexicaine, il est malheureusement devenu un enjeu de rivalités et récupéré pour servir les intérêts mafieux. Contrôler un club est à la fois une question de prestige et d’intérêt économique. Les doubles billetteries et les transferts bidons sont deux mécanismes de blanchiment d’argent, permettant de réinjecter facilement de l’argent sale dans l’économie officielle. Tout est bon pour acheminer la drogue andine vers les Etats-Unis. Alors, pourquoi pas le football.

Du foot pour la gloire ? Pas seulement !

A Tijuana, on a bien compris comment le football peut être utilisé pour faire des affaires. Jorge Hank Rhon (l’homme aux 88 armes chez lui *) fonde, en 2007, un club : le Football Club Tijuana Xoloitzcuintles de Caliente – Xolos pour faire court. Le Xolos donc, tire son nom du «chien nu» mexicain, la mascotte du club (ndlr, selon les légendes locales, ce chien était supposé conduire les âmes des défunts vers la paix des esprits). Il est devenu le premier club de Tijuana à atteindre la première division mexicaine à la fin de la saison dernière. Joaquín Alberto Blanco del Olmo est le véritable architecte de la montée. L’ancien international est à la tête des Xolos depuis le début de la saison 2010 et a su construire un groupe cohérent, s’appuyant sur une défense solide.

La nouvelle de la montée en première division a engendré une liesse rarement vue dans Tijuana. Juste après la victoire en finale d’accession, les voitures ont conflué vers le centre-ville, klaxons hurlants,  drapeaux rouges et noirs brandis des vitres abaissées. Ils étaient ainsi plusieurs milliers à scander le chant de la victoire : «Campeon, Campeon». Le club veut s’installer en première division et a fait de gros efforts de recrutement avec 12 nouveaux joueurs au cours de l’intersaison. Pour 3,5 millions de dollars, le club a acheté Daryo Moreno. L’Argentin José Sable ou encore l’international mexicain Leandro Augusto se sont greffés à l’intersaison. Les résultats de ce début de saison sont loin d’être catastrophiques pour un promu et le club a même remporté son premier match en première division le 6 août dernier, s’imposant 3-1 sur le terrain du S. Laguna. Il faudra néanmoins bien d’autres victoires, car le système de relégation de «Primera División» se fait selon la règle du pourcentage. Ainsi à la fin de la saison (Clausura et Apertura), un classement est établi en divisant le nombre de points acquis par le nombre de matchs joués sur les trois dernières saisons sans interruption. L’équipe reléguée est bien évidemment la dernière de ce classement.

Marquer son territoire, diversifier ses activités

Tijuana est situé au nord-ouest du pays (juste à la frontière avec les States). L’histoire de cette ville se confond avec l’histoire de tous ces «maquiladoras» dont la main d’œuvre permet l’exportation de produits manufacturés au moindre coût vers le nord. L’histoire de cette ville se confond avec des décennies d’exode, d’exil vers cet eldorado, dont la frontière est barrée de grandes palissades de tôles à perte de vue depuis la plage. C’est aussi à Tijuana que naît un des groupes les plus représentatifs du narcocorrido ** : Los Tucanes de Tijuana. Bonjour l’ambiance !

Le discours des responsables du club est simple : l’implantation dans la ville d’un grand club de foot va redorer le blason de cette mégalopole, qui vient de passer troisième ville du pays au dernier recensement. L’envers du décor est un peu plus machiavélique. Les propriétaires du club sont également… les propriétaires de la plus grande société de paris de la région, «Caliente». Cette accointance a d’ailleurs généré une enquête des instances de la fédération, vite étouffée, après l’assurance que la société ne fera pas de paris officiels sur la D1 mexicaine cette année. Ils ont, néanmoins, l’intention de rentabiliser leur investissement. Pour ce faire, Hank Rhon a confié la gestion courante à celui qui lui parait le plus approprié, son fils, Alberto Jorge Hank. Celui-ci entend lui aussi se faire un prénom et «opérer un retour sur investissement.»
Pour devenir un grand club, il faut posséder un grand stade. Construit sur les terrains de la station balnéaire, contenant déjà l’hippodrome Agua Caliente, le nouveau stade peut ainsi accueillir 16’000 spectateurs actuellement et la contenance devrait être portée à 33’000. Pourtant, le potentiel pourrait être doublé, voire triplé. Sur un rayon de deux heures de voiture, la population est estimée à plus de deux millions de personnes, dont la moitié de latinos. Pour le folklore, quatre clubs de supporters ont été créés. Le plus spectaculaire, «La Masakr3» (Le Massacre) a pris place dans les travées sud. Agitant des ballons aux couleurs du club, ils ont peint leur visage et leur corps de X géants.
Le projet s’étend bien au-delà de l’aspect sportif. Au-delà de la construction d’un centre de formation, le recrutement d’une équipe de scouts, chargés d’aller dénicher les futures vedettes locales, les ambitions sont de créer des centres commerciaux, dans lesquels, les supporters venant de toute la région, y compris San Diego et Los Angeles, seront priés de faire marcher l’économie locale. Dernier projet en date, l’installation d’un écran géant en plein centre-ville, afin d’augmenter le potentiel spectateur.

