Nairo Quintana, la renaissance du Condor

En déclin depuis trois saisons chez les Espagnols de Movistar, le Colombien a choisi la petite structure française Arkéa-Samsic pour relancer sa carrière. A 30 ans, le Condor a repris son envol cet hiver et envisage de nouveau la conquête du Tour de France, son dernier rêve après ses victoires au Giro 2014 et à la Vuelta 2016.

Grand vautour originaire des Andes, le condor est un oiseau de proie, diurne et charognard. On le retrouve essentiellement sur l’ensemble de la cordillère des Andes et sur les côtes du Pacifique. Il mesure entre 100 et 130 centimètres, soit à peine moins que le petit grimpeur colombien Nairo Quintana, grimpeur infatigable des hauts plateaux du Boyacá, région austère du centre de la Colombie dont le sommet, le Ritacuba Blanco, culmine à 5 410 mètres d’altitude. Dès son adolescence, on compare celui qu’on n’appelle pas encore Nairoman en Europe à ce rapace majestueux pour ses capacités à voler mécaniquement par-dessus les montagnes des Andes.

Nairo Quintana voit le jour le 4 février 1990 à Tunja, chef-lieu de ce même département du Boyacá et plus haute ville de Colombie, perchée à 2 820 mètres. Dès sa naissance, on lui diagnostique le « mal du défunt », une étrange maladie transmise par les femmes enceintes ayant été en contact avec les morts. On lui donne alors 3 ans à vivre. Soigné par des infusions d’herbes et de racines, le petit Quintana s’en sortira mais restera longtemps chétif.

Issu d’une famille de paysans, son père est vendeur de légumes quand sa mère garde les vaches tout en élevant ses cinq enfants à la ferme. Chaque jour, Nairo se rend à l’école en contrebas de la montagne où il habite : 16 kilomètres aller en descendant le matin, puis 16 kilomètres retour le soir en côte, sur un vélo de 12 kilos tout en tractant sa sœur avec une corde : « De nature, j’ai toujours aimé grimper, mais de toute façon je n’avais pas le choix, il fallait bien que je rentre à la maison ! »

Les entraînements en Colombie avec mon fan club et mon frangin qui sirote un thé glacé.

Quintana signe son premier contrat professionnel à 19 ans dans l’équipe Boyacá Es Para Vivirla. Il devient champion de Colombie espoirs du contre-la-montre en 2009 avant d’être recruté par l’équipe Café de Colombia-Colombia es Pasión pour l’année suivante. En 2010, il s’adjuge le Tour de l’Avenir en remportant au passage les deux dernières étapes de montagne se finissant sur les hauteurs de Risoul. En rentrant chez lui à Tunja, il est accueilli en héros à seulement 20 ans. La Colombie voit déjà en lui un ambassadeur national : ce champion cycliste tant attendu qui redonnera fierté à tout un peuple rongé par les problèmes de la politique, de la drogue et du crime organisé.

En 2012, Nairo quitte l’Amérique du Sud pour signer chez Movistar, la dernière grande équipe espagnole ayant survécu au cataclysme de l’affaire Puerto. Ses débuts en Europe sont exceptionnels puisqu’il remporte d’entrée à 22 ans le Tour de Murcie, la Route du Sud et le Tour d’Émilie. A l’échelle du World Tour, il se révèle à la face du monde en tenant tête seul à l’armada Sky sur les pentes abruptes du col de Joux Plane lors de l’étape reine du Dauphiné. Trois mois plus tard, il accompagne brillamment en montagne son leader Alejandro Valverde sur la Vuelta, que ce dernier conclura à une prometteuse deuxième place l’année de son retour de suspension pour dopage.

Le natif de Tunja prend encore de la hauteur en 2013. Il devient numéro 1 bis de la puissante armada Movistar pourtant entièrement dédiée les saisons précédentes à la cause d’Alejandro Valverde, leader emblématique de l’équipe d’Eusebio Unzué depuis 2005. Nairo s’impose partout où il passe en Espagne. Il termine à la 4ème place du Tour de Catalogne après avoir décroché l’étape reine de Vallter 2000 en mars. Il remporte le Tour du Pays basque en avril après s’être adjugé la traditionnelle étape en toboggans d’Arrate. Il survole en août le Tour de Burgos en domptant le dernier jour les lacs de Neila, juges de paix habituels de cette course de préparation à la Vuelta a España.

Mis KO par le Ventoux, un Anglais et possiblement un Pinarello Dogma motorisé !

