Une question d’état d’esprit

Quand vous construisez une cathédrale le dimanche en famille, il peut vous arriver de choisir de commencer par les fresques aux plafonds plutôt que par les briques en pierre pour les fondations. C’est un peu ce qui arrivait au FC Bâle hier soir pour son match d’entrée en Champions League. En effet, affronter Chelsea à Londres était une bonne manière de «liquider» le plus compliqué au début. Encore faut-il savoir ce qu’on entend par «liquider». C’est la morale qui conclura ce match de première journée européenne.

La décontraction était de mise avant le rendez-vous du côté rhénan. Les déclarations allaient bon train sur l’approche sans pression de la rencontre, sur le «rien à perdre» et l’idée qu’un point serait super. Murat envisageait même de changer son système de jeu et de placer Stocker en neuf et demi. Beaucoup de fantaisie donc. Ce qu’il y a de troublant avec ce genre de discours c’est qu’on ne sait jamais s’il correspond à une coolitude style Danemark 92 ou à un discours de loser s’excusant déjà de perdre. A lire et entendre ces commentaires d’avant-match, on avait l’impression que ce remake de la demi-finale d’Europa League de l’année dernière allait se contenter de fournir un fadasse spectacle. Un peu comme si on refaisait Die Hard mais avec Régis Laspalès à la place de Bruce Willis.Certes, un premier match contre le gros morceau plus ou moins perdu d’avance semble une bonne affaire. Mais est-ce qu’une victoire, pour commencer, contre un adversaire jugé plus faible ne serait pas garant d’une meilleure dynamique pour la suite de la compétition ? C’est là où vient l’intérêt de ne pas se fier aux certitudes.
Le Chelsea hôte de ce match n’est pas tout à fait le même que celui de l’année passée. Pourquoi ? Parce que Mourinho is back. L’entraineur adulé des Blues a repris son trône au mal aimé Benitez. Dit comme ça, ça fait peur quand on repense à l’histoire du Portugais avec les Londoniens. Mais déjà il y a doute quant à ce genre de retour qui dans le foot n’est pas toujours synonyme de gloire. Et le match contre Everton du week-end passé n’en fut pas un événement contradicteur.

Une soirée avec la RTS

Non, nous n’étions pas en Angleterre ce soir-là. A défaut, il nous a fallu suivre ce rendez-vous sur notre brave Télévision suisse romande. Il est, dans notre région, coutumier de se gausser de notre service des sports, parfois injustement. Mais quand même. Une soirée avec eux parfois, on se dit qu’on ne serait pas malpoli de faire des remarques. D’abord quand on a droit à un résumé «décalé» des matchs de la veille par Rinaldi et Poullier façon «C’est pas sorcier». Non mais sérieusement : «Dis donc Jamy, tu as vu Manchester City ?» «Oh ben oui ! Mais moi je préfère United !». Bien sûr, notre amour de l’humanité et la volonté d’un bonheur universel nous poussent à encourager les gens à continuer leurs rêves de grandeur vers les sommets du journalisme théatralo-humoristique. Mais une petite voix méchante nous rappelle une citation d’OSS 117 («Comment cela peut-il être de l’humour si ce n’est pas rigolo ?») et nous pousse à demander poliment, mais néanmoins à genoux, que nos appréciés commentateurs ne s’obstinent pas dans cette formule.
Entre deux spots pour le monde merveilleux en néo-color de Gazprom qui, décidément, nous donne envie de prendre des Russes dans nos bras et Warwinka vantant le teletext en nous convainquant que c’est beaucoup mieux qu’il ait choisi tennisman plutôt qu’acteur, on est également heureux d’apprendre que Murat et Mourinho sont tout deux très classes dans leurs grands manteaux avec une main la poche et que c’est fou ! Un peu plus et Christian Jean-Pierre n’est pas loin.
Donc nous nous moquons injustement car tout cela n’est pas grand chose par rapport à la chance qui est la nôtre d’avoir une telle couverture sportive sur le service public. Ce qui ne saurait être tolérable, cependant, est de concevoir que Stéphane Henchoz ait été envoyé en Angleterre. Certes, il fut un des meilleurs défenseurs de notre histoire. Mais est-ce une raison pour lui donner une accréditation presse ? C’est comme donner une carte de chanteur à Patrick Bruel ou le prix du séducteur à Emile Louis. Oui, on enrage d’envisager que notre redevance ait payé un billet business class et une chambre d’hôtel hors de prix à Henchoz (on espère qu’on ne lui a pas aussi payé des cours d’équitation et de boxe thaï) pour faire trois commentaires ennuyeux. N’y a-t-il pas d’autres consultants libres à utiliser sur des matchs pareils ?

Et le match alors ?

