Shérif, fais-moi peur

Trop gros, trop lent, trop pénalisé, trop vieux, trop payé… les bruits de couloir ne sont pas tendres avec Alain Reist. Le dur à cuire du Lausanne HC n’en est pas plus ébranlé que ça et après dix-sept saisons de Ligue Nationale, il en a vu d’autres. Coup d’œil nostalgico-sympathique dans le rétroviseur avec un homme qui n’a pas la langue (ni les poings) dans sa poche. Alain Reist, policier certes, mais gardien de la paix avant tout.

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Difficile de passer à côté du hockey sur glace dans le Bienne du début des années 1980. Les trois titres nationaux en six saisons (1978-81-83) assoient la légende du club et l’engouement autour de l’équipe est incroyable. Anken, Aldo Zenhäusern, Kölliker et Conte occupent quatre places sur les six disponibles dans le All-Star Team suisse de la LNA à la fin de la saison 1980/81, à une époque où avoir des patins rouges ne choquait absolument personne. Richmond Gosselin, docteur ès coast to coast et petits ponts, affole les compteurs en compagnie de Serge Martel puis de Daniel Poulin, et Kent Jay Leno Ruhnke mène l’équipe au sommet en 1983 avec le maillot le plus classe du championnat (c’est sûr, c’était autre chose que le bordel gris des années 2010…). Et tant pis pour les mauvaises langues qui qualifiaient les joueurs de mercenaires et le HC Bienne de club de riches. Ah bon ? Parce qu’à Berne, ils étaient pauvres, peut-être ?
Alain Reist, enfant de Péry, ne garde de cette période que de lointains souvenirs. « J’étais trop jeune à l’époque, confesse-t-il. On m’a parlé des titres et tout ça, mais je ne me rendais pas vraiment compte. Bon, faut dire aussi que j’étais pas vraiment à fond dans le hockey. Gamin, je faisais aussi du foot avec mon frère Patrick. Plus tard, quand il a fallu choisir entre les deux, j’ai préféré le hockey. Je suivais le HC Bienne et une fois j’ai même été "chef du tambour" dans le kop contre Rapperswil ! Ensuite, vers 14-15 ans, j’ai pris le truc un peu plus au sérieux, notamment grâce à Chris Chelios pendant le lockout de 1994. Ça a commencé comme ça, en fait. »
Avec les Riesen, Guerne, Broquet, Jeannotat et Boillat, Reist est bien entouré. Entre deux crasses d’ados attardés (dont une mémorable bataille de… petits pois, qui a forcé l’hôtel où logeait l’équipe à facturer aux joueurs un nouveau tapis pour la salle à manger), Alain prend du galon. Lentement. Petit à petit. Il détaille : « Franchement, j’étais pas le meilleur de l’équipe. De loin pas. Michel Riesen et Sacha Guerne étaient sur une autre planète et de mon côté je me battais pour être dans les six défenseurs titulaires. D’ailleurs, il y avait le tournoi Pee-Wee à cette époque. C’est une institution, un truc immense pour les Romands, c’est comme un petit morceau de NHL ! Quand j’ai vu que les potes étaient sélectionnés et moi pas, ça m’a fait un coup, quand même. Donc non, j’étais pas vraiment un crack. Je me débrouillais, mais je sortais pas du lot. »
La roue tourne cependant quelques saisons plus tard quand Alain reçoit des convocations en première équipe du HC Bienne et en équipe nationale U16. Contingenté en LNB, il évolue durant la majeure partie de la saison 1996/97 avec les Juniors Elites, en plus de quelques piges en 1ère ligue avec Zuchwil Regio. Mais pas que. « Je précise aussi que je jouais parfois avec les Juniors A. Je dis ça pour tous les gens qui prétendent que je marque jamais : une fois, on a gagné 6-4 et j’ai mis les six buts… dont un pénalty ! Je te jure, c’est vrai ! » Éclats de rire.


Alain (au centre) et son casque Cooper XL7.
La casserole de tous les hockeyeurs ayant survécu aux années 1980.