Mais c’est sur le Tour de France 2013 qu’il crève véritablement l’écran en suppléant son leader Valverde piégé dans une bordure à mi-Tour du côté de Saint-Amand-Montrond. Après avoir failli s’imposer en première semaine à Ax 3 Domaines, le Condor se montre une nouvelle fois héroïque sur les pentes du Ventoux en tenant tête au surpuissant Chris Froome et à son vélo déchaîné à 110 tours/minute au passage du Chalet Reynard. 2ème sur le toit du Géant de Provence, il manque de s’évanouir une fois la ligne d’arrivée franchie. Placé sous oxygène, la France découvre là Nairoman, ce petit paysan colombien sympathique au corps de poulet (1 m 67 pour 58 kilos) en opposition avec les élancés et arrogants coureurs britanniques de la Sky. Six jours plus tard, Quintana triomphera au Semnoz pour conclure son premier Tour de France à une brillante 2ème place avec le maillot de meilleur jeune et de meilleur grimpeur sur les épaules.

Alors qu’il voulait confirmer en 2014 sur la Grande Boucle, son équipe l’envoie au Giro au mois de mai pour laisser les coudées franches à Valverde en juillet. En Italie, Nairo débute la course affaibli par un rhume. Il est d’abord supplanté par Cadel Evans en première semaine, puis Rigoberto Uran en seconde. Alors que le Giro semble promis à son aîné colombien, le Condor renverse la vapeur à six jours de l’arrivée à Trieste. Sur fond de polémique, une tradition sur la Course Rose, il s’échappe dans la prétendue descente neutralisée du Stelvio pour se retrouver en bas de celle-ci, à Prato, avec deux minutes d’avance sur la majorité des favoris. Il enfonce ensuite le clou dans la montée finale vers Val Martello pour repousser Uran, l’ancien porteur du maillot rose, à plus de 4 minutes. Le Giro est plié.

Une deuxième victoire d’étape sur les pentes du Monte Grappa scellera trois jours plus tard le triomphe du Condor, premier Colombien de l’histoire à remporter le Tour d’Italie. « J’ai eu des problèmes physiques sur ce Giro, je ne devais être qu’à 60% de mon potentiel », déclare t-il fièrement à l’arrivée sur les rives de l’Adriatique, oubliant momentanément son coup de Trafalgar dans le brouillard givrant du Stelvio comme sous-entendant à ses adversaires qu’il les aurait tous repoussés à plus de cinq minutes sans sa maladie.

La météo au printemps en Italie permet toujours une pratique ludique du vélo.

Sa victoire sur le Giro en 2014 lui offre logiquement de nouvelles garanties l’année suivante sur le Tour de France. Eusebio Unzué lui promet alors le leadership en juillet mais continue de favoriser en souterrain les desseins de son vieux poulain Alejandro Valverde, vexé d’avoir manqué le podium d’un rien l’année précédente alors que Froome et Contador avaient abandonné prématurément.

Quintana est en mission, il rêve de devenir le premier Colombien à remporter la Grande Boucle. Pour cela, il lance son fameux « sueño amarillo », ce rêve absolu en référence au maillot jaune que toute la Colombie attend depuis que ses aînés Fabio Parra et Lucho Herrera ont pris leur retraite au début des années 1990 et l’introduction massive de l’EPO dans le peloton. Sur la Grande Boucle, le Condor doit cependant ronger son frein pour permettre à Valverde de se hisser pour la première fois de sa carrière sur le podium du Tour à 35 ans. Froome en perdition dans les Alpes lors de la dernière semaine, le petit Colombien vient mourir sur ses talons à l’Alpe d’Huez, deuxième à 72 secondes du Britannique de la Sky qui remporte à cette occasion son second Tour de France.

En 2016, Quintana profite du fait que Valverde dispute les trois Grands Tours la même année pour se retrouver enfin leader unique sur le Tour de France. Mais il apparaît moins fort que les années précédentes en ne parvenant pas à bouger Froome dans la montagne comme en 2013 et 2015. 3ème de la Grande Boucle derrière le Kényan blanc et l’intrus Romain Bardet, Nairoman se rattrape un mois plus tard sur la Vuelta en remportant son deuxième Grand Tour devant Froome, Chaves et Contador, après le Giro 2014. Ce coup-ci, pas de polémique comme en Italie il y a deux ans, son triomphe est total dans les rues de Madrid.

Soirée déguisée à Madrid avec un pote de promo et un grand Anglais né au Kenya.

Euphorique, le Condor se croit capable à l’hiver 2017 de remporter une deuxième fois le Giro au mois de mai avant de tenter le hat-trick en juillet sur le Tour de France, soit de décrocher les trois Grands Tours d’affilée comme les plus grands champions cyclistes de l’histoire. Il va cruellement déchanter. Incapable de larguer durablement Tom Dumoulin dans la montagne sur le Tour d’Italie, Nairo doit se contenter d’une décevante deuxième place derrière le Néerlandais, annonciatrice d’un cruel échec sur le Tour de France 2017 qu’il finira à une anonyme 12ème place sans jamais peser sur la course.