Des carats à Tijuana pour Jorge Hank Rhon

Tirant les ficelles de toute cette organisation, Jorge Hank Rhon ne pourra peut-être pas longtemps emmagasiner les fruits de cette construction minutieuse. Longtemps protégé par la famille politique de son père – ses avocats traquant le moindre vice de procédure l’ont ainsi fait sortir de prison en juin dernier –, le parrain semble rattrapé par les affaires.
Le National Intelligence Drug Center, un organisme américain chargé de contrer la prolifération des stupéfiants sur le territoire US, l’a mis sur sa liste noire. Il possèderait 149 entreprises de jeux à travers tout le pays. Il faut dire que le train de vie du magnat local est pour le moins sulfureux. Grand amateur d’animaux, il a une ménagerie à domicile et a même tenté de s’approprier un gorille, pourtant classé sur la liste des espèces menacées. Grand amateur de la gent féminine, on lui comptabiliserait près de 19 enfants illégitimes, tous de mères différentes. Tout cela n’est que broutille, puisque la justice le soupçonne d’avoir commandité l’assassinat de la petite amie de son fils en septembre 2009. En attendant une hypothétique inculpation, Jorge Hank Rhon pourra encore assister aux matchs dans la tribune officielle de son club. Le football est universel, vous avez dit ?

* 14 juin 2011, Jorge Hank Rhon est incarcéré après une opération commando spectaculaire des forces de l’ordre. 140 policiers suivis d’une meute de journalistes investissent la villa en procédant à une perquisition. Ils ont retrouvé plus de 80 armes à feu (40 mitraillettes, 48 pistolets et une grenade à gaz). Certaines auraient été utilisées dans des homicides (le meurtre d’un vigile et d’un vendeur de voitures au début de l’année 2010). Jorge Hank Rhon, le fils de Carlos Hank Gonzalez – une des figures des plus influentes du PRI, le parti qui a dirigé le Mexique de 1928 à 2000 – a été relâché par la suite, pour vice de procédure, provoquant un scandale politique.

** Le terme «narcocorrido» est un amalgame des mots «narco» et «corrido». Un narco étant un trafiquant de drogue et un corrido étant un type de chanson, la compréhension en est évidente…

Article publié par nos amis de www.sharkfoot.fr

Écrit par François Riette (Sharkfoot)

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5 Commentaires

  1. Et nous alors ?
    Je veux bien considérer l’exemple mexicain comme le paroxisme en matiére de décadence mais nous ne valons pas tripette avec nos clubs sponsorisés par des oligarques Russes ou Qatariens sans compter le développement rapide des paris en ligne grâce à l’aval de nos gouvernements .
    Si j’étais parano , j’irais même plus loin en me demandant qui a pu sortir autant de pognon pour sauver les banques à part la mafia ?
    Vous croyez que ce faux-cul de Platini aurait le courage de changer la donne en plafonnant les budgets des clubs et les salaires et en interdisant l’échange d’argent entre les clubs pour les transferts de joueurs ?
    Quant à Sarkozy et Merkel ; inutile de leur demander de s’attaquer aux paradis fiscaux et à la mafia financiére , ils préferent nous flexibiliser la gueule .
    Monde de cons !

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