Saunas, charpente et Slim Shady

Reist inscrit son premier but en LNB à Thurgovie lors des playoffs de 1997, puis s’envole en Tchéquie avec l’équipe nationale pour feu le championnat d’Europe U18, où la Suisse des Reichert, Berger, Conne et Wichser obtient la médaille de bronze derrière la Finlande et la Suède. Un bel exploit que cette génération aux casques ronds Jofa réitèrera en décembre lors du championnat du Monde U20 à Helsinki, avec une nouvelle médaille de bronze décrochée après une victoire aux tirs au but contre la Tchéquie.
Là encore, Alain a cravaché. « J’ai juste passé le dernier cut. J’étais pas sûr d’être du voyage, j’ai été finalement sélectionné et j’ai ensuite gagné ma place dans le top 4 en défense. Je jouais avec Julien Vauclair, on a fait un très bon tournoi et ça parlait même de nous pour la draft de NHL ! Mais ce qui m’avait vraiment frappé là-bas, c’était la patinoire où on jouait, la Hartwall Arena. Elle venait d’être construite et à l’intérieur il y avait des saunas. Donc, ça veut dire que dans certaines loges tu pouvais regarder le match… depuis un sauna ! Et après tu regardes certaines patinoires en Suisse…» Prends ça, la Valascia.
À l’automne 1997, Cadieux succède à Zettel à la tête du HCB et accorde son entière confiance au jeune Reist. Après deux saisons pleines comme titulaire de LNB où il éclate aux côtés d’Andy Egli (non, l’autre), Alain reçoit une offre de Rapperswil, pensionnaire de LNA. Il accepte, mais un petit détail reste encore à régler : en fin d’apprentissage de charpentier, Reist attend les résultats de ses examens. C’est peu dire que la tension était plus intense qu’en prolongations d’un match no 7. Véridique. « Oulalaa… Au dernier examen pratique, il me restait une pièce à monter pour terminer. C’était le gros stress, j’ai failli tout bâcher, mais j’ai fini à l’arrache et finalement j’ai passé à la raclette. Mais au moins j’ai passé. Pour moi, c’était vraiment important d’avoir un CFC. Si j’avais pas eu ce papier, pas sûr que je serais parti. Maintenant, t’as des gars qui arrivent, sans rien, sans formation et qui misent tout sur le hockey. C’est dangereux comme attitude… J’avais un patron flexible, mon petit contrat de hockeyeur de 12’000.- par saison et je devais gérer le boulot et le sport. C’était pas toujours évident mais une fois que j’ai eu mon diplôme, j’ai pu mettre le hockey au premier plan. »
Trois Romands garnissent l’effectif de Rappi : Reist, Frank Monnier et Loïc Burkhalter. Ce dernier partage d’ailleurs un appartement avec Alain, à deux pas de la patinoire. La vie du duo est un cauchemar pour les nutritionnistes et a même fait la une de la rubrique sportive du Matin en janvier 2000. L’occasion pour tous les lecteurs d’admirer la coupe décolorée façon Slim Shady de Reist et le combo claquettes noires/chaussettes blanches de Burkhalter. Du lourd. « On avait 20 ans, on quittait la maison et on s’installait en Suisse allemande, explique Alain. Et c’est vrai, avec Loïc, on a le même caractère, on est des bons vivants, on sortait parfois, on mangeait souvent des pizzas ou des raclettes et on profitait de la vie. Je vais pas te mentir. Mais franchement, dans l’ensemble, c’était plutôt correct. Et aussi, le truc c’est qu’on bossait sur la glace et on a su gagner notre place. Pour moi, c’est soudainement devenu la réalité. Quand j’étais plus jeune, je regardais jouer Bienne contre le Olten de Gagné et Richards. Ces mecs étaient des références absolues. Et là, en deux saisons, je me suis retrouvé coéquipier de Gagné avec Bienne et Richards avec Rapperswil. C’est quelque chose qui me reste, tu te dis "Ça y est, maintenant j’y suis !" et tu prends vraiment conscience de ce qui t’arrive. »
Alain écoute, apprend des anciens et dépoussière son Schwytzerdütsch. Il prend part à des séances de torture, pardon, à des entraînements personnalisés le samedi matin sous la houlette de Popichin (tirs contre le béton, montées d’escaliers et autres réjouissances soviétiques) et subit, en compagnie de son colocataire, le bizutage réservé aux rookies. Lors d’une grillade au bord du lac de Zurich, les deux jeunes Welsches embarquent sur un radeau pneumatique pour un aller-retour dans l’eau le plus rapidement possible. Si le chrono est jugé insuffisant par les cadres de l’équipe, les gamins doivent boire un mélange dégueulasse de vin et de bière, puis recommencer le parcours.
« Il n’y avait absolument rien d’humiliant ou de dégradant, tempère Alain. C’était dans un bon esprit, mais ça marquait quand même une certaine hiérarchie et je trouvais ça juste. Tu es jeune, tu dois respecter les anciens. Je dis pas qu’il faut être un esclave, mais tu dois avoir une certaine distance, être poli, écouter. Si tu fais ton boulot sur la glace et que tu acceptes les codes, personne ne te fera chier. Si tu fanfaronnes, alors là, ça se passera mal. Encore une fois, j’y reviens, mais quand tu vois maintenant certains jeunes, on dirait que tout leur est dû et personne n’accepte une remarque. Tu dis un truc à quelqu’un et il te rit au nez… »


