Le monde à l’envers

Lors des deux saisons écoulées, le Borussia Dortmund était souverain en Bundesliga mais inexistant en Coupes d’Europe. Cette saison, c’est l’inverse : en grandes difficultés dans son championnat, le BVB brille en Ligue des Champions avec sept points pris en trois matchs contre les champions de Hollande, d’Angleterre et d’Espagne.

Honnêtement, samedi dernier, quand j’ai quitté le Westfalenstadion après le match exécrable du Borussia Dortmund contre Schalke 04, je ne donnais pas cher des chances du BVB contre le Real Madrid. C’est donc sans grande conviction que j’ai entrepris le déplacement de la Ruhr, presque par obligation parce que mes abonnements sont valables pour la Ligue des Champions et qu’il aurait quand même été un peu criminel de laisser des places vides pour cette affiche. D’ailleurs, on s’est contenté d’un déplacement express en mode aller-retour direct, un peu comme quand tu vas voir un match dans ta ville de résidence, tu prends le bus, tu bois quelques bières, tu regardes le match, tu rebois quelques bières et tu prends le bus pour rentrer. Là, c’était la même chose sauf que c’était un train et qu’il y avait quand même 1440 kilomètres à parcourir et même un peu plus en tenant compte du détour imprévu par Koblenz, sieste intempestive oblige ; en même temps, je savais que prendre un train à 1h52 du matin après une victoire du BVB, ça présentait certains risques. Ce qui est sûr, c’est qu’en partant le mercredi matin à 8h, j’avais l’air suprêmement intelligent en traversant les rues d’Echallens avec le maillot et l’écharpe d’un match qui se jouait le soir 720 kilomètres plus au nord.

Echte Borussia

Mais finalement, les choses vont se dérouler beaucoup mieux que prévu. Par rapport au naufrage de Schalke, le BVB récupère Götze et Schmelzer ; du coup, l’entraîneur Jürgen Klopp revient à son traditionnel 4-2-3-1 et renonce au chaotique 3-5-2 mis en place 90 minutes avant le Revierderby, sans la moindre séance d’entraînement préalable. Et c’est une équipe dortmundoise transfigurée qui va venir sur la pelouse, le vrai Borussia Dortmund, celui qui a survolé la Bundesliga durant deux saisons. Au-delà de la disposition tactique, c’est dans l’état d’esprit que le BVB est trois tons au-dessus de sa «performance» du Revierderby, il y a beaucoup plus de dynamisme et les Pöhler mettent une intensité folle dans leur jeu. Même Kevin Grosskreutz, transparent depuis le début de la saison, est dans le coup. Et surtout, le Borussia retrouve son schéma de jeu préféré, soit laisser le contrôle du ballon à l’adversaire, mais exercer un pressing agressif très haut dans le terrain, gagner les duels sur les deuxièmes ballons et propulser de nombreux joueurs en phase offensive dès le cuir récupéré. Certes, tout n’a pas été parfait, il y a eu un certain déchet à la relance mais, dans l’ensemble, on a vraiment reconnu le Borussia Dortmund qui nous a tant fait rêver lors des deux saisons écoulées.