J’y viens justement. Il se divise de façon exemplaire en deux mi-temps. En première, on obtient exactement le match attendu par l’esprit «perdu d’avance» avec un Bâle certes combatif mais qui défend à neuf, un Streller qui, à force de descendre dans la zone défensive, se retrouve sans réelle utilité et un Salah qui nous procure de légers sursauts sur ses tentatives de contre-attaques mais ne parvient jamais à conclure, souvent parce qu’il n’a personne pour l’appuyer. On s’énerve et on s’interroge : si l’on n’a rien à perdre, pourquoi mettre deux attaquants et jouer le 0-0 ? En face, les Blues font du Chelsea. Enfin, pas du Chelsea qui cherche à conquérir mais du Chelsea Mourinho-structuré qui ne se mouille pas trop puisqu’ils sont condamnés à gagner ce soir.
Il arrive ce que l’on attendait qu’il arrive. Usant de sa force tranquille, le club anglais donne le coup de rein nécessaire au moment opportun. L’inusable et royal Franck Lampard décale le très bon Oscar qui marque juste avant la mi-temps.
Ce scénario, on l’a déjà vécu et il semble que rien ne sera bien surprenant ce soir. Mais c’est là qu’un nouveau match commence. Où les intentions sur le terrain de «n’avoir rien à perdre» prennent un autre sens. Cela commence par des actions offensives naïves et ratées des Bâlois. Mais au moins il y a de l’essai. Quelques passes grotesques de Voser (le Modric du pauvre) sont compensées par un engagement héroïque de Safari. La volonté et la solidarité qu’affichent les champions de Suisse est porteuse d’un nouvel élan. Cela sera récompensé par un coup de génie de Salah et Streller à la 71ème puis par une vieille renarderie de ce même Streller dix minutes plus tard.
Une immense nervosité envahit joueurs et spectateurs sur la fin de match. Philippe Von Burg est même atteint du «syndrome Pierre-Alain Dupuis» (oui, il a parlé de Morgarten…). On n’ose y croire et pourtant… Le FC Bâle vient de remporter son match de CL contre Chelsea à Stamford Bridge, ce qu’aucun club suisse n’avait fait auparavant. On pourra incriminer quelque peu Mourinho pour ses mauvais choix et, sans doute, son excès de confiance en ayant réduit des joueurs tels que Mata au rôle de remplaçant ou en ayant cru que remplacer l’immense Lampard par Ba allait être suffisant.

Mais avant tout, cette victoire de Bâle est celle d’une manière d’approcher les choses. Celle de choisir de foncer contre le mur pour le traverser plutôt que d’essayer de l’éviter. Ça ne marchera pas toujours mais avec un peu de chance ça vaut la peine d’essayer. Un match qui donne du crédit à des adages vieillots comme quoi il vaut mieux perdre avec panache parce que, sur un malentendu, on pourrait gagner. C’est beau de voir Fabian Frei dire à l’interview d’après-match : «on est couru comme des oufs» et de sentir son plaisir d’être sur les terrains et d’espérer qu’il arrêtera d’apprendre le français avec Morganella en M21. On a beau penser ce qu’on veut du FC Bâle à l’interne, force est de constater qu’en Europe, le club enchaîne les exploits année après année. Et que l’on soit Romands, Zurichois ou Bernois, on ne peut que se réjouir qu’un club pareil représente une part du football suisse.
Photos Pascal Muller, copyright EQ Images

Chelsea – Bâle 1-2 (1-0)

Stamford Bridge, 40’358 spectateurs.
Arbitre : M. Orsato (It).
Buts : 45e Oscar 1-0. 71e Salah 1-1. 81e Streller 1-2.
Chelsea : Cech; Ivanovic, Cahill, Luiz, Cole; Oscar, Van Ginkel (75e Mikel), Lampard (76e Ba); Willian (67e Mata), Eto’o, Hazard.
Bâle : Sommer; Voser, Schär, Ivanov, Safari; Frei; Salah (88e Xhaka), Diaz, Stocker (82e Ajeti), Sio (65e Delgado); Streller.
Cartons jaunes : 42e Van Ginkel. 64e Diaz.
Notes : Chelsea sans Ramires (suspendu). Bâle sans Serey Die et Elneny (blessés). 56e, tir d’Oscar sur la transversale.

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9 Commentaires

  1. Super papier! Bravo au FC Bâle pour ce nouvel exploit. Ce club est complètement au-dessus du lot niveau helvétique. A des années lumière même! Chaque année ils perdent des joueurs, chaque année ils arrivent à trouver de nouvelles perles… Un modèle à suivre.

  2. tres bon article.
    Passage fort drole : ‘C’est beau de voir Fabian Frei dire à l’interview d’après-match : «on est couru comme des oufs» et de sentir son plaisir d’être sur les terrains et d’espérer qu’il arrêtera d’apprendre le français avec Morganella en M21.

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