Réception moustache/rouflaquettes à la municipalité de Péry,
après la médaille de bronze du championnat du monde U20 (1998).

Naissance d’un dur à cuire

En match amical en Finlande au mois d’août 1999, Rapperswil affronte Kookoo Kouvola, une équipe de deuxième division locale. Le club saint-gallois l’emporte sur le score de 6-3 et Alain profite de l’occasion pour écrire la première ligne d’un épais chapitre de ses Mémoires de hockeyeur. Face au monstre finlandais Ville Kiiskinen (195 cm, 100 kg), le défenseur suisse jette les gants. Un suicide en direct, eu égard à la réputation du géant nordique. Pourtant, Alain s’en sort avec les honneurs et son adversaire avec un doigt cassé. Dès lors, Reist se taillera une joyeuse réputation de videur de boîte de nuit dans le championnat suisse.
Dans le jargon, on parle d’un tough. Un shérif. Un dur à cuire. Un policier. Un goon. Bref, Alain, c’est le genre de gars qu’il ne faut pas croiser la tête baissée au milieu de la patinoire. « C’est vrai, j’aime le jeu physique, confirme-t-il. J’aime quand ça brasse et je suis jamais le dernier à arriver quand les esprits s’échauffent. Durant ma carrière, j’ai eu beaucoup d’accrochages, des 2’+2’ pour dureté excessive, mais aussi certaines "vraies" bagarres où tu y vas à mains nues. Le problème, c’est qu’en Suisse, une fois que tu jettes les gants, c’est 5’+ match direct. Alors quand ça arrive, faut faire en sorte que ça en vaille la peine ! C’est mon style de jeu, je fais avec. Je vais pas me la raconter et dire "Bon, si j’allais mettre une lucarne maintenant ?" ou un truc du genre. Faut savoir jouer avec ses qualités. » Ce ne sont certainement pas ses 18 buts en plus de 500 matchs de LNA qui contrediront le propos.
Le baptême du feu dans la catégorie heavyweight de Suisse est cependant douloureux : à Zurich, une droite en pleine face de la part de Dan Hodgson fait office de cadeau de bienvenue dans le monde des adultes. Pas de quoi refroidir les ardeurs du garçon. Placé dans la première paire de défense aux côtés de l’étranger Kari Martikainen, Alain livre pleinement la marchandise et répond aux attentes. Mais malgré des débuts encourageants, Rapperswil termine au 9e rang, à deux points de la barre. S’ensuit un interminable chemin de croix contre la relégation qui prendra fin le 6 avril après une ultime victoire contre Coire, champion de LNB. Soulagement général. La suite ? Un sweep par Zurich dans les playoffs de 2001 et une série victorieuse de play-out contre Langnau en 2002. Entre deux, la vie d’Alain a bien failli prendre une tournure inattendue, un soir de novembre 2001. « J’étais à Morges avec la Suisse B pour la Coupe des Eaux Minérales, se rappelle-t-il. Durant le temps libre, j’avais joué au Loto. Arrivent les résultats et là… j’avais 5 numéros justes sur 6 ! Putain, dire qu’à un numéro près, j’étais millionnaire ! » Malheureusement pour lui (et pour certains de ses adversaires), les cocotiers attendront…
Après trois saisons en LNA, Alain lorgne vers un club du top 8. Kloten manifeste de l’intérêt et l’affaire prend rapidement forme. Sauf que Rapperswil est l’employeur de Reist pour une saison encore et n’entend pas lâcher le défenseur sans une petite compensation financière. C’est le début de l’affaire dite « des 500’000 », à savoir une clause désormais établie dans le business qui permet à un club qui se sépare d’un joueur encore sous contrat de toucher CHF 500’000.- de dédommagement. Kloten sort donc son porte-monnaie et s’offre le jeune défenseur pour deux ans.