Joie de courte durée

Comme en face, le Real Madrid a quelques atouts à faire valoir, cela débouche sur un excellent match de football dans une ambiance que seuls ceux qui ont déjà goûté à la magie du Westfalenstadion peuvent imaginer. C’est probablement dans un début de match qu’il a dominé que le Real a laissé passer sa chance car un but précoce aurait calmé le chaudron jaune et replongé le BVB dans ses doutes actuels. On pense en particulier à cette reprise manquée par Mesut Özil après quelques minutes de jeu : on l’a échappé belle car, quatre jours après une défaite contre Schalke, encaisser un but par un gamin de Gelsenkirchen aurait probablement fait passer le Westfalenstadion en mode Ordre du Temple Solaire avec Jürgen Klopp et Kevin Grosskreutz dans le rôle des gourous infernaux.
Après vingt premières minutes prudentes, le Borussia va se rendre compte qu’il n’a strictement rien à envier à ce Real Madrid-là et s’enhardir. Les offensives s’enchaînent en direction d’un Iker Casillas impérial, notamment sur une frappe de Sebastian Kehl à la conclusion d’une action lumineuse sur le flanc gauche de l’attaque dortmundoise. Pour une fois serait-on tenté de dire car le jeu du BVB a eu tendance à pencher sur le côté droit, pour profiter des difficultés d’un Essien peu à son avantage au poste de latéral. Les efforts dortmundois vont trouver une juste récompense sur une mauvaise relance madrilène, le capitaine Sebastian Kehl lance Robert Lewandowski qui s’en va battre très proprement Iker Casillas. Si le Borussia a manifestement beaucoup appris de ses échecs européens passés, il va tout de même faire preuve d’une certaine naïveté en ne parvenant pas à serrer le jeu jusqu’à la pause après l’ouverture du score. Parti à l’abordage, le BVB se fait surprendre en contre sur une magnifique ouverture de Mesut Özil pour Cristiano Ronaldo qui devance d’un lob astucieux la sortie inutile et hasardeuse de Roman Weidenfeller. Comme il est le meilleur joueur dortmundois depuis le début de la saison derrière l’absent Blaszczykowski, on pardonnera volontiers ce petit écart à Weidi. Quant à Cristiano Ronaldo, ce sera son seul éclair du match, parfaitement contrôlé qu’il a été notamment par Lukasz Piszczek, qu’une rumeur annonçait récemment au Real Madrid pour dix millions d’euros mais le Polonais vient de prolonger son contrat à Dortmund jusqu’en 2017. Assurément une excellente nouvelle.

Marcel Schmelzer, ce héros

Après la pause, unser BVB attaque, comme d’habitude, face au mur jaune et va mettre une grosse pression sur le Real. Certes, les Merengue ont aussi eu quelques bonnes séquences, avec surtout un tir juste trop croisé de di Maria qui fait passer un frisson d’angoisse sur le Tempel der Glückseligkeit. Mais la majorité des occasions sont jaunes et noires, avec notamment un tir de Götze superbement sorti par Casillas. On était en train de se dire que, trois semaines après s’être cassé les dents sur un Joe Hart stratosphérique à Manchester, le Borussia avait le chic pour toujours tomber sur des gardiens en état de grâce lorsque le portier espagnol va y aller de sa bévue en repoussant mal un centre anodin de Mario Götze. Marcel Schmelzer peut armer une volée imparable dans le petit filet pour redonner l’avantage au BVB. C’est un but qui illustre parfaitement l’état d’esprit qui animait les Pöhler en ce mercredi soir, avec cinq joueurs, dont le latéral gauche, dans la surface de réparation adverse à la conclusion d’une action de jeu. Contrairement à ce qui s’était trop souvent passé dans ses dernières campagnes européennes, le BVB n’a pas joué petit bras, il s’est convaincu qu’il était meilleur que son adversaire et il est allé chercher cette victoire. Au passage, on a une pensée pour l’entraîneur national Joachim Löw, qui avait vertement critiqué Marcel Schmelzer après Autriche – Allemagne, et pour un certain consultant de la RTS qui m’avait fait des théories sur la nullité du latéral gauche du Borussia lors d’un tournoi international juniors assez arrosé. Il ne faudra pas que j’oublie de les allumer la prochaine fois que je les croise. Enfin, surtout Alex Comisetti parce que je ne rencontre pas Jögi Löw très souvent.

Mais ils sont où les Espagnols ?