Nairoman est mort, il rentre plusieurs mois chez lui en Colombie afin de se ressourcer en famille. A partir de cette date, le ressort se casse durablement chez Movistar. Eusebio Unzué ne lui fait désormais plus confiance. Sa direction sportive l’accuse d’embourgeoisement comme de n’avoir jamais voulu se fondre dans le collectif ibérique. Son équipe n’hésite également plus à l’envoyer au casse-pipe sur les différentes courses auxquelles il participe en lui rajoutant dans les pattes la présence encombrante du soliste Mikel Landa, comme si celle d’Alejandro Valverde ne l’importunait déjà pas suffisamment depuis ses débuts en 2012.

Ses deux dernières saisons en Espagne se déroulent sous haute tension. Sans soutien dans son équipe, celles-ci ressemblent plus ou moins à un long chemin de croix comparé à ses exploits d’antan. Touché dans son orgueil, Quintana décroche en trompe-l’œil deux victoires d’étapes sur le Tour de France (au col de Portet en 2018, puis à Valloire en 2019) et une sur la Vuelta (à Calpe en 2019) qui ne masquent pas le fait qu’il finit désormais loin au classement général sur les différents Grands Tours auxquels il prend part (10ème du Tour 2018, 8ème de la Vuelta 2018, 8ème du Tour 2019 et dernièrement 4ème de la Vuelta 2019).

Avec Alejandro Valverde, un papy sympa mais encombrant sur le porte-bagage.

Au-delà de ses performances devenues moyennes, Quintana subit l’affront de devoir attendre Valverde en Andorre dans l’avant-dernière étape du Tour d’Espagne 2018 afin de sauver une 5ème place pour son vieux leader déclinant. Au Tour de France 2019, le Condor est en train d’effectuer un rapproché spectaculaire au classement général sur l’étape de Valloire qu’il va brillamment remporter échappé deux heures plus tard… lorsque sa propre équipe se met en route dans l’Izoard afin de réduire l’écart et l’empêcher de monter sur le podium provisoire de la Grande Boucle.

Stratégie incompréhensible ou simple favoritisme pour les coureurs locaux Mikel Landa et Alejandro Valverde, tout le continent sud-américain prend pour habitude d’invectiver la téléphonie mobile ibérique en l’accusant de manquer continuellement de respect à leur idole Nairoman. Le reportage « El día menos pensado » sorti sur Netflix en mars dernier ne fera que confirmer ce sentiment de mal-être permanent chez Quintana au sein de l’équipe Movistar.

A l’hiver 2020, le petit Colombien fait le choix surprenant de rejoindre la petite équipe française Arkéa-Samsic évoluant en deuxième division. A 30 ans, son salaire est réduit mais Nairo obtient les fameuses garanties qu’il n’avait plus depuis trois saisons en Espagne. Il impose son vélo Canyon sur lequel il roule depuis huit saisons chez Arkéa, ainsi que toute sa garde rapprochée composée de son petit frère Dayer, son confident Winner Anacona et son ami Diego Rosa.

Avec Nace et Wawa en Bretagne porté par le vent et un nouveau défi.

Les résultats ne vont pas se faire attendre. Affûté et déterminé comme jamais pour un mois de février, Quintana remporte coup sur coup le Tour de Provence et l’ancien Tour du Haut-Var. Sur ces deux courses disputées dans le sud de la France, il écrase la concurrence à plate couture dans le Ventoux comme au col d’Èze. Un mois plus tard sur Paris-Nice, il l’emporte de nouveau au col Saint-Martin pour la dernière course de l’histoire de l’humanité avant la pandémie mondiale de coronavirus. Lui qui n’avait plus gagné la moindre course par étapes depuis Tirreno-Adriatico en mars 2017 vient d’en remporter deux en un mois, le tout agrémenté de trois victoires d’étapes.

Après cet hiver monstrueux, son équipe Arkéa-Samsic obtient logiquement une nouvelle invitation pour disputer le Tour de France. Surexcité, son directeur général Emmanuel Hubert voit son leader de retour sur le podium de la Grande Boucle dès cette année.

Malgré l’interruption des courses liée au COVID-19, le petit Colombien a continué de s’entraîner assidûment ces dernières semaines sur ses hauts plateaux du Boyacá. Porté par tout un peuple qui le préférera toujours à Egan Bernal ou Esteban Chaves par son histoire, Quintana semble être redevenu Nairoman : ce condor qui regarde fièrement par-dessus les montagnes sauvages des Andes pour mieux bondir sur sa proie de nouveau présente en contrebas, le Tour de France.

A propos Thierry Bientz 47 Articles
Après avoir parcouru 250 000 kilomètres à vélo en 20 ans, j'ai décidé de prendre un peu la plume pour raconter le cyclisme...

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2 Commentaires

  1. Bel article sur ce sympathique coureur. Par contre il est natif de Cómbita, non de Tunja. La maison familiale de Cómbita est d’ailleurs un lieu de pèlerinage pour les cyclistes de la région, avec un vélo gigantesque juste à côté.

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