Alain avec son frère et son père, qui visiblement
s’est fait refourguer une fausse veste des Blackhawks.

St-Louis, Stewart, Landry et les autres

Chez les Aviateurs, Alain ne plane pas vraiment : deux saisons en demi-teinte (élimination en playoffs contre Lugano en 2003, puis maintien en LNA dans une poule de relégation à cinq quand la ligue comptait 13 équipes en 2004), où Reist est cantonné à un rôle de cinquième ou sixième défenseur derrière les baby rockers aux mèches rebelles, Philippe Seydoux et Severin Blindenbacher. Les grandes attentes du directoire et la pression liée à son rachat auront finalement raison de la confiance chancelante du joueur de 23 ans. « Une période à oublier », selon ses propres mots.
Mais, au milieu de la grisaille, Reist s’offre tout de même quelques délicieuses fulgurances : une passe liftée de trente-cinq mètres pour Roger Rieder (« Encore maintenant, le plus bel assist de ma carrière. ») et une bagarre, of course, contre Thomas Nüssli à Rapperswil (défaite 4-1 le 19 janvier 2003). Après trois buts encaissés en 130 secondes dans le dernier tiers, dont un de… Nüssli via un toe drag aussi culotté qu’astucieux pour éliminer le défenseur, Alain décide de ne pas partir les mains vides et s’octroie, à la 56ème minute, une sortie digne des plus belles scènes de Slap Shot. Quitte à perdre, autant le faire avec le nez qui coule.
Comme Kloten n’est que peu désireux de continuer sa collaboration avec lui (et vice versa), Reist rebondit à Lausanne pour sa première expérience en Suisse romande depuis le début de sa carrière en LNA. Mais l’aventure 2004/2005, pourtant prometteuse, vire rapidement au cauchemar. Malgré la grève en Amérique du Nord et l’arrivée miraculeuse de Martin St-Louis, a.k.a le MVP de la dernière saison de NHL, le vainqueur de la Coupe Stanley, l’auteur de 25 points en 23 matchs au LHC, le vendeur à la chaîne de maillots floqués du numéro 62 et surtout, surtout, le Chippendale du vestiaire lausannois se trémoussant à poil sur le tube de l’époque « Call On Me » ; malgré le nom des abonnés sur les maillots des joueurs ; malgré des types confirmés en LNA comme Gerd Zenhäusern, Robert Slehofer, Thomas Berger ou Pascal Schaller ; bref, malgré un packaging plus qu’alléchant, Lausanne sombre. Après l’éviction du duo Sheehan/Khomutov en octobre, Bill Stewart est chargé de sauver les meubles d’une maison qui part en ruine. Les prêts se succèdent (Christen, Heldstab, Neininger), les étrangers Bashkirov, Hurtaj, Tuomainen, Roach, Landry et Boileau jouent aux chaises musicales et les défaites s’empilent.
Bilan : douze petites victoires en 59 matchs (séries de relégation et de barrage incluses), une « affaire Landry » aux proportions et au photoshoppage démesurés (l’image a même fait les gros titres du journal télévisé de l’époque), pour finir en apothéose sous la plus grosse bronca jamais vécue à Malley, lorsque 10’000 spectateurs déçus conspuent les joueurs saluant timidement l’assistance déchaînée en ce funeste 14 avril 2005, jour de relégation en LNB après la défaite de trop contre Bâle. Rideau.
Alain plaide coupable, puis accuse : « C’est le moment le plus pénible de ma carrière. Je me souviens que les supporters voulaient nous fracasser ! Comment leur en vouloir ? Cette année-là, on n’était pas une équipe. L’ambiance était pourrie. Un nouveau joueur arrivait presque chaque semaine, et Bill Stewart… Franchement, j’ai pas peur de le dire : c’est le pire entraîneur de ma carrière et je pense que le club se serait maintenu s’il n’avait pas été là. Ce gars, c’était un vrai malade. Il donnait certains entraînements en jeans et des fois il allait dans les tribunes en nous laissant nous débrouiller sur la glace. Il avait même inscrit des noms de joueurs qu’il voulait avoir dans l’équipe, des gars comme Voisard, Jeannin, Zeiter, et tracé les noms de ceux qu’il ne voulait plus voir jouer. Des mecs qui étaient là, dans le vestiaire, encore sous contrat avec Lausanne ! Super pour la confiance… »
Une belle mentalité de cow-boy qui nourrit la mythologie du hockey sur glace. Jugez plutôt : un coach capable de lancer un couteau à travers le vestiaire pour manifester son mécontentement, de renverser les bacs de boisson et de nourriture devant les joueurs ou de leur amener une caisse de bières en plein match pour ironiquement leur indiquer qu’ils n’ont pas assez « soif de victoires », ça sort quand même de l’ordinaire. L’humour canadien, sans doute.
Avec Leime à la barre, Alain demeure en LNB la saison suivante, joue à Obélix chez les Romains avec quelques adversaires (qui a oublié le spectaculaire échange avec Dériaz à Malley contre Martigny ?), mais déchante assez rapidement après une petite fessée contre Bienne en demi-finale. « J’avais la conviction un peu naïve qu’on allait remonter directement. Mais le processus est vraiment long et surtout, on n’était pas les seuls à vouloir gagner ! Je jouais avec Alain Birbaum, il m’a mis en contact avec Fribourg en fin de saison et j’ai tenté le coup après une année en LNB. »