Mené au score, la tâche devenait compliquée pour le champion d’Espagne. Quand tu es habitué aux ambiances Mickey de la Liga ou à la non-ambiance d’un Clàsico au Camp Nou, c’est sûr que tu peux bien t’appeler Real Madrid, cela fait un choc de se retrouver dans le chaudron du Westfalenstadion, même en version allégée sans bières ni places debout en raison des règlements absurdes de l’UEFA, avec 60’000 fans déchainés qui font corps avec leur équipe pour défendre l’avantage et saluent chaque conquête de ballon comme un titre de champion du monde. En s’endettant massivement, le foot espagnol a pu s’acheter beaucoup de choses ces dernières années mais la ferveur, elle, ne s’achète pas. Bref, on n’a pas entendu des supporters madrilènes inexistants et on se réjouit déjà d’aller mettre le feu à Bernabeu dans quinze jours. Comme j’ai bu l’apéro avant le match avec deux agents de joueurs qui avaient obtenu leur billet directement de l’adjoint de José Mourinho, je m’étais promis de ne pas (trop) allumer les Espagnols dans cet article, alors je m’en tiendrai à cette pique. J’ai été raisonnable, non ?

Tout reste à faire

Le Real n’est pas parvenu à revenir, le BVB tenait sa victoire, la première contre les Merengue après deux nuls au Westfalenstadion et deux défaites à Bernabeu. Malgré son palmarès, la Maison Blanche n’y arrive toujours pas sur sol allemand et voit son compteur bloqué à une seule victoire pour 24 déplacements outre-Rhin. Toute prestigieuse qu’elle soit, cette victoire ne nous fait pas oublier le couac contre Schalke qui va nous laisser un goût amer jusqu’au prochain succès contre les Knappen. Néanmoins, elle ouvre quelques perspectives intéressantes. Primo, c’est la première victoire contre un grand d’Europe depuis le retour du Borussia sur la scène européenne après la quasi faillite du début des années 2000, c’est la preuve que Dortmund est gentiment en train de redevenir un nom qui compte au plus haut niveau. Deuzio, ces trois points laissent entrevoir la possibilité d’une qualification dortmundoise pour la suite des événements. Certes, dans ce groupe, le plus relevé de l’histoire de la Ligue des Champions, tous les points seront difficiles à conquérir mais, ce qui est sûr, c’est que quoi qu’il advienne lors des deux prochaines journées avec les déplacements à Madrid et Amsterdam, le BVB abordera le dernier match au Westfalenstadion face à Manchester City dans une position plus favorable qu’une année auparavant contre Marseille. On n’a donc pas fini de vibrer avec le Borussia cette saison.

Borussia Dortmund – Real Madrid 2-1 (1-1)

Signal Iduna Park, 65’829 spectateurs (guichets fermés).
Arbitre : M. Kassai.
Buts : 36e Lewandowski (1-0), 38e Ronaldo (1-1), 64e Schmelzer (2-1).
Dortmund : Weidenfeller ; Piszczek, Subotic, Hummels, Schmelzer ; Bender (67e Gündogan), Kehl ; Reus (91e Perisic), Götze (87e Schieber), Grosskreutz ; Lewandowski.
Real : Casillas ; Ramos, Varane, Pepe, Essien ; Khedira (20e Modric), Xabi Alonso ; di Maria, Özil, Ronaldo ; Benzema (73e Higuain).
Cartons jaunes : 47e  Ramos, 62e Alonso, 93e Gündogan.
Notes : Dortmund sans Blaszczykowski ni Owomoyela (blessés), Real sans Marcelo, Arbeloa ni Coentrao (blessés).

Écrit par Julien Mouquin

Commentaires Facebook

15 Commentaires

  1. Alala, toujours la même rengaine sur l’Espagne :p

    Joli match des allemands, j’ai trouvé Gundögan très élégant balle au pied.

    Par contre Ronaldo est vraiment insupportable avec ses célébrations où il dit au public de sa calmer. Après si on le siffle il doit penser que c’est parce qu’il est « riche, beau et qu’il joue bien au foot ».