Sons Of Anarchy, saison 4, épisode 3 : «Bitches & Money»

Le but de Montandon et le scooter de Neuenschwander

Fribourg. Sa Basse-Ville. Sa légende. Sa fierté. S’il est considéré à présent comme un prétendant légitime au trophée de champion, Gottéron se cherchait encore dans le courant des années 2000. Des casques en fromage, un imbroglio juridico-sportif qui annule les séries de play-out de 2003 dans la fameuse « affaire Abplanalp » ainsi qu’une sympathique réputation d’équipe de dernière étape avant la retraite confèrent au club fribourgeois le statut de simple participant au championnat. Ni plus, ni moins. De sauvetages de la relégation en éliminations prématurées dans la course au titre, le HCFG traîne son spleen en LNA, vivant dans le lointain souvenir de ce qu’il a été dans les glorieuses nineties.
Jusqu’à ce but. Ce fameux but. Celui du 11 mars 2008, marqué en prolongations du sixième match des quarts de finale par l’increvable et incroyable et incontournable et inénarrable et inoxydable Gil Montandon qui élimine Berne, alors 1er du championnat, et repositionne Gottéron sur la carte du hockey helvétique (au passage, un gros big up au bonnet péruvien de Sprunger et à la chapka de Bykov ce soir-là). Alain a vécu l’aventure de l’intérieur et se souvient parfaitement. « Avec le recul, je pense que ce but a été un tournant dans le renouveau du club. La première saison, on se sauve contre Langnau. Moyen. Après, on bat Berne et on arrive en demi-finale. Là, un truc s’est passé, le hockey est redevenu populaire à Fribourg. On a senti depuis qu’il y a eu comme un déclic. L’année d’après, on élimine le champion sortant Zurich et on refait une demi-finale, qu’on perd au bout du match no 7 contre Davos. J’ai d’immenses souvenirs de cette période. La ville, les gens, les coéquipiers… là-bas, c’est vraiment spécial. »
Et comment ! Nouveau pote de Julien Sprunger (alors qu’il s’était violemment battu contre le Fribourgeois lors d’un Gottéron-Lausanne de février 2005), en colocation avec Caryl Neuenschwander, Reist trace sûrement son petit bonhomme de chemin au milieu de l’arrière-garde de Gottéron, distribuant occasionnellement quelques beignes bienvenues dans le processus. Parole à la défense. « On joue contre Langnau. Ça brasse devant leur banc et tout à coup je me fais prendre dans une sorte d’embuscade, alors je réagis… Tu peux regarder, la vidéo est disponible sur YouTube. » Même si la qualité laisse à désirer, on peut tout de même apercevoir Reist se débattre au milieu de six ou sept joueurs bernois, en choisir un (Moggi ?), le descendre d’un crochet du droit, se faire chahuter par la moitié des Tigers puis s’en aller comme un prince, chevelure au vent. Un remake parfait de la mêlée du bar dans Trainspotting.
Hors de la patinoire, le spectacle est tout aussi fascinant : dans leur attique de cinq pièces, Caryl et Alain régalent. Au menu, débriefings animés (et arrosés) du match du soir en compagnie des voisins de quartier Birbaum, Heins, Knöpfli et Sprunger. Reist approuve : « On avait vraiment de la chance d’avoir un tel endroit. Par la suite, ma copine Lauriane est également venue y habiter et c’était vraiment chouette. Une fois, j’entends du bruit sur le toit. Je vais vérifier et là, j’entrevois Caryl en train de balancer du gravier un peu partout avec un club de golf ! Au milieu de la nuit ! » Mais le meilleur reste à venir. Lors d’un concours dans l’appartement, Sprunger, Neuenschwander et Reist décident que le gage du perdant sera d’aller chercher un ticket de bus en bas de l’immeuble… entièrement nu. Comme ils savent que seul Neuenschwander est assez fou pour s’exécuter, Sprunger et Reist manigancent et font évidemment perdre « Neuneu ». Et là, non seulement ce dernier file chercher un billet, mais y va… en scooter !
« Et le pire, reprend Alain, c’est qu’au retour on entendait un boucan pas possible en bas de l’immeuble… Ce con essayait encore de rentrer en scooter dans l’ascenseur ! Bon, au-delà des conneries de ce genre, c’est là que tu prends conscience de la chance que tu as d’être hockeyeur. Tu peux apprendre une nouvelle langue, tu habites différentes villes, tu découvres un tas de choses et tu fais des rencontres incroyables. Typiquement, tu prends un gars comme Shawn Heins. Tu le vois, tu te dis que le mec, c’est un crétin fini. Pas du tout en fait et c’est devenu un bon pote. Et c’est pareil avec beaucoup d’anciens coéquipiers. C’est ça qui est beau dans le hockey : tu crées des liens très forts qui durent même quand la carrière s’arrête. »