    Sinon je t’assure que la ferveur pour le foot existe aussi en Espagne. Certes pas au Nou Camp qui est devenu, à mon grand désarrois, plus un repère de touriste qu’autre chose (idem pour Bernabeu, dans une un peu moindre mesure) mais dans la rue et certains stades, la passion est bien là. Surement pas exprimée aussi bruyamment qu’à Dortmund, je le reconnais. Mais lors de ton prochain voyage en Espagne, va donc voir un derby Sévillan ou un Atlético-Real, un match à Vallecas, un Depor-Celta Vigo au Riazor ou un Bilbao-Madrid à San Mamès, ça doit valoir le détour !

  2. Pour être allé au San Mamès la saison dernière voir Bilbao-Real Madrid je dois dire que j’ai plus été charmé par ce vieux stade que l’ambiance en elle même! Car mis à part des « Florentino, Hijo de puta » c’était assez plat.
    Il est vrai que la fessée prise par Bilbao qui donna d’ailleurs le titre au Real ce jour-là n’a pas arrangé les choses.

  3. Mais comme j’ai pensé à toi, Julien, hier!!!!!!!

    Belle perf du BVB en tous cas et il me semble surtout que les 2 grands d’Espagne sont beaucoup plus prenables cette année, autant le Barça que le Real.

  4. Oui San Mamès d’après ce que j’ai compris c’est un peu public à l’anglaise : Quand ça chante, tout le stade s’y met.Mais faut que ça parte.

    Si j’avais cité San Mamès c’est surtout pour les souvenirs de l’Europa l’année dernières : 8’000 basques à Old Trafford, on entait qu’eux.

    Enfin loin de moi l’idée de dire qu’il existe en Espagne des ambiances comparable à Dortmund, mais dire qu’il n’y a pas de ferveur alors que ce pays respire le foot, c’est un poil gros 😉

  5. Je me souviens d’un Real – Borussia en 2003 au Bernabeu, et honnêtement les supporter du BVB n’avait pas été très bruyant, ceux du Real beaucoup mieux, maintenant il devait surement avoir des raisons à cela, car les fan du BVB c’est quand même grandiose. Les plus impressionant que j’ai pu voir c’était ceux de Cadiz au Bernabeu, ils ont commencé à chanter 30min avant le match et ont arrêté 30min après…Alors qu’ils avaient perdu 4-0, c’était impressionant!

  6. Pas de ferveur en Espagne…ah, ah, ah !!!
    Pas d’ambiance lors du Clasico au Nou Camp…ah, ah, ah, !!!
    Mouquin, je te conseille vivement d’aller voir une foi un Clasico au Nou Camp…et tu reviendras vite pour t’excuser de ton ineptie !

  7. Jérémie
    effectivement, parce contre les petites équipes les fans du celtic ou des rangers ne voient pas l’utilité de chanter. mais pour le old firm, a la rigueur contre hearts et lors des matchs européens, c’est les meilleures ambiance que tu peux avoir.

  8. @gyn:
    Je ne sais pas, je ne pourrai malheureusement pas y aller. Mais autant que je me souvienne de mon déplacement là-bas avec le LS, le bloc supporter adverse est séparé du reste du stade par une vitre et situé tout en haut dans un angle.

    Accessoirement, il y a des commentaires qui font rêver, entre celui qui fait des théories sur la ferveur des supporters en parlant de stades où il n’est manifestement jamais allé et l’autre qui nous explique que « les meilleurs supporters du monde » ne voient pas l’utilité de chanter en dehors des gros matchs…
    Les gars, décollez une fois de votre télé et allez voir les matchs au stade, ça vous évitera de parler dans le vide.

  9. @Gyn

    C’est le secteur 416 (en haut à gauche sur le plan de stade), sûr. Après, je sais pas si autour c’est aussi prévu pour les supporters du BVB, ce que j’ose imaginer, sinon c’est vraiment très petit.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.