Sa spécialité ? Les oeufs au beurre noir.

Mir sind Züri

Au sujet des liens, Serge Pelletier ne partage pas tout à fait le même avis. Après un coup d’œil dans le budget du club, l’entraîneur de Gottéron entend se séparer de son numéro 7. Alain attend des nouvelles, ne voit rien venir, puis considère une offre plus que bienvenue. Les Lions de Zurich se manifestent et Reist accueille la nouvelle à bras ouverts. « Ça ne pouvait pas mieux tomber. Lauriane allait commencer l’école hôtelière à Zurich et le ZSC venait de gagner la Champions Hockey League. Une bonne adresse ! Tout s’est naturellement mis en place : on a pris un appartement, elle suivait ses cours et moi j’allais jouer au hockey. Je précise aussi que depuis, je me suis beaucoup amélioré en cuisine ! Et la ville, c’est un peu l’opposé de Fribourg : personne ne te reconnaît dans la rue, tu es presque incognito. Au niveau pression, c’est sûr que ça change. Attention, je ne dis pas que Fribourg est moins bien, je dis juste que si tu perds quelques matchs avec Gottéron, on se gêne pas pour te le faire savoir… »
Fidèle à sa réputation de moteur Diesel, Alain capote en championnat (sixième ou septième choix de défense, il est même placé en tribunes lors de la victoire contre les Blackhawks de Chicago en Victoria Cup), mais carbure en playoffs. Dans un best of seven endiablé contre Zoug, Zurich gagne le droit de disputer un septième match après un déficit de 1-3 dans la série, mais se fait finalement coiffer au poteau après une courte défaite 2-1 au Herti. Associé au Slovaque Suchy, Alain mange la glace, assure en box play et poste également quelques colis à la bonne destination, via une immense baston à la fin du match no 3 contre Fabian Lüthi.
Dans l’ensemble, un bon souvenir. « On jouait contre Holden-Brunner-Schnyder et on a bien tenu jusqu’au septième match. C’était quand même la meilleure ligne du championnat ! Après des débuts difficiles, je me suis bien repris et j’ai gagné une place de titulaire pour la fin de la saison. » Dis voir Alain, est-ce que l’idée de te mesurer au bouillant Josh Holden t’a effleuré l’esprit ? « On s’est frottés une ou deux fois, mais pas battus. J’ai joué avec lui à Fribourg, donc je le connais un peu, c’est un bon gars. Mais aussi, avec ces histoires de bagarres, faut pas croire que je cherche absolument ça à chaque fois que je suis sur la glace. Sur une saison de cinquante matchs, je me bats rarement. Disons que si ça doit arriver, je suis prêt. Personne ne me fait peur, mais je dois bien avouer que parfois, faut bien réfléchir avant d’allumer un type. Je me souviens de mecs comme Sarrault, Grosek ou Elik à l’époque et franchement, j’aurais pas forcément fait le malin en face d’eux… J’y serais allé, sans garantir la victoire. » C’est un alexandrin.
Malgré une année de contrat encore valable en LNA, Reist, barré par une féroce concurrence, suit Jan Alston à Lausanne pour faire remonter au plus vite les Vaudois dans l’élite.


Quand on veut faire passer un message,
quatre doigts valent parfois mieux qu’un.

Reist-Reber : je t’aime moi non plus

Le LHC… aaaaah, le LHC… la Section Ouest (ou désormais… Sud-Ouest ?), les tifos à vous sortir les larmes, un public de passionnés, « The Kids Aren’t Alright » d’Offspring, sans oublier le délicieux soap opera des coulisses qui régale semaine après semaine le microcosme du hockey suisse romand. Un club où, décidément, rien ne se sera jamais comme ailleurs. Depuis la fameuse descente en LNB de 2005, l’objectif à court terme fut toujours le même : l’ascension en LNA. Pendant longtemps, Lausanne, souvent proche du but, a dû mitrailler les lapalissades de fin de saison pour apaiser les ardeurs, à grands coups de « On reviendra plus fort l’année prochaine », « Faut continuer à travailler », « Ça va finir par tourner », on en passe et des meilleures.
Champion de LNB en 2009 et 2010 (mais perdant de la série de barrage), finaliste en 2011 et 2012, le Lausanne HC vêtu de ses maillots made in NHL touche finalement le Graal en 2013 après une victoire en série de promotion/relégation contre les Langnau Tigers, laissant ainsi place à la virée en Vespa la plus stylée de toute l’histoire du hockey sur glace, personnifiée par le slalom dans les couloirs de Malley du capitaine Florian Poncherello Conz, avec pour tout habillement sa combinaison, sa barbe de bûcheron, un casque et des lunettes de soleil. Tout simplement hors-concours.
Un souvenir au parfum de légère revanche pour Alain. « Mon tout premier titre ! Avec Florian Conz et Gerd Zenhäusern, on était dans l’équipe reléguée en 2005. Je suis fier d’avoir participé à cette promotion et, en quelque sorte, lavé l’affront. On a bien fêté, mais on devait reprendre assez rapidement les entraînements. Disons qu’au niveau noce, c’était court mais intense. D’ailleurs, Gabriel Taccoz m’a appelé trois jours après pour me féliciter. Il me demande où je suis, comment ça se passe, et moi je réponds que je suis à la maison. Là, il me dit qu’à l’époque de la promotion de 1995 ils avaient fait la bombe pendant une semaine non-stop sans dormir !»  Quand on voit l’animal, difficile d’en douter.
Alain regarde amoureusement sa médaille, puis reprend : « Quand j’ai signé en LNB en 2010, mon père et mon frère m’ont pris pour un cinglé ! Mais honnêtement, c’est une très bonne ligue. Meilleure que ce qu’on pense. La Chaux-de-Fonds, Ajoie, Viège, Langenthal, c’est pas des manches et une promotion demande beaucoup d’investissement. » 
Si par « investissement » on doit comprendre « le don de sa personne », on n’est pas loin de saisir le propos. Car, en deuxième division, Alain s’est effectivement fait plein de nouveaux copains dans la cour de récré. Sacha Wollgast et Dominic Forget ont fait sa connaissance lors du quart de finale des playoffs de 2013, tandis que Xavier Reber et lui ont rejoué la saga complète de Rocky durant la saison régulière. « Xavier Reber, soupire Alain. Un type que je ne connais pas personnellement, mais que je respecte énormément. À chaque match contre lui, il se passe quelque chose. C’est obligatoire ! On se chauffe, on se frappe, on s’insulte. Mais lui, au moins, il assume. Il ne se débine jamais et revient toujours à la charge. Je préfère ce genre de joueur à un gars comme Di Pietro, qui te fait un coup de pute et file se cacher derrière les arbitres. Il m’a même craché dessus. Des mecs comme lui, je supporte pas. Et, pour en revenir à la promotion, heureusement que Van Boxmeer est parti au début de la saison, sinon…»


Reist In Peace

Sinon quoi ? « Sinon on ne montait pas. Il était toujours négatif, jamais content. En trois ans, il m’a tapé deux fois sur l’épaule. Autrement, rien du tout. Quand Gerd Zenhäusern a repris l’équipe, ça a été le jour et la nuit. Avec lui, je suis passé de -2 à +24 à la fin de la saison. Au niveau sportif, humain, relationnel, tout a changé. Les dernières semaines, Gerd dormait même au vestiaire tellement il était dans le truc ! Il mérite tout ce qui lui arrive. Bravo à lui.» À tout seigneur, tout honneur.
Reist dispose encore d’une année de contrat à Lausanne. Après, tout est ouvert. Du hockey pour quelques années (« Tant que je peux jouer, je joue. »), avant de probablement bifurquer vers le monde des assurances. « J’ai fait un stage au mois d’octobre 2012 à la Zurich d’Echallens, précise-t-il. C’est mon voisin Steve Girard qui m’a introduit dans le milieu. Ça s’est bien passé, ça m’a plu et c’est une option que je pourrais tout à fait envisager dans un avenir plus ou moins proche.»
Mais il garde le meilleur pour la fin. L’invraisemblance de la chose atteint des sommets inimaginables. Alain Reist a récemment  participé à ses premiers… cours d’arbitre. Si, si, des cours d’arbitre. « Oui, c’est vrai ! J’y suis allé cette année, avec Valentin Wirz notamment. Pour moi, c’est un peu comme pour Didier Massy. Joueur, je suis assez pénalisé, alors peut-être qu’en tant qu’arbitre j’aurai une meilleure compréhension que quelqu’un qui n’a jamais joué. Franchement, c’est un truc à considérer à l’avenir. Ça me maintient physiquement, j’ai une petite rentrée d’argent et ça me permet de laisser un pied dans le milieu du hockey de manière moins intense que dans un club. Pourquoi pas ? » D’ici là, on se met à imaginer le jour où Alain infligera sa première pénalité de match. Assurément le moment le plus cocasse de toute l’histoire du hockey suisse.

 

Écrit par Benjamin Moret

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14 Commentaires

  1. Bon timing pour la sortie de l’article avec sa baston contre Vandermeer. Bel entretien, bon boulot. Le début de la réconciliation entre CR et Reist?

  2. Superbe article ! Mes respects au journaliste et à vous Monsieur Reist !

    D’ailleurs quand je vois que Neuenschwander et Seydoux ont récemment rejoint le LHC, j’ai envie de croire que Reist n’y est pas pour rien, vu leur précedent en club. Chapeau bas et allez Lausanne !

  3. Le coup du ticket de bus scooter, c’est tout simplement énorme !!

    Bravo pour l’article, ça change des trucs un peu lisses et convenus qu’on a l’habitude de lire.

    Sympa aussi de la part de Reist d’avoir joué le jeu malgré les torchées qu’il prend parfois sur CR.

    Respect.

  4. Sacré texte, des formules qui font mouche, très agréable à lire! Meilleur passage: Reist et les copains de la cours d’école… Je pense que beaucoup de supporter du LHC regarderont Reist d’un autre oeil maintenant (et moi le premier)! Bravo à lui pour son second degré et à l’auteur pour son article.

  5. Yeah, la classe!
    Un article de fond comme il est devenu pratiquement impossible de le faire.
    Ca me fait bizarre qu’il soit quasi traité de dinosaures alors que pratiquement tous les noms évoqués sont encore bien présennts sur les glaces siisses.
    En tous cas, la vie de jeune hockeyeur, ca avait l’air sympa!

  6. Merci les gars, j’ai bien rigolé ! Sacré gaillard ce Reist.
    Y a une version pdf de l’article, ça veut dire bientôt un mag Carton Rouge ? C’est sûr, ça changerait de Top Hockey…

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